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Révélations sur «l’affaire» des fonds juifs

L'ex-sénateur Alfons D'Amoto aux côtés de Greta Beer, la première plaignante juive. Keystone Archive

Pour la première fois, les protagonistes de l’affaire des fonds en déshérence racontent les dessous de la crise entre la Suisse et les Etats-Unis dans un documentaire.

«Le prix de la paix: Fonds juifs, cinq ans après la tempête» a été réalisé par le journaliste tessinois Mario Casella.

Manœuvres, manipulations, intérêts en jeu et coups bas: un documentaire de la Télévision suisse italienne (TSI) réalisé par Mario Casella – correspondant de la TSI à Washington durant cinq ans – raconte les dessous de l’affaire des fonds juifs.

Ce reportage sera diffusé lundi 8 septembre à 21 h dans le cadre de l’émission «Lunedì Doc».

Des révélations surprenantes

Cinq ans après la signature, le 12 août 1998 à New York, de l’accord historique qui a mis un terme à l’une des plus graves crises entre la Suisse et les Etats-Unis, les principaux personnages de l’histoire font en effet des révélations surprenantes. Mario Casella les a rencontrés aux Etats-Unis, en Suisse et en Allemagne.

Ainsi, le grand accusateur des banques suisses, l’ex-sénateur Alfons D’Amato, aujourd’hui conseiller financier à New York, ne mâche pas ses mots: «La guerre a été brutale, tous les coups étaient permis».

Alfons D’Amato décrit à la TSI les détails des négociations secrètes, menées de 1995 à 1998, entre les banques suisses, les organisations juives et les avocats des lésés.

Il explique par exemple que le contrôle seul – dans 60 banques suisses – de l’existence de comptes avait coûté un milliard de dollars. Des frais couverts par les banques elles-mêmes.

Il rappelle aussi que, durant les transactions, les requêtes américaines avaient atteint la somme fabuleuse de 20 milliards de dollars.

Montant ramené au final à 1,25 milliard grâce à l’intervention de deux médiateurs: Stuart Eizenstat, ancien sous-secrétaire d’Etat dont le rapport a suscité une vive polémique en Suisse, et Edward Korman, juge fédéral.

Lenteur de la distribution



La première juive à avoir soulevé la question des fonds oubliés, Greta Beer, aujourd’hui octogénaire résidant à Boston, raconte son combat de toute une vie.

Fille d’un riche industriel hongrois, elle réclamait la fortune déposée par son père dans les banques suisses avant 1940. A ce jour, elle n’a reçu que 100’000 dollars de dédommagement. «Je ne vivrai plus assez longtemps pour toucher le reste», dit-elle.

Pour sa part, Thomas Borer, ex-chef de la Task Force suisse et ancien ambassadeur, ne cache pas son ironie et son scepticisme: «La plupart des victimes, affirme-t-il, ne verront pas un sou.»

En fait, en cinq ans, seul un tiers de la somme remboursée a été distribuée. L’avocat de l’UBS à New York, Roger Witten, déplore également la lenteur de la répartition alors que l’argent est à disposition.

Thomas Borer, aujourd’hui conseiller financier à Postdam, dans la banlieue chic de Berlin, rappelle aussi comment, en 1997, aucun des sept conseillers fédéraux d’alors ne voulait se charger de ce dossier brûlant. «C’était une patate chaude qu’ils se sont renvoyée pendant des semaines, jusqu’à ce que Flavio Cotti s’en charge.»

Contacté par la TSI à Locarno, où il passe sa retraite, l’ancien chef de la diplomatie suisse a refusé d’être interviewé. Tout comme d’ailleurs, les représentants des grandes banques suisses.

Christoph Meili amer

Enfin, le documentaire met l’accent sur le rôle clé joué par l’ancien gardien de nuit de l’UBS de Zurich, Christoph Meili.

C’est lui qui, en 1997, par hasard, a découvert et récupéré les fameux documents alors qu’ils allaient être détruits. Ils prouvaient l’existence de fonds cachés.

Agé aujourd’hui de 34 ans, Christoph Meili vit aux Etats-Unis depuis six ans. Et il est amer.

Après avoir été porté aux nues, être devenu une célébrité, le Suisse se sent maintenant oublié. «J’ai été manipulé par D’Amato et Fagan (l’avocat des lésés), accuse-t-il. J’ai été une marionnette dans les mains des organisations juives et n’ai reçu, en tout et pour tout, que 325’000 dollars.»

L’ancien employé de l’UBS affirme qu’il ne referait jamais ce qu’il a fait: «J’ai tout perdu, ma famille, ma patrie, mes amis. Ici, je suis isolé, je voudrais rentrer en Suisse.»

Mais le premier Suisse à avoir obtenu l’asile politique aux Etats-Unis craint les foudres de la justice militaire de son pays. Elle pourrait en effet ne pas apprécier l’engagement de Meili, comme réserviste, dans le corps des marines.

swissinfo, Gemma d’Urso, Comano

«Le prix de la paix – Fonds juifs: cinq ans après la tempête» de Mario Casella, lundi 8 septembre à 21 h sur TSI1 dans «Lunedì Doc».

L’accord entre les banques suisses, les organisations juives et les victimes a été signé le 12 août 1998.
La somme de 1,25 milliard de dollars est gérée par l’avocat juif Judah Gribetz nommé par la cour fédérale de New York pour assurer la répartition de l’argent.
A ce jour, 125 millions sont allés aux titulaires de comptes bancaires, 200 millions aux travailleurs forcés des fabriques qui soutenaient le régime nazi (ou mieux à leurs descendants),145 millions ont été versés aux organisations juives et 3,5 millions aux personnes refoulées par la Suisse pendant la Deuxième Guerre mondiale ou à leurs descendants
Il faudra attendre encore plusieurs années pour que toute la somme soit distribuée.

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