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Surprise! Zurich supprime un privilège fiscal

Keystone

Le canton le plus peuplé de Suisse a accepté dimanche une initiative de l'extrême-gauche exigeant la suppression d'un privilège fiscal accordé aux riches étrangers résidant en Suisse, l'«impôt forfaitaire» ou forfait fiscal.

«Cela ne peut pas faire de mal aux discussions avec l’Union européenne», lâche, philosophe, un radical zurichois.

Quant à Niklaus Scherr, président de la Liste alternative (Alternative Liste, AL, à l’extrême gauche) de Zurich, il admet avoir vécu ces dernières semaines de campagne en buvant du petit lait.

Certains millionnaires et milliardaires étrangers du canton se sont en effet fait avoir comme des enfants de chœur en révélant qu’ils avaient des employés en Suisse. Or ils ne peuvent bénéficier de ce type de «forfait fiscal» que s’ils ne travaillent pas sur sol helvétique.

En quoi exactement consiste ce forfait? Il s’agit d’un multiple de la valeur locative de leur domicile, bien souvent une luxueuse villa, qu’ils versent en lieu et place d’un montant lié à leurs revenus et leur fortune.

Pour en bénéficier, Tina Turner, Zurichoise de par son domicile, ou Johnny Halliday, durant le laps de temps où il a été citoyen de la station alpine de Gstaad, ne peuvent donner de concerts en Suisse que si les recettes sont versées à une bonne œuvre.

Pour le pilote automobile Michael Schumacher, c’est théoriquement plus facile: les courses de formule 1 sont interdites en Suisse.

Surtout en Suisse romande

A fin 2005, environ 4150 personnes bénéficiaient de ce système en Suisse. Elles versaient au total – impôts communaux, cantonaux et fédéraux compris – quelque 400 millions de francs d’impôts. Le canton de Vaud héberge environ un tiers de ces grosses fortunes, Genève et le Valais venant non loin derrière.

Dans le canton de Zurich en revanche, le plus peuplé du pays, l’impôt forfaitaire reste minoritaire. En 2006, 137 étrangers en ont profité. Leur nombre ne cesse toutefois d’augmenter (103 en 2005).

Sur le plan fiscal, le forfait figure dans la liste des «armes» que les cantons affûtent pour se livrer une concurrence acharnée.

Grâce à Johnny…

A Zurich, la Liste alternative avait lancé son initiative au moment où Johnny Halliday défrayait la chronique avec son déménagement à Gstaad fin 2006.

A l’époque, la ministre suisse de l’économie Doris Leuthard avait même déclaré, dans une interview, qu’elle voulait réexaminer le bien fondé de cette niche fiscale. Mais il ne s’était finalement rien passé, les cantons romands s’opposant à tout durcissement des critères d’attribution.

Deux ans plus tard, ce sont donc les seuls Zurichois qui se prononcent au niveau cantonal, approuvant la suppression du forfait par 52% des voix.

«C’est un résultat serré, mais la décision est à saluer», réagit Bernard Dafflon, professeur de finances publiques à l’Université de Fribourg. «C’est la première fois que ce forfait était soumis de façon spécifique aux citoyens, et non noyé avec d’autres mécanismes fiscaux.»

Le professeur explique le résultat par l’argument d’équité qui a prévalu au sein de la population. «Il n’y a absolument aucune justification, ni morale ni économique, à ce que les personnes qui en ont les moyens ne payent pas leur dû comme tout le monde», affirme Bernard Dafflon.

Il rappelle aussi que la première mention de ce mécanisme date d’un concordat intercantonal de 1948. «Il faut croire qu’il y avait déjà des abus», interprète-t-il.

Pour Bernard Dafflon, il sera intéressant de voir comment la discussion rebondira à l’échelon fédéral. «Une initiative cantonale st-galloise [initiée par le PDC, nldr] demande l’abolition du forfait dans tous les cantons. Une commission parlementaire doit aborder la question ce printemps.»

A l’échelon fédéral

Niklaus Scherr lui ne croit pas aux chances de suppression à l’échelon fédéral. «Les Romands tiennent trop à ce système, qui a une grande importance, admet-il. En revanche, en montrant qu’ils veulent davantage de justice fiscale, les Zurichois vont peut-être influencer le débat sur les paliers de progression fiscale, que le canton de Zurich voudrait abolir à partir d’un certain montant.»

Le vainqueur de la votation souhaite «au minimum» une discussion sur les rabais fiscaux consentis grâce au forfait, qui sont différents d’un canton à l’autre. «Qu’on diminue ces rabais, au moins», demande-t-il.

Pour Niklaus Scherr, la crise et la discussion sur les bonus accordés à des banquiers par ailleurs soutenus par l’Etat a certainement contribué au succès de l’initiative. «Mais ce n’est qu’un élément conjoncturel», estime-t-il.

Il pense aussi que la droite nationaliste et conservatrice a participé au succès. «Une bonne partie de cette base veut se débarrasser des étrangers. Le fait qu’ils soient riches ne change rien.»

Enfin, la deuxième catégorie sociale à avoir voté pour l’initiative est composé de riches … Suisses. Ils s’insurgent en effet contre des privilèges réservés aux autres. Les citoyens pensant «égalité de traitement» et équité morale se sont également manifestés.

«Hygiène psychologique»

En fin de compte, Bernard Dafflon pense que la décision zurichoise va donner une nouvelle couleur aux discussions fiscales avec l’Union européenne.

«Berne a toujours dit que ces questions étaient du ressort intérieur, rappelle-t-il, et voilà qu’une voix critique s’élève à l’intérieur, et dans un canton qui n’est pas le moindre… C’est une réponse intéressante à l’intention de l’UE et de l’OCDE».

Président du Parti radical zurichois, qui avait dit non du bout des lèvres à l’initiative, Beat Walti ne cache pas que les adversaires de la suppression n’ont peut-être pas assez expliqué les bienfaits du forfait fiscal. «Mais pour Zurich, ce n’est pas très grave. Nous avons d’autres arguments fiscaux. Et la suppression de ce forfait va peut-être même avoir un effet bénéfique en termes d’hygiène psychologique dans nos relations européennes…»

Quant à la grande peur des partisans du forfait, il faudra attendre quelques mois avant de vérifier si elle se réalise ou non: Tina Turner, et les autres, déménageront-ils? «Je mets ma main au feu que cela ne sera pas le cas», estime Bernard Dafflon.

«Même s’ils partent, leurs villas ne peuvent trouver preneur que chez des millionnaires, selon Niklaus Scherr, qui paieront même des d’impôts «normaux», ajoute-t-il.» Des impôts qui, même «normaux», restent souvent en-deça de ce que ces personnes paieraient dans d’autres pays.

swissinfo, Ariane Gigon, Zurich

Les citoyens du canton de Zurich ont accepté à 52,9% de supprimer l’impôt fiscal dans leur canton.

Extrême-gauche. «Finissons-en avec les privilèges fiscaux pour les millionnaires étrangers», demandait la Liste alternative, soutenue par le camp rose-vert.

C’est quoi? Le forfait fiscal consiste à taxer les riches étrangers sur la base d’un multiple de la valeur locative de leur logement (5 fois dans le canton de Zurich) en lieu et place de leurs revenu et fortune.

Impôts. Une personne bénéficiant du forfait paye 10’000 francs en moyenne d’impôt fédéral direct (un des trois impôts) dans le canton de Fribourg, entre 70’000 et 80’000 dans les cantons de Zoug et Genève, et environ 30’000 dans le canton de Zurich.

Initiative. Les Chambres fédérales devront traiter d’une initiative cantonale du canton de St-Gall demandant la suppression de l’impôt forfaitaire dans tous les cantons.

Oui de Genève à l’e-voting. Genève devrait être le premier canton à généraliser le vote électronique. Les citoyens ont largement accepté dimanche d’inscrire dans la Constitution le principe du vote par Internet, en plus du vote dans l’isoloir et par correspondance. Plus de sept électeurs sur dix (70,2%) se sont prononcés en faveur de cette nouvelle possibilité à l’essai dans le canton depuis 2003.

Plébiscite vaudois pour le paquet fiscal. Les familles, les entreprises et les grosses fortunes vont bientôt payer moins d’impôts dans le canton de Vaud. Les votants ont largement accepté dimanche un paquet d’allègements fiscaux de plus de 160 millions de francs. Les Vaudois ont aussi nettement approuvé l’introduction d’un bouclier fiscal pour les contribuables fortunés.

Pas de vote à 16 ans à Bâle-Ville. Bâle ne deviendra pas le deuxième canton de Suisse après Glaris à introduire le droit de vote dès l’âge de 16 ans. Les citoyens rhénans ont balayé dimanche à une majorité de 72% une modification de leur Constitution et de leur loi électorale.

Harmos toujours contesté Outre-Sarine. Nidwald est devenu dimanche le quatrième canton à refuser l’harmonisation scolaire, à 62,3% des voix. Le texte permettait pourtant aux parents de scolariser leur enfant dès 5 ans sur demande, au lieu des 4 ans prévus par le concordat.

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