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Un procès équitable pour une affaire surexposée

L'avocat de la partie civile, Marc Bonnant, à l'issue du procès. Keystone

Après plus d'une semaine de procès à Genève, Cécile B. a écopé d'une peine de huit ans et demi de prison pour le meurtre du banquier français Edouard Stern en février 2005. Le regard de Pascale Robert – Diard, chroniqueuse judiciaire pour le quotidien français Le Monde.

Journaliste politique au Monde depuis 1986, Pascale Robert-Diard s’est lancée dans la chronique judiciaire en 2002.

Un choix couronné en 2004 par le prix Louis-Hachette pour ses compte-rendus du procès Elf.

Comme beaucoup de ses confrères français, Pascale Robert-Diard a suivi à Genève le procès de l’affaire Stern dont elle a quotidiennement rendu compte sur son blog, qui a connu un pic d’audience à cette occasion.

swissinfo.ch: Ce verdict vous parait-il équitable?

Pascale Robert – Diard : L’impression que me donne le verdict est d’être le reflet très fidèle d’une audience rythmée par les éclairages successifs qu’ont donnés la défense et la partie civile. Le verdict a réussi à prendre en compte la complexité de cette relation tumultueuse et destructrice entre Edouard Stern et Cécile B.

swissinfo.ch: Néanmoins dans vos chroniques, vous n’êtes pas tendre avec le procureur Daniel Zappelli.

P.R-D.: J’ai effectivement été très frappée par le réquisitoire qu’il a prononcé mercredi. Une impression renforcée par son réquisitoire de ce jeudi sur la peine. Il semblait être davantage un auxiliaire de la partie civile qu’un représentant du Ministère public. Daniel Zappelli n’a pas donné une certaine hauteur à cette affaire. Il a simplement pris la défense de la famille Stern.

swissinfo.ch: De fait, ce procès avait aussi pour objectif de préserver – autant que faire se peut – l’image d’Edouard Stern.

P.R-D.: Très clairement, il a été dit qu’il ne serait pas porté atteinte – dans la mesure du possible – à la mémoire d’Edouard Stern, que cette limite a conduit la défense à renoncer à la lecture de certaines pièces, à la convocation de certains témoins qui auraient pu dresser un portrait beaucoup plus sombre encore du banquier assassiné.

Néanmoins, la complexité de cette affaire a pu apparaître. Et ce en particulier avec les témoins, notamment le petit nombre qui avait connu le couple puisque Cécile B. n’apparaissait pas dans la partie diurne de la vie d’Edouard Stern.

L’un de ces témoignages, celui d’un artisan de Nanteuil-le-Haudoin, a d’ailleurs particulièrement marqué la cour. Avec franchise et simplicité, il a dit à quel point Cécile B. était en complète déperdition dans sa relation avec Edouard Stern. Ce témoigne comme d’autres ont permis d’entrer dans cette relation complexe, sans sombrer dans l’étalage déraisonnable de ce qui relève de l’intimité de ce couple.

De fait, cette histoire est d’abord une tragédie. Ces deux personnages avaient chacun des failles gigantesques dans leur vie. Comme l’a dit l’artisan de Nanteuil qui n’est ni avocat, procureur ou psychiatre, «ces deux-là s’étaient inventés un monde qu’ils n’ont pas su maîtriser et qui leur a échappé». C’est le meilleur résumé de cette affaire.

swissinfo : Par rapport aux procès d’assisse que vous avez suivi en France, qu’est-ce qui vous frappe dans la manière de rendre justice en Suisse?

P.R-D.: Tous les observateurs français venus à cette audience ont été impressionné par la motivation du verdict. Dans la procédure criminelle française, les arrêts de cour d’assise ne sont pas motivés.

Le verdict qui n’a pas retenu le meurtre passionnel plaidé par la défense aurait pu apparaître comme un échec pour les avocats de Cécile B. Mais la motivation, l’interprétation de ce verdict était extrêmement nuancée. Je l’ai trouvée très juste. On y retrouvait parfaitement l’audience et les forces en présence.

En France, chaque fois qu’il y a erreur ou désastre judiciaire, se pose justement la question de la motivation des décision de cours d’assise. Ce procès de Genève fait vraiment pencher la balance en faveur de la motivation de ces verdicts.

Quant on dit qu’Edouard Stern s’était montré offensant, humiliant, voire cruel à l’égard de Cécile B. quand on dit que ce n’est pas par cupidité que Cécile B. a commis ce crime, qu’elle était dans un état de profond désarroi, tout en disant qu’elle s’était aussi montrée particulièrement cynique et manipulatrice et qu’elle aurait eu un autre choix que de tuer un homme, le verdict prend une dimension plus universelle.

swissinfo: La peine – 8 ans et demi de prison – vous parait-elle sévère?

P.R-D.: De fait, nos confrères suisses ont estimé que les réquisitions (plus que la peine) étaient sévères. Mais 11 ans de prison pour un crime ne m’apparaît pas comme tel. En France, le verdict aurait sans doute été moins clément.

J’ai été très frappée que les avocat de Cécile B. aient pu dire aussi clairement qu’ils souhaitaient qu’elle sorte de prison tout de suite après le procès pour être soignée. Je ne suis pas sûre que de tels propos auraient pu être tenus aussi clairement en France. La prison y est encore considérée comme une sanction nécessaire. En France, nous sommes dans un système plus répressif qu’en Suisse, apparemment.

Frédéric Burnand, Genève, swissinfo.ch

Riche: Agé de 50 ans au moment de sa mort, Edouard Stern était considéré comme l’un des hommes les plus riches de France. Il avait la réputation d’un banquier dur en affaires.

Précoce: Il avait commencé sa carrière à l’âge de 22 ans en reprenant à son père la direction de la banque familiale Stern, fondée en 1848, avant de la revendre en 1988.

Indépendance: Edouard Stern avait épousé la fille aînée du patron de la banque Lazard, Michel David-Weill, dont il fut considéré comme le dauphin dans les années 90 avant de rompre avec la grande banque en 1997.

Genève: Il s’était alors installé à Genève où il avait créé un fonds d’investissement. L’homme d’affaires vivait séparé de sa femme et de ses trois enfants, installés à New York. Il a été enterré au cimetière juif de Veyrier, près de Genève.

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