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Maurice Schobinger, de Stalingrad à Volgograd

Entre passé soviétique et présent russe, la Volga reste la même. Maurice Schobinger

Le photographe suisse Maurice Schobinger rend hommage à la ville qui a tenu tête à Hitler. Passé soviétique et présent russe se croisent dans une série de clichés sensibles. Exposition à voir à Lausanne.

En amont de l’exposition, une lecture récente et des souvenirs de famille qui remontent à très loin. La lecture d’abord, saisissante, des «Carnets de guerre» de l’écrivain russe Vassili Grossman. Maurice Schobinger découvre, en 2007, ces «Carnets» qui relatent la bataille de Stalingrad, en 1942-43. Horreur et grandeur d’un affrontement titanesque sur la rive ouest de la Volga. L’armée soviétique contre l’armée allemande. Au final, victoire de Staline sur Hitler.

Ensuite les souvenirs, ancrés dans la mémoire enfantine de Schobinger. «J’ai une grand-mère russe, confie ce dernier. L’Histoire, je l’ai déchiffrée avec elle, et non dans les livres. Ce qu’elle me racontait rendait hommage, en quelque sorte, à ceux qui ont combattu le nazisme».

Le choix du front de l’Est

Même volonté, aujourd’hui, chez le petit-fils, photographe de son état, établi à Lausanne, né d’un père suisse qui a vécu à Londres durant la Deuxième Guerre et qui a pris la nationalité britannique. «Avec un père anglais et une grand-mère russe, j’aurais pu «m’engager» d’un côté comme de l’autre des deux fronts, relève Maurice Schobinger.

«J’ai choisi le front de l’Est parce que c’est une partie de l’Histoire à laquelle l’Occident ne s’est pas beaucoup intéressé. Son importance et la souffrance du peuple russe sont peu connues ici».

Armé donc des «Carnets» et de la voix de sa grand-mère, Schobinger se rend à Volgograd – anciennement Stalingrad. Cinq voyages entre 2008 et 2010, et au bout du compte une exposition de photos, présentée actuellement à Lausanne (avant Genève, Zurich et Vevey), sur la place Montbenon, en plein air.

Le passage du temps

Deux immenses cubes métalliques, couleur rouille, sans toits, comme les immeubles décapités de l’ancienne Stalingrad, accueillent les photos. Ici, la mémoire se livre à ciel ouvert. Un ciel gris, comme le jour de notre visite à Lausanne. Comme autrefois le ciel de Stalingrad que l’on imagine congestionné par la fumée des bombes. Que l’on imagine seulement. Car Stalingrad n’existe sur les photos que dans son rapport au présent, qu’elle tisse avec Volgograd sa puînée. Le passage du temps. Voilà ce que reproduisent les clichés de Schobinger.

«Stalingrad n’est plus. Volgograd vit», lâche le photographe qui capte ici la mémoire dans ce qu’elle a de plus prégnant. La Volga surtout, représentée en plusieurs clichés, glaçante et glaciale, héroïne incontestée qui usa de ses eaux gelées comme d’une arme fatale pour repousser les Allemands.

Sur ses rives, des promeneurs, malgré le froid, et un peu plus loin, une usine métallurgique connue sous le nom d’«Octobre rouge». Autrefois, elle ravitailla en armements les soldats de Staline. Elle fut un mythe. Rénovée, elle est aujourd’hui un ogre dans les entrailles duquel est entré Schobinger pour y photographier les machines et les hommes.

Résistance à toutes les oppressions

L’usine turbine. Et ses ouvriers fixent la caméra, un sourire absent sur les lèvres. Même sourire dans les portraits de vétérans réalisés par le photographe. Quelque chose de rude filtre de ces visages qui semblent retenir l’expression d’un passé douloureux. Celui-ci ressurgit dans l’espace urbain. Sur une esplanade au pavé mouillé par la pluie, un carrousel tourne. Les sièges volants sont restés vides. Schobinger dit: «Ils auraient pu être occupés par tous les enfants que la guerre a tués».

Face à la douleur, une voix s’élève néanmoins. Elle est celle d’une femme vaillante, Serafima Voronina, une enseignante de Stalingrad, qui durant le siège de la ville a dû travailler à l’ «Octobre rouge» pour nourrir les siens. Au cours de l’hiver 1942, elle a tenu un journal intime retrouvé, 30 ans après, par un soldat russe.

Maurice Schobinger est tombé sur ce journal grâce à un heureux hasard. Il y a puisé quelques phrases qui s’inscrivent sur ses photos comme autant de réflexions sur la monstruosité de la guerre, «un jeu de marionnettes».

Le journal de Serafima est une forme de résistance à toutes les oppressions. Inédit jusqu’ici, il sera publié dans son intégralité, en accompagnement des photos de Maurice Schonbinger. L’ouvrage sortira en juin aux Editons Noir sur Blanc, à Lausanne. Un hommage!

Ghania Adamo, swissinfo.ch

Lac. Photographe suisse indépendant, établi depuis 25 ans sur les rives du Léman.

Monts. Il est notamment connu pour ses images sur la haute montagne ainsi que pour ses travaux sur des sujets industriels.

Trous. Depuis 1999, il illustre le chantier Alp/Transit Gotthard pour le compte de diverses entreprises.

Métro. Il a également été le photographe officiel du chantier du métro M2 à Lausanne (2004-2008).

Aide. Pour son exposition «Stalingrad-Volgograd», il a bénéficié du soutien financier de la Ville de Lausanne et du sponsoring privé suisse.

Russie. A noter que l’exposition a été présentée en mai, à Moscou, au Musée Central de la Grande Guerre Patriotique, à l’occasion du 65e anniversaire de la fin de la Deuxième Guerre.

«Stalingrad-Volgograd Mémoire». Exposition de photos à voir jusqu’au 6 juin à Lausanne, Place Montbenon.

Du 11 juin au 4 juillet, à Genève, Parc de l’Ariana. Du 9 au 14 août, à Zurich, à la Hauptbahnhof. Du 4 au 26 septembre, à Vevey, Place Scanavin.

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