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En Suisse, le gouvernement a un pouvoir très relatif

L'ordre régnait encore en ce 22 septembre, avec l'élection de Simonetta Sommaruga et Johann Schneider-Ammann au gouvernement. Keystone

La répartition des portefeuilles entre les ministres déjà en place et les nouveaux élus a provoqué la semaine dernière de fortes tensions entre les partis. Mais est-ce si important? Le pouvoir, en Suisse, n’est-il pas ailleurs? L’avis de deux politologues.

L’indignation des deux plus grands partis de Suisse n’est pas retombée, une semaine après l’annonce de la grande rocade des ministères entre les sept conseillers fédéraux du gouvernement. Le Parti socialiste (PS) et l’Union démocratique du centre (droite conservatrice, UDC) se sentent toujours floués.

Les partis du centre-droit ont en effet manœuvré pour s’arroger les départements considérés comme les plus importants. Or l’indignation de la gauche et de la droite conservatrice est justifiée, aux yeux de deux politologues interrogés par swissinfo.ch.

«Les répartitions de départements ne sont pas sans importance, car l’influence politique des ministres n’est pas la même partout», estime ainsi le professeur de l’Institut des sciences politiques de l’Université de Berne Wolf Linder.

Pour son collègue Iwan Rickenbacher, les partis souhaitent «voir leurs conseillers fédéraux présents aux postes œuvrant le plus à leurs principaux intérêts politiques».

Surreprésentation

Pour l’UDC, qui estime que la rocade décidée est «irresponsable», «changer quatre départements à une année des élections fédérales est un coup de force». Pour le PS, cette répartition est une «pure démonstration de force».

Représentant 30% de poids électoral ensemble, les partis du centre-droit occupent 76 des 200 sièges au Conseil national. Mais ils ont désormais quatre départements clés au Conseil fédéral.

Le Parti socialiste reproche surtout à l’actuelle présidente de la Confédération, la démocrate-chrétienne Doris Leuthard, d’avoir placé ses intérêts personnels, ceux de son parti et ceux d’Economiesuisse au-dessus de la collégialité qu’elle dit pourtant vouloir défendre.

C’est ainsi que la question, une nouvelle fois, se pose de savoir où est le véritable pouvoir en Suisse. Les politologues sont unanimes: il est partagé entre le gouvernement, l’administration, le Parlement, quelques politiciens d’opposition, les associations et, finalement, le peuple, qui dispose de droits tels que le droit d’initiative.

Pouvoir surestimé mais croissant

Le grand public a tendance à surestimer le poids du Conseil fédéral, selon Iwan Rickenbacher. «Son pouvoir consiste principalement à établir l’agenda politique».

«Avec l’européisation et la globalisation, qui font que les accords internationaux deviennent de plus en plus importants, le poids des exécutifs augmente, en Suisse également. Le Parlement ne délibère pas sur ces traités internationaux, il doit ‘juste’ les accepter ou les refuser», précise Wolf Linder.

Continuité garantie par l’administration

L’administration a également vu son pouvoir augmenter ces dernières années, selon les deux politologues. Celle-là est aussi le garant d’une certaine continuité, tandis que la politique avance parfois de façon «vraiment agitée et, parfois, en zigzag», selon le professeur de Berne.

«Parfois, les personnes clés des départements sont les chefs d’offices ou les secrétaires généraux», appuie Iwan Rickenbacher. «Mais c’est le style de direction du ou de la ministre qui détermine le pouvoir du secrétaire général.»

En d’autres termes: le ministre a le pouvoir d’avoir moins de pouvoir.

Les deux politologues ne sont pas du même avis en ce qui concerne le poids des Chambres fédérales. Pour Iwan Rickenbacher, l’influence d’un parlement de milice reste relativement faible. Wolf Linder considère au contraire que «le rapport de forces est équilibré» entre le parlement et le gouvernement.

Parlementaires lobbyistes

Quant à l’influence de l’économie, Iwan Rickenbacher, lobbyiste lui-même, n’y va pas par quatre chemins: «Dans un système comme le nôtre, les lobbyistes les plus puissants sont les parlementaires représentant des associations fortes, en en étant parfois même salariés, et qui transmettent leurs revendications directement au sein des commissions législatives.»

«Les grandes associations ont une très grande influence, ajoute-t-il. Celle des patrons, les syndicats ou encore l’union des paysans sont plus anciennes que les partis, ce qui montre bien leur importance.»

Wolf Linder relativise quelque peu en soulignant que toutes les associations ne disposent pas des mêmes réseaux. L’industrie pharmaceutique parvient mieux à faire passer ses positions que les paysans, selon lui.

En général, ajoute-t-il, «l’influence de l’industrie d’exportation et des patrons de cette branche est devenue plus forte, tandis que les syndicats perdent en importance.»

Rencontre secrète

Iwan Rickenbacher et Wolf Linder contestent d’une même voix l’importance d’une rencontre souvent qualifiée d’«ultra secrète» entre les conseillers fédéraux et les capitaines de l’industrie, une fois par année, à «Rive-Seine», dans un hôtel de Nestlé entre Montreux et Vevey.

Il y a d’autres rencontres de ce genre, explique Iwan Rickenbacher. Leur but est d’essayer de mettre en lumière des questions générales et de dresser un état des lieux sur certains problèmes.

Les deux politologues estiment que ces rencontres sont plutôt positives. «Ce qui me dérange, c’est que la confidentialité soit imposée et que le grand public n’en sache rien», critique toutefois Wolf Linder.

Démocratie directe

Et lorsqu’on énumère les décideurs de la politique suisse, il ne faut pas oublier le peuple, ajoutent les deux spécialistes. Il oblige les partis à collaborer pour trouver des compromis susceptibles de réunir une majorité en votation.

«Ce qui montre, note Wolf Linder, que nous avons besoin de la concordance.» «Et le peuple suisse est très conscient de ce pouvoir qu’il assume courageusement», conclut Iwan Rickenbacher.

La présidente de la Confédération Doris Leuthard (PDC) passe du Département fédéral de l’économie (DFE) au Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC).

Eveline Widmer-Schlumpf (PBD) laisse le Département de justice et police (DFJP) pour reprendre le Département fédéral des finances (DFF).

Johann Schneider-Ammann (PLR) reprend le Département fédéral de l’Economie (DFE) et Simonetta Sommaruga (PS) se voit hériter du Département fédéral de Justice et Police (DFJP).

Micheline Calmy-Rey (PS) reste au Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), le ministre de l’Intérieur Didier Burkhalter (PLR) reste également dans son Département des finances, de même que le ministre de la défense Ueli Maurer (UDC).

(Traduit de l’allemand par Ariane Gigon)

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