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Dialogue de sourds entre Ankara et Berne

Les problèmes que Micheline Calmy-Rey a rencontré avec la Turquie ont été rapportés au président de la Confédération Pascal Couchepin (arrière-plan). Keystone

La Turquie dément avoir espionné la cheffe de la diplomatie suisse.

Elle confirme que la visite de Micheline Calmy-Rey a bel et bien été annulée à cause de la reconnaissance du génocide arménien de 1915 par le parlement du canton de Vaud.

C’est par l’intermédiaire du quotidien turc Hürriyet que les autorités d’Ankara ont mis lundi les points sur les «i» d’une affaire qui a fait du bruit ce week-end en Suisse.

Selon l’édition de samedi du journal alémanique Tages Anzeiger, la conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey aurait été espionnée par les services turcs alors qu’elle s’entretenait avec un exilé kurde.

Cet entretien – qui n’aurait duré qu’une minute – se serait déroulé en août, à Lausanne, en marge de la Conférence de la Direction du développement et de la coopération (DDC).

Trop complaisante avec les Kurdes



Selon le journal zurichois, repris par l’ensemble de la presse dominicale, un espion turc aurait alors informé les autorités d’Ankara de ce tête-à-tête.

Celles-ci auraient alors préféré annuler le déplacement de Mme Calmy-Rey. En clair, elles auraient estimé que la ministre suisse était entrée en contact avec une organisation interdite en Turquie et qu’elle se montrait ainsi trop «complaisante» à l’égard de la minorité kurde.

Au cours de sa visite, Micheline Calmy-Rey aurait d’ailleurs dû se rendre dans le Kurdistan turc.

Interrogée à New York sur cette affaire, la responsable de la diplomatie helvétique a confirmé avoir été approchée à Lausanne par un représentant de la communauté kurde.

Et de préciser qu’elle a incité son interlocuteur à suivre la procédure habituelle pour faire état de ses revendications, soit de s’adresser à ses services par écrit.

Imbroglio au sein du Conseil fédéral



Reste à savoir où est la vérité. Selon la presse suisse, les autorités turques auraient remis une note au service d’analyse et de prévention, qui dépend du Ministère de justice et police (DFJP), pour indiquer le «vrai» motif de l’annulation de la visite de Micheline Calmy-Rey.

Cette note aurait été transmise à la ministre en charge du DFJP, Ruth Metzler. Qui aurait, à son tour, informé le président de la Confédération, Pascal Couchepin.

Précisons enfin que la ministre des affaires étrangères aurait été parmi les derniers à être mis au courant de cette affaire.

Si cette version était la bonne, elle poserait bien des interrogations sur la voie suivie par la Turquie pour faire part de ses griefs à la Suisse.

Le coordinateur des services de renseignements de la Confédération, Jacques Pitteloud indique à l’agence de presse ATS qu’il n’a pas été informé des reproches formulés par la Turquie, alors que c’est à son service que doit normalement aboutir ce genre d’information.

De son côté, le Ministère public de la Confédération (MPC) se déclare «stupéfait», selon les termes de son porte-parole. «Nous allons chercher des éclaircissements et les confronter aux faits présentés par la presse», ajoute Hansjürg Mark Wiedmer.

Si les investigations produisaient des indices indiquant qu’il y a bel et bien eu une action des services secrets turcs à l’encontre de Micheline Calmy-Rey, les autorités seraient alors mises en demeure d’ouvrir une enquête pénale pour activités interdites.

Une curieuse affaire qui tombe à pic



En démentant lundi toute activité d’espionnage, Ankara indique que l’explication de cette curieuse affaire est interne à la politique suisse.

Il s’agit-là d’une allusion directe à l’élection du gouvernement fédéral par le parlement qui doit avoir lieu le 10 décembre prochain dans un contexte tendu.

Le résultat des législatives du 19 octobre remet en cause la répartition des partis au sein du gouvernement fédéral.

Ce qui fait dire à certains que Micheline Calmy-Rey aurait été victime d’une manœuvre de sa collègue Ruth Metzler, ministre de la Justice et de la Police et démocrate-chrétienne dont le siège pourrait être menacé.

Cette dernière se serait en effet adressée directement au président de la Confédération, Pascal Couchepin, à propos de la fameuse «note» des services turcs… sans même en informer la socialiste Micheline Calmy-Rey.

Une procédure comminatoire



A noter que la cheffe de la diplomatie a été convoquée à une séance extraordinaire du gouvernement le 3 octobre afin de s’expliquer. Ce qu’elle a fait.

Le Parti socialiste (PS) veut des explications rapides du Conseil fédéral sur le traitement politique de cette affaire. Qui, selon le porte-parole du PS, laisse à désirer.

En clair, Jean-Philippe Jeannerat veut savoir s’il y a «un climat de défiance au sein du gouvernement fédéral qui aurait abouti à une procédure comminatoire, voire accusatoire, envers Mme Calmy-Rey».

swissinfo et les agences

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