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Une journée inoubliable dans la vie d’un réfugié tibétain

Sonam Lhakpa* attend impatiemment l'arrivée du Dalaï-lama à Zurich. Thomas Kern / swissinfo.ch

La diaspora tibétaine en Suisse est l’une des plus importantes au monde. Pour des milliers de personnes, la récente visite du Dalaï-lama à Berne et Zurich a été un moment de retrouvailles et de partages. Sonam Lhakpa, jeune réfugié tibétain, revit les émotions de ce qui pour lui restera «l’un des jours les plus heureux» de sa vie.

Sonam Lhakpa* s’était promis de ne pas pleurer. Pourtant, son cœur a commencé à battre très fort, et sa respiration s’est faite plus lourde. La tête baissée et les mains jointes, il n’a pas réussi à retenir ses larmes. Pendant quelques secondes seulement, «Sa sainteté» s’est trouvée là, juste devant lui.

La communauté tibétaine en SuisseLien externe s’était réunie à l’entrée d’un hôtel de Zurich-Oerlikon pour accueillir Tenzin Gyatso, l’actuel Dalaï-lama. Réservé et peu sûr de lui, Sonam Lhakpa avait réussi à vaincre sa timidité et à se frayer un passage à travers la foule. «J’étais très nerveux», se rappelle ce réfugié de 23 ans, que je rencontre chez lui dans le canton d’Argovie.

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Le Dalaï-lama, il l’avait déjà vu plusieurs fois. Mais seulement sur une photographie qu’il tenait cachée et sur le pendentif qu’il portait au cou lorsqu’il était encore dans son village avec ses parents. «Sur le pendentif, on voyait le visage d’un moine tibétain. Mais si je le retournais, avec le reflet de la lumière apparaissait la figure du Dalaï-lama. C’était mon secret». Au Tibet, affirme-t-il, les images du Dalaï-lama sont interdites. Personne, même pas ses parents aujourd’hui âgés, ne l’a jamais vu en chair et en os.

«Je suis innocent!»

Sonam Lhakpa est né dans un village de la préfecture autonome tibétaine de Garzê, au nord-ouest du SichuanLien externe. Fils de paysans, il n’a jamais particulièrement aimé l’école. Pas tant parce que l’enseignant ne parlait que le chinois, mais parce qu’il préférait flâner avec ses amis et se rendre à bicyclette dans la ville la plus proche. «Là-bas, il y avait un grand terrain de basket», se rappelle-t-il.

Sa vie a changé du tout au tout à l’âge de 20 ans. «Ils me cherchaient. Ils disaient que j’avais fait quelque chose de mal. Mais j’étais innocent!», affirme-t-il. «Ils», c’étaient les militaires chinois. Je lui demande ce qui s’est passé, mais Sonam Lhapka préfère ne rien ajouter. «Excuse-moi», me dit-il. «Ce sont des choses que je ne peux pas raconter. Je ne veux pas mettre en danger la vie de ma famille ». Une famille que le jeune homme a dû quitter d’un jour à l’autre. «Mon père me dit qu’il valait mieux que je parte, pour mon bien».

A pied, en voiture et puis de nouveau à pied, à l’ascension des montagnes de l’Himalaya, Sonam Lhakpa a ainsi fui au Népal. Après avoir obtenu un faux passeport grâce à l’aide d’un oncle, il prévoit de partir pour l’Amérique. «Mais après quelques mois d’attente, mon oncle m’a dit qu’il vaudrait mieux que j’aille en Suisse. Selon lui, j’y trouverais un avenir meilleur», raconte Sonam Lhakpa.

Sans trop savoir où et comment était la Suisse, le jeune exilé a entrepris un deuxième voyage qui l’a conduit d’abord du Népal en Thaïlande, puis dans un pays du Golfe («je ne sais pas exactement où, je me rappelle seulement qu’il y avait beaucoup de musulmans»), et finalement jusqu’en Europe. Seul, il s’est retrouvé dans un train à destination de Kreuzlingen, une ville située dans le canton de Thurgovie, à la frontière entre la Suisse et l’Allemagne. Là, il s’est présenté au centre d’enregistrement pour requérants d’asile et a déposé sa demande. Quelques mois plus tard seulement, on lui a accordé le statut de réfugié. C’était en février 2015.

La Suisse et le Dalaï-lama, un lien particulier

Aujourd’hui, Sonam Lhakpa vit dans une petite commune non loin d’Aarau, le chef-lieu du canton d’Argovie. Grâce à une association pour l’intégration des réfugiésLien externe , il a trouvé une famille disposée à l’accueillir chez elle.

Le jeune Tibétain s’est à peine remis d’un long traitement contre la tuberculose. Il suit actuellement des cours d’allemand et aimerait fréquenter l’école cantonale de formation professionnelle. Son rêve: devenir infirmier.

En ce moment toutefois, il ne pense pas à l’avenir. Ses pensées sont encore tournées vers la visite du Dalaï-lama d’il y a quelques heures. La Suisse a représenté une étape particulière du voyage que le guide spirituel des bouddhistes tibétains est en train d’effectuer en Europe.

C’est en effet dans la Confédération, et en particulier dans les cantons germanophones, que vit la communauté tibétaine en exil la plus importante du continent (quelque 4000 personnes), et parmi les plus grandes du monde après celles d’Inde, du Népal, des Etats-Unis et du Canada. La sœur du Dalaï-lama, Jetsun Pema, vit elle aussi en Suisse.

Un dieu aussi vieillit

Après la rencontre à l’entrée de l’hôtel de Zurich-Oerlikon, Sonam Lhakpa a pu revoir et écouter «Sa Sainteté» le lendemain au cours d’une conférence publique Lien externeà la salle polyvalente de la ville, pleine à craquer pour l’occasion. «J’ai revu de nombreux amis tibétains que j’ai connus au centre d’enregistrement de Kreuzlingen», raconte-t-il. «Et j’ai appris beaucoup de choses sur le bouddhisme. L’enseignement le plus précieux est qu’il ne suffit pas de croire ou d’avoir la foi: il faut aussi effectuer un travail sur soi-même, tous les jours, pour devenir une personne meilleure».

Son cœur est maintenant «en paix», confie-t-il. «Cela a été un des jours les plus heureux de ma vie. Je désire appeler mes parents et tout leur raconter. J’ai vraiment beaucoup de chance. Pour moi, le Dalaï-lama est comme un dieu».

Sonam Lhakpa dit néanmoins éprouver un peu de tristesse. Dans les films qu’il avait réussi à voir en cachette quand il était encore au Tibet, le Dalaï-lama, qui a aujourd’hui 81 ans, semblait relativement en forme. «Aujourd’hui, pour monter sur son siège, j’ai vu qu’il avait besoin de l’aide de deux personnes. Il vieillit».

S’il a un jour l’occasion de revoir le Dalaï-lama et peut-être de lui adresser la parole, Sonam Lhakpa lui souhaitera «longue vie». Et il lui souhaitera de pouvoir retourner un jour au Tibet.

*nom d’emprunt

Les Tibétains en Suisse

Le 7 octobre 1950, une année après la naissance de la République populaire de Chine de Mao Zedong, 40’000 soldats de l’Armée populaire de libération pénètrent dans la région orientale du Tibet.

Une semaine après l’insurrection populaire sanglante de 1959, le Dalaï-lama, alors âgé de 24 ans, fuit de Lhassa en direction de l’Inde. Plus de 80’000 tibétains le suivent dans l’exil en traversant les montagnes enneigées de l’Himalaya.

En automne 1960, le premier groupe de réfugiés arrive en Suisse, et plus précisément dans le Village d’enfants Pestalozzi à Trogen (Appenzel Rhodes-extérieures).

En 1963, le Conseil fédéral autorise l’arrivée dans la Confédération d’un maximum de mille Tibétains. Une année plus tard, il accepte la requête du Dalaï-lama d’ouvrir à Genève un bureau pour son représentant personnel en Suisse, suscitant l’irritation de la Chine.

Aujourd’hui, les Tibétains de Suisse sont au nombre de 4000. Ils constituent la plus grande communauté tibétaine en exil d’Europe. Le centre de la vie spirituelle et culturelle des Tibétains en Suisse est le monastère de Rikon, dans le canton de Zurich.

(Traduction de l’italien: Barbara Knopf)

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