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Elle lutte pour la vie au Somaliland

Edna Adan Ismail aimerait voir diminuer la mortalité maternelle et infantile dans son pays. Sarah Hunter

Femme de combat, de pouvoir et d’action, Edna Adan Ismail a fondé un hôpital au Somaliland, dans la Corne de l’Afrique. Avec cette structure encouragée par la Suisse, la sage-femme et ministre retraitée s’est donné pour mission d’améliorer le système de santé dans son pays, qui connaît l’un des taux de mortalité maternelle et infantile les plus élevés de la planète.

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«Dans mon hôpital, lorsqu’un homme refuse que sa femme subisse une opération qui pourrait lui sauver la vie, je vais chercher un policier. Je demande ensuite au mari de signer devant l’agent une déclaration pour confirmer qu’il souhaite que sa femme meure», raconte Edna Adan Ismail, 78 ans. Rencontrée récemment à Bâle lors de la Conférence annuelle de la coopération suisse au développement, l’ex-ministre des affaires sociales et des affaires étrangères du Somaliland a l’habitude de se battre.

Edna Adan Ismail est considérée comme la première femme somalienne à avoir étudié au Royaume-Uni, ainsi que la première infirmière et sage-femme qualifiée de son pays. Au moment de prendre sa retraite, elle a construit et développé l’«Hôpital Maternité Edna Adan» à Hargeisa, au nord du Somaliland.

«J’ai investi tout mon argent»

Le Somaliland, pays fantôme

Le Somaliland n’apparaît que sur quelques cartes. La communauté internationale n’a jamais reconnu cette république autoproclamée, située dans la corne de l’Afrique.

Ancien protectorat britannique, le Somaliland proclame une première fois son indépendance le 26 juin 1960. Cinq jours plus tard, il fusionne avec la Somalie italienne pour créer la Somalie.

En 1979, le Somaliland se sent lésé par le gouvernement du président somalien Siad Barre. Une guérilla indépendantiste est lancée par le Mouvement national somalilandais (MNS). Le MNS s’empare d’Hargeisa, en 1988. Ce qui entraîne une répression sanglante de Siad Barre. Hargeisa est bombardée par l’aviation gouvernementale. Le bilan est lourd : 50’000 morts et près de 250’000 réfugiés.

Siad Barre est finalement renversé en 1991. La même année, l’indépendance du Somaliland est proclamée une nouvelle fois. Malgré sa non-reconnaissance par la communauté internationale, cet «Etat fantôme» de quelque 4 millions d’habitants est salué pour sa stabilité. 

La situation politique stable de cette république autoproclamée n’empêche pas son taux de mortalité infantile et maternelle d’atteindre des sommets. La faute notamment à la guerre civile qui a ravagé le pays et détruit les infrastructures en place.

Edna Adan Ismail a acquis très tôt la conviction qu’elle devait agir pour son peuple. «Mon père était un médecin reconnu et je l’admirais beaucoup. J’ai toujours espéré en savoir autant que lui pour pouvoir construire un hôpital», confie-t-elle. Un désir qui ne l’a jamais quitté et qu’elle a finalement réalisé en 2002.

«J’ai investi tout mon argent dans ce projet. J’ai organisé des récoltes de dons et obtenu le soutien des commerçants locaux», explique Edna Adan Ismail. Les obstacles n’étaient toutefois pas uniquement d’ordre financier. «Je suis une femme et j’avais déjà plus de 60 ans à l’époque. Personne ne me croyait capable de fonder un hôpital. J’ai dû prouver aux gens que j’y arriverais», affirme-t-elle sur le ton pugnace de ceux qui ne s’avouent jamais vaincus.

Le poids des traditions

L’ex-ministre a aussi dû apprendre les rudiments de la construction et recruter du personnel. «J’ai commencé à former des sages-femmes, car il est primordial d’avoir des praticiens compétents», note-t-elle. Edna Adan Ismail considère que l’éducation est centrale. Pour elle, l’ignorance des accoucheuses traditionnelles explique en partie la mortalité maternelle élevée. «Souvent, des femmes meurent d’infections, d’hémorragies ou d’autres complications, alors qu’elles auraient facilement pu être sauvées.»

En 2012, Edna Adan Ismail a ainsi fondé une université pour assurer la formation de son personnel de santé. Elle estime que le Somaliland a besoin de 1000 sages-femmes qualifiées, alors qu’il n’y en a que le tiers actuellement. L’objectif est que les personnes diplômées puissent transmettre leur savoir à leur communauté et apporter une aide salvatrice aux femmes enceintes. Nombreuses sont celles qui n’ont pas la possibilité de se rendre dans une clinique, dans un pays où 60% de la population est nomade.

«Les femmes devraient pouvoir décider pour elles-mêmes» Edna Adan Ismail

Les traditions bien ancrées mènent aussi la vie dure au système de santé. Comme le raconte Edna Adan Ismail, il arrive encore qu’une femme qui connaît des complications durant son accouchement ne peut pas être emmenée à l’hôpital, parce que son mari, qui doit donner son consentement, est absent. «Les femmes devraient pouvoir décider pour elles-mêmes», martèle la fondatrice de l’hôpital.   

Miser sur l’éducation des enfants

L’amélioration des connaissances de base et de l’accès à la formation est fondamentale pour aider un pays comme le Somaliland. Alexander Schulze, spécialiste de la santé globale à la Direction du développement et de la coopération (DDC), partage l’avis d’Edna Adan Ismail. «Si les gens n’ont pas connaissance d’un service, ils ne peuvent pas l’utiliser. Il faut donc informer les villageois sur les centres de santé, par exemple. Leur expliquer comment ces structures fonctionnent, combien elles coûtent, etc.», affirme-t-il.

Alexander Schulze note que les projets privés, comme celui d’Edna Adan Ismail, sont importants pour faire avancer les choses, surtout lorsque les autorités ne sont pas en mesure de fournir les services de base. Il souligne la nécessité de réfléchir au niveau local, régional et national pour trouver des solutions.

Le spécialiste de la santé prend soin de préciser que la situation du Somaliland est précaire par rapport à d’autres pays d’Afrique. «On parle ici d’extrême pauvreté.» Il ajoute que dans certains pays d’Afrique, comme au Rwanda, au Mali ou au Bénin, on peut mettre en place une assurance maladie. Ce n’est pas le cas au Somaliland. La grande majorité de la population ne dispose pas des ressources nécessaires pour payer, même de petites primes d’assurance. «Dans une telle situation, il faut d’abord réfléchir à la manière d’augmenter le revenu des gens et miser sur l’éducation des enfants, car si les gens ne savent pas lire et écrire, ils peuvent difficilement monter une affaire», souligne Alexander Schulze.

Statistiques encourageantes

«Je suis fière de mon pays. J’estime qu’il fait ce qu’il peut dans un contexte difficile», affirme Edna Adan Ismail. Les chiffres semblent donner raison à son optimisme. S’il n’existe pas de données précises pour le Somaliland, les dernières estimations font état d’une diminution du taux de mortalité maternelle pour l’ensemble des régions de Somalie. Il aurait passé de 1300 décès pour 100’000 naissances vivantes en 1990, à 850 décès en 2013 (source: OMS, UNICEF, UNFPA, Banque mondiale).

Alexander Schulze relève que la stabilité politique du Somaliland constitue un avantage pour bâtir l’avenir. De son côté, Edna Adan Ismail déplore la non-reconnaissance de son Etat par la communauté internationale. «Ce statut nous donne l’impression d’être ignorés.» 

L’aide suisse dans la Corne de l’Afrique

La coopération suisse est présente dans la Corne de l’Afrique depuis les années 1990. Le budget 2013-2016 pour l’ensemble de la région (Somalie, Ethiopie, Kenya, Erythrée et Djibouti) s’élève à 140 millions de francs.

La Direction du développement et de la coopération (DDC) agit dans quatre domaines: la santé, la sécurité alimentaire, la migration, ainsi que la bonne gouvernance et la consolidation de la paix.

Sur place, le travail s’effectue principalement avec les organisations onusiennes, mais aussi des organisations locales. Dans le domaine médical, la DDC mène des projets au niveau national et régional pour améliorer la santé maternelle et infantile. Elle soutient notamment des écoles rurales de sages-femmes.

«Comme la situation sécuritaire au Somaliland est meilleure que dans les régions avoisinantes, l’accès direct aux populations est plus facile», note Gerhard Siegfried, chef de la division Afrique orientale et australe de la DDC. Toutefois, le fait que le Somaliland n’est pas un Etat internationalement reconnu constitue une contrainte importante, qui complexifie les relations de la DDC avec les autorités de ce pays. «Toutefois, nous avons déjà visité plusieurs fois ses dirigeants et parlons avec eux, car nous considérons que, si l’on compare avec d’autres régions, ils ont réussi à bâtir une structure étatique et à mettre en place des services de base assez fonctionnels», commente Gerhard Siegfried.

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