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La justice en question

Patrick Dils à sa sortie de la prison St-Paul de Lyon, le 24 avril 2002. Keystone Archive

Acquitté après 15 ans de prison en France, Patrick Dils tente de se reconstruire. La Suisse est-elle à l'abri de telles erreurs judiciaires?

Patrick Dils travaille, depuis une semaine, en tant que magasinier dans une imprimerie de la région parisienne. Brisé par son destin tragique, mais enfin libre.

Début avril, ce jeune homme de 31 ans est passé, d’un coup, du statut d’assassin à celui de victime du système judiciaire français. Les juges l’ont innocenté du meurtre de deux enfants, tués en septembre 1989 en Moselle.

Mais cette liberté, Patrick Dils l’a arrachée au terme d’un parcours judiciaire chaotique. Jalonné de doutes, de désillusions et d’espoirs.

Au total, il aura fallu trois procès et de nouveaux témoignages – attestant notamment de la présence d’un tueur en séries sur les lieux du crime – pour que la justice française finisse par casser son premier verdict de réclusion criminelle à perpétuité.

L’aveu n’est pas une preuve

Que reste-t-il aujourd’hui des charges qui ont fait basculer la vie de Patrick Dils? Juste une série d’aveux. Des aveux certes terriblement troublants. Mais qui, aux yeux des professionnels de la justice, ne constituent en aucun cas des preuves irréfutables.

Et cela d’autant que Patrick Dils, âgé de 16 ans au moment des faits, s’est rétracté un mois après avoir avoué son prétendu crime.

De cette sombre affaire, il reste aussi de multitudes interrogations sur le fonctionnement de la justice et ses dysfonctionnements. Non seulement en France, mais également en Suisse.

En l’occurrence, la justice helvétique ne peut – elle non plus – faire l’économie d’un examen de conscience. Elle n’a, en effet, pas échappé à un certain nombre de dérapages.

Les injustices suisses

Bruno Zwahlen en est une illustration patente. Condamné à perpétuité pour le meurtre de son épouse en 1987, il a été innocenté après avoir passé cinq ans et demi en prison. Il a reçu 411 000 francs pour tout dédommagement.

Autre exemple, celui de Sébastian Hoyos. Condamné à tort en 1992 pour avoir participé au hold-up de l’UBS à Genève, il ne sera acquitté que quatre ans plus tard. Il quittera le pénitencier avec 150 000 francs de dommages et intérêts en poche.

Même injustice à l’égard de Henri Poular. Condamné pour brigandage en 1990, il a purgé trois ans et demi de réclusion avant d’être lavé de tous soupçons. La Haute Cour de justice lui a octroyé 370 000 francs pour solde de tout compte.

Et la liste n’est pas exhaustive. Car, elle ne prend en compte que les cas d’erreur officiellement reconnus par le système judiciaire.

«La justice est une affaire d’homme. On ne peut donc pas espérer qu’elle soit infaillible», lance André Kuhn, professeur de droit pénal et de criminologie à l’université de Lausanne.

Le doute doit profiter à l’accusé

Mais, le doute doit toujours profiter à l’accusé dans tout système judiciaire qui se respecte, assène André Kuhn. «Lorsque cet adage ne se vérifie pas, c’est que les magistrats ont fait une interprétation douteuse du droit». Ce point de vu est, de façon générale, partagé par les hommes de loi.

«Dans l’affaire Dils, on constate qu’il y a eu une mauvaise application des règles de procédure pénale», renchérit Pierre Seidler, avocat et ancien magistrat jurassien.
Il attribue la destinée tragique de Patrick Dils à «la mauvaise appréciation des preuves et à des défaillances de l’organisation judiciaire».

La Suisse, régie par 26 procédures pénales cantonales, n’est-elle pas à la merci de tels dérapages? La question reste ouverte.

«Une chose est sûre, ces quinze dernières années les cantons ont fait de réels efforts pour améliorer notamment les droit de la défense», affirme Pierre Seidler.

«Aujourd’hui, et malgré les différentes interprétations cantonales de la loi, je ne crois pas qu’un cas tel que celui de Patrick Dils puisse encore se produire en Suisse» précise encore Pierre Seidler.

Trop d’innocents en prison

Faux rétorque le président de l’Appel au peuple, une association de défense des intérêts des justiciables. «Les prisons abritent encore trop d’innocents inculpés sur des faisceaux d’indices plutôt que sur des preuves tangibles», affirme Ulrich Gerhard.

Et d’ajouter «la corruption des magistrats, ou même le simple copinage qui règne au sein de la profession permet encore de couvrir pas mal d’abus».

Cette accusation n’est d’ailleurs pas entièrement démentie par les professionnels de la justice. Du moins pour les cas impliquant de la détention préventive.

Préserver une certaine image

«Les criminologues ont en effet l’impression que dans le cadre de certains procès, les juges s’arrangent parfois pour infliger des peines équivalentes au temps de détention déjà accompli par le prévenu», confirme André Kuhn.

Une manière de préserver l’image de la justice, d’éviter le versement de compensations financières ou de protéger les méthodes employées par les confrères de l’instruction? Là aussi, la question reste sans réponse définitive.

Comme l’affirme André Kuhn en guise de conclusion: «aucune de ces hypothèses n’est exclue ni clairement démontrée».

swissinfo/Vanda Janka

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