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Comment éviter la radicalisation des jeunes de Suisse

A Paris, c'est encore l'heure de l'émotion suite aux attentats meurtriers de vendredi dernier. Keystone

La Suisse peut en faire davantage pour stopper les djihadistes du cru. Les mosquées ont besoin de conseiller les jeunes musulmans à risque et l’Etat de plus d’expérience pour apprendre comment encadrer les djihadistes qui reviennent au pays, selon l’experte Miryam Eser Davolio. 

Miryam Eser Davolio est chercheuse à l’Institut de sciences appliquées de la Haute Ecole de Zurich (ZHAWLien externe). Elle est responsable de la coordination d’une nouvelle étude exploratoire consacrée à la radicalisation des jeunes en Suisse. 

Actuellement, quelque 70 cas de radicalisation djihadiste font l’objet d’une enquête en Suisse et une procédure pénale est en cours dans plus de 20 cas. Vendredi, trois attentats coordonnés de terroristes se réclamant de l’Etat islamique ont tué 129 personnes et en ont blessé 350 autres. Le président français François Hollande a parlé d’un «acte de guerre». 

Dans une interview accordée au journal dominical «SonntagsBlick», Ueli Maurer a indiqué que les attentats de Paris avaient augmenté le niveau de risque pour la Suisse. Le ministre de la Défense a en outre déclaré qu’une attaque terroriste contre la Suisse n’était «plus totalement abstraite, mais imaginable». 

swissinfo.ch: Dans une interview à la NZZ am Sonntag, Ueli Maurer a indiqué que le plus grand danger venait de «loups solitaires» vivant en Suisse et partageant les idéaux de l’Etat islamique. Quelle est l’importance de cette menace? 

Miryam Eser Davolio: Je pense que les loups solitaires ont besoin d’un certain soutien pour échafauder leur action ainsi que de gens partageant leurs idées pour les convaincre qu’ils sont sur la bonne voie. En Suisse, cela se produit à très petite échelle; c’est en tout cas mon impression personnelle à la suite d’entretiens menés sur le terrain. 

Ici, la situation est très hétérogène. Ce n’est pas comme en France, où il existe certaines théories du complot et de la rage contre l’exclusion ou le chômage dans les banlieues.

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Il y a aussi un problème de chômage pour les jeunes musulmans de Suisse, spécialement dans les cantons de Genève et du Tessin, où l’afflux de frontaliers provoque une forte compétition sur le marché du travail. Nous avons vu là-bas des situations délicates pour les jeunes musulmans. Les choses pourraient devenir problématiques, mais tout dépend si ces gens ont une chance de s’intégrer. 

swissinfo.ch: La Suisse a augmenté les mesures de sécurité pour lutter contre le terrorisme en renforçant les services de renseignement et la législation relative à la surveillance. Des individus pourraient-ils encore se faufiler entre les mailles du filet? 

M.E.: Je ne pense pas, étant donné qu’il y a un contrôle très fort sur les médias sociaux et sur Internet. Mais dans certains cas, les services de renseignement sont très occupés, comme l’a montré le dernier rapport de la TETRALien externe [task force spéciale de l’Office fédéral de la police pour coordonner la lutte contre les terroristes voyageurs (TErrorist TRAvellers)]. On y mentionne un cas où il fallait transcrire 25’000 pages de communications en ligne pour un seul individu. Et lorsque vous savez que c’est éventuellement dans des langues étrangères et que vous devez le traduire, vous pouvez imaginer la montagne de travail que cela représente d’essayer de tracer ces personnes. 

swissinfo.ch: La Police fédérale et le gouvernement envisagent une éventuelle interdiction de voyager pour prévenir et combattre la radicalisation djihadiste en Suisse. Serait-ce une mesure efficace?

M.E.: Je pense que cela pourrait aider si quelqu’un veut partir. C’est important d’avoir une mesure pour les retenir ici. Mais c’est juste une mesure parmi toutes celles auxquelles nous devons réfléchir. 

Je pense qu’il est aussi très important de conseiller les individus, leur famille et leurs amis. Comme nous l’avons vu ailleurs en Europe, il est important de soutenir les gens qui sont en contact avec les plus jeunes, de manière à ce qu’ils puissent parler avec eux et travailler sur leurs idées. 

Miryam Eser Davolio courtesy

swissinfo.ch: Quelle est l’efficacité de la collaboration entre la police et les associations musulmanes ou des personnes de cette religion pour identifier d’éventuels signes de radicalisation et signaler les suspects?

M.E.: Cela varie selon les cantons. A Zurich, il y a une personne qui fait office de pont et qui est en contact avec les différentes communautés musulmanes. A Saint-Gall, il y a une table ronde pour les religions qui est en contact avec les imams et les groupes musulmans. Dans ce même canton, sept imams ont suivi une formation complémentaire portant sur l’intégration, la vie en Suisse et la radicalisation. 

A Genève, les imams collaborent bien et font un grand travail d’intégration. La nouvelle récente selon laquelle deux jeunes s’étaient radicalisés à la mosquée de Genève et étaient partis en Syrie a provoqué un choc. 

swissinfo.ch: La responsable de la Police fédérale Nicoletta della Valle a déclaré que l’idée que ces personnes se radicalisaient dans les mosquées ou dans le cadre d’organisations musulmanes était un «stéréotype». Alors comment ce processus de radicalisation se déroule-t-il? 

M.E.: Selon les informations des services de renseignement, il apparaît que la majeure partie de ces gens se sont radicalisés via Internet ou des amis. Les mosquées sont, au contraire, plutôt des institutions préventives. Les personnes avec des idées extrémistes qui fréquentent les mosquées sont recadrées; on leur dit qu’elles ne devraient pas écouter de la propagande sur Internet. 

Les organisations musulmanes ont un rôle plutôt important en matière de prévention. Mais quand elles sont confrontées à des personnes radicalisées, elles ont peur. Elles ne veulent pas avoir une image négative et ferment donc leurs portes à ces jeunes, en abandonnant ainsi toute chance de les influencer. Elles pourraient en faire plus, mais pour y parvenir, elles auraient besoin d’un plus grand soutien dans leur rôle de conseiller auprès de personnes courant un risque de radicalisation. 

swisisnfo.ch: Plusieurs pays ont instauré des programmes pour prendre en charge des djihadistes qui rentrent au pays. En février, le rapport de la TETRA affirmait que la Suisse n’en faisait pas assez dans ce domaine. Qu’en pensez-vous? 

M.E.: Actuellement, il n’existe rien. Il est important d’avoir des mentors qui puissent entrer en contact avec ces jeunes. Le manque d’expérience représente un obstacle. Il faut se rendre en Allemagne, en Grande-Bretagne, au Danemark ou en Norvège pour voir comment on y travaille avec ces personnes. 

En Suisse, le problème n’est pas aussi aigu, mais il y a des retours. La question est de savoir que faire avec ces jeunes pour les ramener dans la société. 

swissinfo.ch: Quelles sont les autres faiblesses – et les forces – de la stratégie suisse contre le djihad?                             

M.E.: L’un des points faibles est de ne pas affronter le thème de l’islamophobie, contrairement à l’Allemagne. C’est une question très importante. 

La propagande de l’Etat islamique se base sur la théorie selon laquelle les musulmans sont stigmatisés, exclus et humiliés dans les pays occidentaux. Si cela est vraiment le cas – à travers l’islamophobie et certaines positions politiques – la polarisation ne peut que s’accentuer, semant ainsi les graines des nouvelles radicalisations. 

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