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L'extension de Tuvalu, ici l'objet d'un timbre poste, est de celles qui peuvent valoir de l'or. Keystone

Une nouvelle révolution de l’Internet est en marche. Pour être plus visibles sur la Toile, entreprises et communautés pourront à l’avenir remplacer le «.com» ou le «.ch» de leur adresse par un «.migros» ou un «.basel». Mais à qui profite ce grand chambardement ?

Un week-end en vue dans la Ville Lumière ? Tapez «hotel.paris» sur votre clavier pour trouver votre hébergement, puis «notre-dame.paris» si vous êtes décidé à gravir les 387 marches de la tour sud ou «theatre.paris» pour ne pas rater le spectacle dont on cause… Mais avant ceci, il faut penser au souper: tapez «ouchy.migros» pour avoir les heures d’ouvertures et les actions en cours du supermarché du coin.

Cet internet intuitif, ou la barre d’adresse du navigateur ferait quasiment office de moteur de recherche, c’est pour demain. Le 20 mai à Singapour, le conseil d’administration de l’Icann, l’organisme mondial en charge de la gestion des noms de domaine, a approuvé la création de nouvelles extensions qui viendront s’ajouter aux classiques «.com», «.org» ou «.net». La liste est potentiellement infinie, puisqu’il peut s’agit d’une marque, d’une ville ou d’une région, ou d’un terme générique, comme «.sport», «.green», «.free», ou «.gay».

Prudence

Il aura fallu des années de discussions pour en arriver à ce que certains chroniqueurs saluent comme un changement «historique». Lequel vient à point nommé: selon l’Icann: pratiquement tous les mots jusqu’à cinq lettres sont déjà attribués dans l’extension «.com».

Malgré cela, les candidats ne se pressent pas au portillon: à six mois de la date de dépôt des dossiers pour le premier round, les postulants annoncés ne sont guère plus de 120. Parmi eux, une petite moitié de villes ou de régions, et une grosse moitié d’extensions génériques. Quant aux marques, elles ne sont pour l’heure que trois en lice: les géants japonais de l’image Canon et de l’électronique Hitachi et le cabinet d’audit américain Deloitte, leader mondial du secteur.

Coordinateur du secrétariat permanent de l’association CORE (Conseil des registraires internet), Werner Staub s’attend toutefois à voir «des milliers de marques se réveiller et déposer leur demande d’ici à la fin de l’année, un peu dans la panique». Car, souligne cet expert qui travaille notamment sur le dossier de la future extension «.paris», «l’Icann a toujours tendance à prendre du retard, et si les marques n’y vont pas maintenant, elles risquent de devoir attendre des années».

Une intuition que confirme un coup de sonde auprès de quelques grands noms de l’économie et du monde associatif suisses. Ainsi, le géant du commerce de détail Migros confirme que les dépôt d’une demande est à l’étude, sans pouvoir encore dire «si, comment ni quand» la chose se fera. Prudence également chez son rival Coop, qui va «examiner l’option» mais dit vouloir «bien peser le pour et le contre, au vu des coûts».

Il faut savoir en effet que l’Icann facturera 185’000 dollars à chaque postulant, plus 25’000 dollars annuels de frais de gestion. Des sommes que cet organisme à but non lucratif justifie par le frais d’études de chaque candidature, qui s’accompagnera d’un dossier de près de 200 pages.

Bâle seul en lice

L’opérateur de télécoms Swisscom, le groupe électro-technique ABB et le géant bancaire UBS admettent tous trois vouloir examiner ou être en train d’examiner la possibilité de déposer une demande, tandis que le groupe horloger Swatch se refuse à toute communication sur le sujet.

A l’opposé, l’assureur La Mobilière et la régie des Chemins de fer fédéraux (CFF) répondent clairement qu’ils ne sont pas intéressés pour l’instant. Le premier parce qu’il n’en voit pas l’utilité «ni pour l’entreprise, ni pour ses clients» et le second parce que cela «n’apporterait pas grand-chose à l’entreprise, au vu de son domaine d’activités très limité géographiquement».

Du côté des ONG, si le WWF dit ne pas encore s’être penché sur la question, Caritas, avec ses 165 organisations dans le monde envisage sérieusement de déposer une demande. Mais pour l’heure, le seul dossier de candidature suisse déjà ficelé est celui de la Ville de Bâle («.basel»). Le canton et la ville de Zurich envisagent la question.  

Et on y gagne quoi ?

Pour Werner Staub, l’avantage de ces nouvelles extensions est double. Les entreprises pourront gérer totalement ce qui se publie sous leur nom, et les utilisateurs pourront s’épargner le détour par un moteur de recherche, qui peut enregistrer et stocker le profil de chaque utilisateur du web.

«Cela devrait également limiter le cybersquatting, renchérit Stéphane Koch, ancien président de l’Internet Society à Genève. Comme il y avait très peu de règles au début, on a vu des noms de domaine achetés et revendus pour des millions, alors qu’ici, avec la finance d’entrée et les conditions assez strictes qui sont posées, les spéculateurs y regarderont à deux fois».

Pas question en effet d’acheter (de louer en fait) le «.microsoft» si vous n’êtes pas la société du même nom. Mais malgré cela, les conflits seront inévitables.

Que l’on pense simplement au «.orange», qui peut se rapporter à un comté de Californie, à une province d’Afrique du Sud, à une ville de France ou à un opérateur européen de télécoms. «Si chacun dépose une demande, explique Stéphane Koch, il y aura un arbitrage. Et s’il échoue, ça se règlera aux enchères. Ici, une petite ville risque de ne pas faire le poids. D’ailleurs, qui dit qu’elle voudra prendre le risque de se lancer ?»

Affaires de gros sous

Certains exemples «pèsent» nettement plus lourd. Comme le «.bank», dont la demande sera déposée par les banques américaines. Pour Werner Staub, qui a travaillé sur le dossier, cette extension est nécessaire, et depuis longtemps. On ne la donnerait qu’aux banques qui offrent toutes les garanties de sécurité, afin d’éviter bien des déconvenues à la clientèle.

Pour autant, devenir locataire de cette extension ne sera pas l’affaire du siècle. «Il ne faut pas mélanger les ordres de grandeur, tempère le spécialiste. D’abord, ce «.bank» devrait être géré internationalement et ne pas servir à enrichir quelqu’un. Et même si l’organisme qui l’obtient facture 10’000 dollars par an à chaque utilisateur, cela reste très bon marché par rapport aux contrôles qu’il faudra faire et aux sommes que les banques brassent sur Internet».

Werner Staub ne voit donc pas une extension comme le «.bank» se négocier aux enchères à coups de millions. Pour lui, ce serait juste «de la folie».

Ces nouvelles extensions ne tueront pas pour autant le cybersquatting. Ainsi, la société japonaise Interlink a organisé un concours en ligne pour choisir l’extension future préférée des internautes. Le gagnant est «.earth», dont le dossier sera déposé l’an prochain à l’Icann. A voir les noms des viennent-ensuite («.free», «.smile», «.art» ou «.lol»), difficile d’en déduire une logique autre que purement commerciale.

Mais après tout, un des buts de l’opération n’est-il pas précisément de désengorger le «.com» ?

77.109.137.184: lorsque vous tapez www.swissinfo.ch, c’est en réalité sur cette adresse chiffrée que vous envoie votre navigateur. La liste des correspondances entre ces adresses chiffrées et les adresses en toutes lettres est stockée sur les serveurs racine, qui sont le cœur même de l’Internet. Au nombre de 13 au départ (dont 10 aux Etats-Unis), ces serveurs sont aujourd’hui plus de 300, répartis dans le monde.

Icann, (Internet corporation for assigned names and numbers), est la société privée à but non lucratif de droit californien qui gère depuis 1998 ces serveurs et les données qui s’y trouvent. Précédemment, cette tâche était dévolue à des agences relevant directement du gouvernement américain.

«.marque». L’ouverture prévue aux nouvelles extensions verra un premier round de dépôt des candidatures s’ouvrir entre le 12 janvier et le 12 avril 2012. Les résultats seront connus en novembre et les sites munis des nouvelles adresses seront opérationnels dès le début 2013. A cette époque pourrait (mais rien n’est encore officiel) s’ouvrir un second round de candidatures.

Avec la facilité qu’elle devraient offrir à l’utilisateur, les nouvelles extensions risquent-elles de faire perdre du trafic aux moteurs de recherche. Au siège suisse du plus gros d’entre eux, on ne peut pour l’instant «fournir aucune information à ce sujet».

Google confirme par contre être prêt pour l’arrivée de ces nouvelles adresses. «Nous avons l’expérience du classement et du retour des pages web, quel que soit le nom de domaine. Si le meilleur résultat est un nom de domaine avec une nouvelle extension, nous allons continuer à placer cette page au sommet des résultats que nous offrons à nos utilisateurs», nous écrit le porte-parole de Google.

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