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Chasseur de comète cloué au sol pour longtemps

Rosetta devait rencontrer la comète Wirtanen en 2011. (image: ESA) PICTURE - EUROPEAN SPACE AGENCY (ESA)

Déception de Kourou à Berne: la mission spatiale Rosetta ne décollera pas dans les délais. La fusée Ariane 5 est jugée actuellement trop peu fiable.

Les spécialistes de l’Agence spatiale européenne (ESA) vont devoir élaborer un nouveau plan de vol.

«Bien sûr, on s’y attendait un peu, mais c’est quand même une grosse déception», admet Rudolf von Steiger, directeur de l’Institut international des sciences spatiales de Berne.

C’est à Berne en effet qu’a été conçu l’un des instruments équipant la mission Rosetta, certainement la plus ambitieuse jamais planifiée par l’ESA.

Initialement, le vaisseau spatial devait s’envoler le 13 janvier. Mais un mois plus tôt, le 11 décembre, le nouveau lanceur Ariane 5 «dix tonnes» explosait en vol quelques minutes après son décollage.

L’ESA et la société Arianespace décidaient alors de revoir entièrement les normes de sécurité. Le verdict est tombé lundi: même l’Ariane 5 classique est jugée actuellement trop peu fiable pour qu’on lui confie le précieux vaisseau Rosetta.

Risque trop important

Résigné également, Walter Flury, directeur des opérations de calcul de trajectoire de la mission au Centre européen des opérations spatiales de Darmstadt, en Allemagne admet que le risque était trop important.

«Les missions spatiales sont une chose très complexe – particulièrement celle-ci – et nous devons absolument être sûrs que tout est en ordre avant de décider du lancement», concède le mathématicien suisse.

Trois ellipses en dix ans

Selon son plan de vol initial, la mission devait durer dix ans. Pour rejoindre la comète Wirtanen dans les parages de Jupiter (à 770 millions de kilomètres du Soleil), Rosetta aurait emprunté une longue trajectoire en forme de triple ellipse.

Le vaisseau spatial serait d’abord parti en direction de Mars, qu’il aurait atteint en juillet 2005. De là, il aurait rebondi vers la Terre, dont la force de gravité l’aurait propulsé sur une orbite plus large. Après avoir décrit une nouvelle ellipse, il serait revenu passer une seconde fois à proximité de la Terre, en novembre 2007.

Ayant atteint la vitesse suffisante, Rosetta serait alors parti à la poursuite de Wirtanen, qu’il devait atteindre le 29 novembre 2011, au point de son orbite où elle est la plus éloignée du Soleil.

Le vaisseau spatial se serait alors placé en orbite autour de la comète, afin de l’étudier de très près. Autre grande première: Rosetta aurait largué une petite sonde automatique, conçue pour se poser à la surface de l’astre.

Plan de vol à la corbeille

Bien sûr, l’ESA n’entend pas renoncer à la mission. Toutefois, le plan de vol initial est bon pour la corbeille. Pour le respecter en effet, le vaisseau aurait dû impérativement décoller avant la fin janvier.

Les spécialistes vont maintenant plancher sur de nouveaux calculs de trajectoire et une décision devrait être prise en mai.

Au moins deux grandes options sont possibles. Soit on remplace le transit vers Mars par un passage à proximité de Vénus, soit on vise une autre comète que celle de Wirtanen.

Mais quel que soit le plan choisi, le décollage ne pourra pas avoir lieu avant novembre 2003.

Les origines de la vie…

Parmi les instruments embarqués à bord du vaisseau, le spectromètre Rosina a été conçu par la Division de la recherche spatiale de l’Université de Berne, en collaboration avec huit autres instituts dans le monde, pour un coût total de près de 60 millions de francs suisses.

«Rosina est un assemblage de trois senseurs différents qui vont nous permettre d’analyser la poussière et les gaz qui s’échappent de la comète», explique Kathrin Altwegg, qui travaille depuis sept ans sur le projet.

«Mais ce qui nous intéresse le plus, c’est la matière organique», poursuit la physicienne bernoise. Les analyses antérieures ont en effet montré que les comètes peuvent receler des molécules complexes, riches en carbone, en hydrogène, en oxygène et en azote.

Et ces éléments abondent dans les acides nucléiques et les acides aminés, qui sont les briques fondamentales de la vie.

…et celles des océans

Les scientifiques sont très curieux de savoir si les premières molécules organiques peuvent avoir été apportées sur Terre par les comètes.

«On a même émis l’hypothèse que l’eau, recelée par notre planète, pourrait venir des comètes, ajoute Kathrin Altwegg. Si nous pouvons examiner de près l’eau qui se trouve sur le noyau de l’astre, nous aurons un indice pour savoir si l’hypothèse tient ou si elle ne tient pas.»

Dure comme la glace ou molle comme la neige

Au moment de son rendez-vous avec Rosetta, la comète (quelle qu’elle soit) se présentera comme une grosse boule de neige sale. A cette distance du soleil en effet, les comètes n’ont pas de queue.

Le vaisseau spatial s’approchera à près d’un kilomètre du noyau et larguera une petite sonde-robot, qui devrait atteindre la surface et parvenir à s’y ancrer.

«Personne n’a jamais essayé d’atterrir sur une comète, rappelle Kathrin Altwegg. Et nous ne savons pas si la surface est dure comme de la glace, ou molle comme de la neige.»

Unis sur 600 millions de kilomètres

Mais la mission de Rosetta ne se limitera pas à larguer la sonde. Satellisé autour de la comète, le vaisseau spatial va l’accompagner durant près de deux ans dans sa course vers le Soleil, à la vitesse folle de 135 000 kilomètres à l’heure.

Les instruments embarqués à bord auront ainsi tout loisir d’analyser les particules de poussière et de gaz qui s’en échappent. Plus la comète approchera des zones chaudes du système solaire et plus ces dégagements seront importants, jusqu’à former la queue de l’astre.

Ce voyage conjoint – sur plus de 600 millions de kilomètres – constitue lui aussi une grande première. Jusqu’ici, seule Giotto avait pu s’approcher d’une comète, mais de manière infiniment plus fugace.

C’était en 1986. La sonde européenne était passée à 600 kilomètres du noyau de la comète de Halley et cette rencontre-éclair avait obligé les scientifiques à concentrer leurs observations sur un laps de temps d’à peine une demi-heure.

La matière des premiers âges

Les comètes sont des résidus de la formation du système solaire. Elles contiennent des échantillons de la matière originale à partir de laquelle le Soleil et les planètes se sont constitués, il y a 4,6 milliards d’années.

Depuis cette lointaine époque, la matière dont sont faites la Terre et les autres planètes s’est modifiée sous l’effet des processus géologiques, chimiques et biologiques. Les comètes et certains astéroïdes, par contre, n’ont pas subi ces évolutions.

«C’est du matériau originel. Les comètes vont nous en apprendre beaucoup sur la création et l’évolution de notre système solaire», résume Walter Flury.

La clé des origines

Finalement, si l’ESA a choisi le nom de Rosetta, c’est en référence à la pierre de Rosette, qui permit à Champollion de déchiffrer les hiéroglyphes de l’ancienne Egypte.

De la même manière, les scientifiques espèrent que les données transmises par radio depuis les profondeurs du système solaire permettront de déchiffrer quelques-uns des mystères de ses origines.

swissinfo, Vincent Landon et Marc-André Miserez

Rosetta: une boîte d’aluminium de 2,8 x 2,1 x 2 mètres.
Le vaisseau spatial et sa sonde contiennent 21 instruments scientifiques, dont un a été conçu à l’Université de Berne.
Coût initial de la mission: 1,5 milliard de francs suisses.

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