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Des milliers de mariages forcés en Suisse

Ajmal A. a été condamné à 18 ans de prison pour avoir battu à mort sa femme. Elle avait demandé le divorce après un mariage arrangé. Keystone

Des milliers de femmes vivant sur territoire helvétique seraient concernées par cette pratique, selon Surgir, qui a commandé la première étude sur ce sujet en Suisse.

La fondation appelle le gouvernement à mettre en place une stratégie nationale afin d’aider les victimes atteintes physiquement et psychologiquement.

Active contre les violences envers les femmes, la Fondation Surgir a présenté les résultats de cette étude mercredi à Genève. Sa présidente Jacqueline Thibault a qualifié l’ampleur du phénomène d’«énorme».

«L’étude sera présentée aux autorités suisses. Elles devront se décider à agir», a-t-elle déclaré à swissinfo. «Il n’y a actuellement aucune stratégie concernant les mariages forcés en Suisse».

Afin de se faire l’idée la plus exacte possible du nombre de personnes concernées par cette pratique sur le territoire helvétique, Surgir a interrogé une cinquantaine d´institutions tels que des centres pour migrants et des foyers pour femmes, ceci dans les cantons de Vaud, Genève, Fribourg, Berne, Zurich et Bâle.

La pointe de l’iceberg

Au sein de cet échantillon, les auteurs de l´étude ont dénombré au moins 400 cas où une jeune femme (dans deux cas un jeune homme) a été mariée de force ou a subi de fortes pressions en ce sens.

Sur ce total, 140 nouveaux cas ont été portés à la connaissance des associations questionnées en l´espace d´un an et demi seulement, entre janvier 2005 et mai 2006. Selon Surgir, l’absence de données rend difficile toute évaluation exacte. D’autant plus que les victimes ont généralement peur de parler.

«Il ne s´agit là que de la pointe de l´iceberg», a pour sa part fait remarquer Jacqueline Thibault.

Pour un panorama complet, il aurait fallu interroger les quelque 2000 institutions susceptibles d´être confrontées au problème. En extrapolant les résultats, «on peut penser que la Suisse dénombre des milliers de victimes du mariage forcé».

Victimes âgées de 13 à 18 ans

Selon elle, une prise de conscience est néanmoins en train de se faire. Un Pakistanais de 26 ans a par exemple récemment été condamné à 18 ans de prison pour avoir battu sa femme à mort avec un marteau.

Agée de 21 ans, son épouse – qui vivait en Suisse depuis l’âge de trois ans et qui possédait un passeport suisse – avait demandé le divorce après seulement quatre mois d’un mariage arrangé.

Pour Jacqueline Thibault, la justice a donné par là un signe fort selon lequel ce genre de «crime d’honneur» ne devait pas être toléré.

D’après l’étude, les cas recensés se produisent surtout dans des familles originaires d´Ex-Yougoslavie, du Moyen-Orient, d´Asie centrale, du Maghreb et d´Afrique noire.

Un tiers des victimes sont âgées de 13 à 18 ans seulement. Le phénomène concerne surtout des femmes souvent très jeunes, issues de milieux modestes. La plupart du temps, la personne est mariée de force dans son pays d´origine à un époux ou une épouse choisi/e par sa famille.

Elle risque le rejet complet de sa famille ou de sa communauté, voire un crime d´honneur, si elle refuse l´union. «Les victimes se retrouvent dans une grave détresse émotionnelle», souligne Jacqueline Thibault. «La justice n´est que peu armée pour lutter contre le phénomène.»

Sept places à Zurich

Le mariage forcé vient de la volonté des communautés concernées, déracinées, de préserver leur identité en faisant venir un époux ou une épouse du pays d’origine. Les unions sont parfois organisées comme de véritables guets-appens, le mariage étant alors imposé par surprise lors d’un voyage au pays.

Pour les victimes, il est difficile de savoir auprès de qui chercher de l’aide. Les institutions existantes ne s’occupent de la problématique que de manière périphérique.

Seule une association, la “Mädchenhaus” à Zurich, s’adresse directement à elles. Sa capacité d’accueil est de sept personnes. Pour Surgir, des mesures s’imposent.

Outre une campagne de sensibilisation nationale, la fondation recommande la création de nouveaux lieux d’accueil et la mise en place d’une ligne téléphonique d’urgence. Elle préconise aussi un renforcement de l’arsenal législatif suisse afin de mieux sanctionner cette pratique.

swissinfo et les agences

La Fondation Surgir a été fondé en 2001 et a son siège à Lausanne.
Elle a pour objectif de lutter contre toutes les formes de violences – physiques, psychologiques, sexuelles ou sociales – commises à l’endroit des jeunes filles et des femmes.
La fondation offre un soutien financier à plusieurs ONG dans divers pays du Moyen-Orient, dont par exemple la Jordanie, le Yémen, le Liban et les territoires palestiniens.

Selon Surgir, les mariages forcés violent la Convention des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, la Déclaration universelle des droits de l’Homme et plusieurs articles du code civil suisse.

D’après Surgir, est victime d’un mariage forcé tout individu marié contre sa volonté suite à des contraintes d’ordre physique ou psychologique.

Les personnes qui fuient pour éviter un mariage sont également des victimes de cette pratique.

Pour Surgir, le mariage arrangé, pour autant qu’il soit accepté par les deux parties, ne viole pas les droits de l’Homme.

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