Des perspectives suisses en 10 langues

Stabiliser la Somalie pour lutter contre les pirates

Au début mars, la marine allemande a arrêté neuf pirates. Keystone

Au large de la Somalie, la piraterie s'intensifie à mesure que l'intervention étrangère augmente. La réponse aux prises d'otages qui se multiplient passe par la stabilisation de ce pays livré au chaos. L'analyse de Rue89, partenaire de swissinfo.

Un voilier français, un porte-conteneurs américain, un remorqueur italien, des cargos grec et togolais… Les dernières cibles attaquées au large des côtes somaliennes montrent que les pirates s’en prennent à tout ce qui bouge en mer, sans critère de taille, de nationalité ou de raison sociale. Un phénomène croissant auquel la réponse ne peut pas être exclusivement militaire, mais passe, sans doute, par la stabilisation de cet Etat parmi les plus instables au monde.

Une région stratégique

Pourquoi en Somalie? Pourquoi maintenant? Il y a l’histoire, la géographie, et surtout des enjeux colossaux: le passage de 20’000 à 30’000 navires par an et surtout, d’un tiers des hydrocarbures consommés sur la planète. Le golfe d’Aden, entre la Somalie et le Yémen, est en effet la voie de passage entre l’océan Indien et la mer Rouge, l’un des axes maritimes-clés de la planète. La Somalie fait depuis des décennies l’objet de convoitises stratégiques. Dans les années 70, alors qu’il abritait une base militaire soviétique à Berbera, ce pays faisait figure de phare progressiste dans les cercles tiers-mondistes européens.

L’ère Siyad Barré

Pauvre mais prometteuse, la Somalie, placée sous la direction du général Mohamed Siyad Barré, semblait harmonieuse, avec une unité ethnique et linguistique que lui enviaient d’autres nations africaines désunies. Une unité qui contraste avec l’éclatement et le morcellement actuels du pays.

Le drapeau de l’Etat somalien en était pourtant le symbole, avec une étoile à cinq branches incarnant les cinq piliers dispersés de la nation somalienne: le Somaliland ex-britannique, le sud ex-italien, mais aussi l’Ogaden éthiopien, le district nord-est du Kenya et la composante somalie de Djibouti, ex-colonie française.

La guerre pour l’Ogaden

Lors de l’accession du pays à l’indépendance, en 1960, seuls les deux premières «branches» ont rejoint le nouvel Etat, suscitant de vives tensions avec les voisins, jusqu’à une guerre pour le désert d’Ogaden, en 1977-78, lorsque Siyad Barré a cru que la révolution éthiopienne avait affaibli la défense de ce pays.

L’armée somalienne ne fut repoussée qu’à la faveur d’une intervention de l’armée cubaine au profit du nouveau pouvoir révolutionnaire éthiopien, provoquant un changement d’alliance à Mogadiscio. L’alliance avec l’URSS fut donc dénoncée par la Somalie et la base de Berbera évacuée pour être aussitôt octroyée aux… Etats-Unis! Ceux-ci devinrent le protecteur de ce régime ex-«progressiste» réaligné.

Stabilité introuvable

Mais la Somalie ne retrouva jamais sa stabilité et s’enfonça progressivement dans la division, puis le chaos. En 1991, le Somaliland, l’ex-protectorat britannique du nord, décréta son indépendance et Siyad Barré fut chassé du pouvoir. Le conflit dégénéra en guerre civile, provoquant la mort de 50’000 personnes dans les combats, et de 300’000 autres du fait de la famine.

On est alors au lendemain de la fin de la guerre froide, dans l’illusion d’un nouveau monde fondé sur la coopération internationale. Les Etats-Unis interviennent militairement pour appuyer l’action humanitaire, d’abord seuls puis dans le cadre d’une force internationale, l’Onusom. Le problème est que ce bel enthousiasme s’est vite refroidi, particulièrement du côté américain après la mort de plusieurs soldats lynchés par la foule. Les troupes américaines quittent la Somalie en 1994, le reste des forces de l’ONU l’année suivante.

Un pays devenu symbole

Depuis, la Somalie est le symbole même de ces «Failed States», ces «Etats en échec» selon une théorie controversée apparue dans l’après-guerre froide.

Au cours des quinze dernières années, la Somalie a été le théâtre d’une guerre civile larvée, impliquant à la fois des clans régionaux, les pays voisins (Ethiopie, Erythrée…) et même les Etats-Unis, qui en ont fait l’un des théâtres d’opérations de la «guerre contre le terrorisme» de l’administration Bush en raison de la présence d’éléments d’al-Qaïda au sein de la nébuleuse islamiste de ce pays.

Aujourd’hui, celui-ci ne dispose d’aucun pouvoir central effectif, partagé entre la province du nord-est, le Puntland, qui a pris le large de manière unilatérale, un pouvoir faible installé dans la capitale, Mogadiscio, et des «tribunaux islamiques» qui contrôlent une bonne partie du centre et du sud du pays.

Piraterie à grande échelle

Les premiers «pirates» sont apparus dans les années 1990. Il s’agissait alors de pêcheurs somaliens appauvris par la pêche industrielle illégale à laquelle se livraient les flottes sud-coréenne et japonaise, profitant de l’absence d’Etat somalien pour pénétrer impunément dans ses eaux territoriales.

Ces pêcheurs ont commencé par attaquer des navires étrangers et exiger le paiement de «taxes» compensant leur manque à gagner.

Depuis, la piraterie a changé d’échelle, s’appuyant sur de véritables armées bien équipées, munies de téléphones satellitaires pour leurs communications et d’embarcations ultra-rapides pour fondre par surprise sur leurs proies. De quelques dizaines, les pirates sont devenus des centaines et, sans doute, des milliers.

Pour l’instant, la seule riposte internationale a été militaire. A la demande des pays victimes de piraterie, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté le 2 juin 2008 la résolution 1816 du Conseil de sécurité. Depuis, une armada multinationale, comprenant des navires des pays membres de l’Otan, mais aussi de Chine, d’Inde et de quelques autres, patrouille dans cette immense zone maritime et bataille régulièrement avec les pirates.

Mais si tout le monde se focalise sur les solutions militaires, en espérant que le déploiement de flottes du monde entier sera dissuasif, personne ne s’intéresse au sort de la Somalie, où se trouve pourtant la clé du problème.

swissinfo: Rue89, Pierre Haski

Un bâtiment du Croissant-Rouge somalien a été touché lundi par un obus à Mogadiscio, faisant un mort et 5 blessés.
Ce mardi, les pirates somaliens ont capturé deux cargos et en ont attaqué un troisième dans le golfe d’Aden.
Au moins 17 navires et plus de 250 membres d’équipage sont aux mains de divers groupes.
En 2008, 141 navires ont été attaqués au large de la Somalie, soit une augmentation de près de 200% en un an.
Depuis le début 2007, la violence a fait plus de 16’000 morts civils et un million de personnes déplacées en Somalie.

Atalante. Le Conseil fédéral (gouvernement) a mandaté le Ministère des affaires étrangères pour négocier, en collaboration avec le Ministère de la défense, un accord de participation à l’opération anti-piraterie Atalante avec l’Union européenne.

Protection. Une participation suisse à l’opération navale se limiterait à la protection des navires du Programme alimentaire mondial (PAM) et, le cas échéant, des navires marchands suisses transitant dans la zone d’opération.

En juin. Le Conseil fédéral devrait soumettre en juin au Parlement le message sur l’envoi de soldats dans le cadre de l’opération Atalanta.

Base légale. Par ailleurs, le Ministère de la défense a été chargé de préparer une modification de la loi sur l’armée et l’administration militaire afin de créer une base légale.

swissinfo.ch

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision