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Suicides par balle, le record dont personne n’est fier

La disponibilité des armes à feu a une influence sur le taux de suicides. Keystone

La Suisse détient un triste record européen: on s’y suicide plus par arme à feu que dans n’importe quel pays du continent. Il est vrai que le nombre de foyers où l’on détient des armes y est supérieur à la moyenne.

26 janvier 2010: la veille de l’ouverture du World Economic Forum de Davos, le chef de la sécurité de la manifestation se suicide avec son arme militaire de service.

Ce suicide par balle, largement répercuté dans les médias (alors que l’immense majorité des suicides ne le sont pas) est pourtant loin d’être un cas unique. Entre 1996 et 2005, la Suisse a connu 3410 cas de suicides avec des armes à feu.

Selon une enquête de 2006, entre 24 et 28% des suicides en Suisse sont commis avec une arme à feu. Ce qui place le pays au second rang d’un triste classement mondial, très loin, il est vrai, des Etats-Unis, en tête avec un taux de 57%.

Mais en Europe, personne ne se tue autant par balle que les Suisses. Les Finlandais et les Norvégiens sont déjà loin derrière (environ 20%), de même que les Français (16%), alors que le taux ne dépasse pas 8% en Allemagne ou 5,5% en Espagne.

De plus, fusil ou pistolet sont des moyens très efficaces pour s’enlever la vie. Un suicide par arme à feu est réussi dans 90% des cas.

Affaire d’hommes

Le suicide par balle est donc la méthode la plus utilisée en Suisse et reste presque exclusivement un geste masculin: 95% des personnes qui y recourent sont des hommes. Et un tiers des hommes qui veulent en finir avec la vie choisissent une arme à feu.

Vladeta Ajdacic-Gross, sociologue et collaborateur de la Clinique psychiatrique universitaire de Zurich, voit deux raisons à cette différence entre les sexes: la disponibilité des armes et l’habitude que l’on peut avoir de leur maniement.

«Les données disponibles en Suisse montrent que les femmes sont beaucoup moins familiarisées avec les armes. Il est donc logique qu’elles ne les utilisent pas non plus pour se suicider», explique le chercheur, qui a également collaboré à l’étude citée plus haut.

Et celle-ci montre que le nombre d’armes à feu est particulièrement élevé en Suisse. En l’an 2000, 35,7% des ménages du pays détenaient un fusil ou un pistolet, ce qui est nettement au-dessus de la moyenne européenne.

Un vrai arsenal

En 2007, l’Institut de recherche «Small arms survey», basé à Genève, a publié une étude qui estime à 3,4 millions le nombre d’armes à feu détenues dans les foyers suisse. Soit pratiquement une pour deux habitants, femmes, enfants et vieillards compris.

Des chiffres qui diffèrent passablement de ceux du Département fédéral (ministère) de la Défense, de la Protection de la population et des Sports. Selon lui, il y avait en 2007 environ 2,2 millions d’armes en Suisse, dont 535’000 armes militaires (235’000 armes personnelles de soldats actifs, 245’000 reçues à la fin du service actif et 55’000 prêtées à des sociétés de tir sportif).

Quoi qu’il en soit, sachant que ce sont avant tout les hommes qui se suicident avec une arme à feu, il est tentant d’en déduire qu’ils le font avec leur fusil ou leur pistolet militaire.

Vladeta Ajdacic-Gross estime à 40% le nombre de suicides commis avec de telles armes de service. Les autres le seraient avec des armes achetées légalement dans le commerce.

Dès lors, doit-on conclure que le pourcentage de suicides par balle est tellement élevé parce que le nombre de ménages armés est lui aussi très haut ? Pour le sociologue, il existe un rapport clair entre la disponibilité des armes à feu (nombre de ménages qui en détiennent) et le nombre de suicides commis avec de telles armes.

La disponibilité, facteur clé

Les chiffres de l’étude à laquelle Vladeta Ajdacic-Gross a collaboré montrent d’ailleurs que tous les pays où le nombre d’armes à feu est élevé connaissent un taux élevé de suicides par balle.

«Lorsqu’il s’agit de choisir une méthode pour son suicide, la disponibilité est un facteur décisif, explique le chercheur. Un accès facile à des moyens de se tuer augmente la probabilité que quelqu’un y ait recours».

«Les armes à feu en Suisse, c’est comme les pesticides dans les pays en développement, poursuit Vladeta Ajdacic-Gross, parce que là-bas, ils sont disponibles. Le suicide est souvent un acte impulsif, c’est une décision que l’on prend en un laps de temps très court».

Dans des moments pareils, la disponibilité est un facteur décisif. «Si quelqu’un qui veut se suicider doit faire un effort particulier pour se procurer de quoi le faire, nous savons que cela constitue un important facteur de prévention», explique le sociologue.

L’étude a ainsi montré que les suicides par balle avaient nettement diminué dans des pays comme la Norvège, le Canada ou l’Australie, depuis que la législation y a été modifiée afin de réduire l’accès aux armes à feu.

Suffit-il pour autant de rendre les armes moins accessibles pour voir baisser les statistiques des suicides ? Les candidats ne vont-ils pas simplement se rabattre sur d’autres méthodes ?

Question d’efficacité

«On sait que la tendance est de se rabattre sur une méthode similaire, explique Vladeta Ajdacic-Gross. Celui qui veut se suicider avec des médicaments ne va que rarement choisir une arme à feu comme alternative».

Question d’efficacité. Celui qui choisit l’arme à feu serait vraiment décidé à mourir. S’il n’a pas de fusil ou de pistolet à portée de main, il choisira alors plutôt la pendaison, autre méthode assez radicale.

Les recherches montrent en effet qu’entre le moitié et les deux tiers des candidats au suicide choisiront une autre méthode si celle à laquelle ils ont pensé n’est pas disponible. «Ainsi, les mesures de prévention ne pourront en aucun cas empêcher tous les suicides, mais tout de même une grande partie», conclut le sociologie.

Sandra Grizelj, swissinfo.ch
(Traduction et adaptation de l’allemand: Marc-André Miserez)

La Suisse connaît un taux de suicide de 19,1 pour 100’000 habitants. Ce qui veut dire que chaque jour trois à quatre personnes mettent volontairement fin à leurs jours.

Sur une année, cela représente 1300 à 1400 morts. Pour comparaison, les accidents de la route (dont le bilan est en constante diminution) ont tué 357 personnes en 2008.

Le suicide est la première cause de décès en Suisse chez les jeunes de 15 à 24 ans et la première cause de décès chez les hommes de 15 à 44 ans.

Plus de 90% des suicidés souffrent de troubles psychiatriques. Dans près de 60% des cas, il s’agit d’une forme ou d’une autre de dépression.

La Suisse n’a pas de programme national de prévention du suicide. Celle-ci est l’affaire de différents instances publiques dans les cantons et d’institutions privées.

Les mesures les plus courantes:
– Sensibilisation de la population et des pouvoirs publics
– Information auprès des médecins, des enseignants, des prêtres, etc.
– Identification et information des «groupes à risques» (personnes souffrant de troubles psychiatriques, veufs et veuves, détenus, etc.)
– Limitation d’accès aux moyens de se suicider (conditionnement des médicaments en petits emballages, filets de sécurité sur les ponts, etc.)

La question de la détention des armes militaires à la maison revient régulièrement sur le tapis au niveau politique.

En automne 2007, le Parlement a décidé de retirer les munitions de poche que les citoyens-soldats détiennent à la maison. Au 31 décembre 2009 toutefois, 80% seulement des cartouches en circulation avaient été rendues. Les retardataires ont reçu une lettre de sommation.

Par ailleurs, ceux qui le désirent peuvent désormais déposer leur arme dans les arsenaux au lieu de la garder à la maison et l’armée ne confie plus d’armes personnelles aux individus jugés «à risques».

Pour les adversaires de l’arme à la maison, ces mesures ne vont toutefois pas assez loin. En février 2009, ils ont déposé une initiative populaire en vue de supprimer cette spécialité suisse. Le peuple se prononcera prochainement.

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