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Voyage au coeur des parties infimes du grand tout

Les particules élémentaires forment toute la matière de l’univers. De celle des étoiles à celle de notre corps. NASA

En 50 ans, les physiciens du CERN ont beaucoup appris sur les «grains» infinitésimaux qui composent tout ce qui est. Et soulevé nombre de questions sur les forces qui les animent.

Des avancées déjà récompensées par trois Prix Nobel, en attendant les voyages futurs au cœur de l’antimatière ou de l’énergie noire.

«Le CERN sert à comprendre notre univers. De quoi il est composé, d’où il vient et aussi un peu où il va», souligne le docteur James Gillies, porte-parole du plus grand laboratoire de physique des particules au monde.

A la naissance du CERN, la connaissance de la matière s’arrête au noyau des atomes. La physique théorique a déjà postulé l’existence de particules élémentaires, plus petites que le proton et le neutron, mais on n’a pas encore pu étudier leurs propriétés ni leur comportement.

De même, on sait depuis Paul Dirac (Nobel de physique 1933) qu’à côté de la matière, existe une antimatière. Soit des atomes «inversés» où les électrons portent une charge positive et les protons une charge négative. Mais le physicien britannique pense que sa théorie ne sera jamais vérifiée expérimentalement.

Le microscope ultime

En physique des particules, on travaille sur des objets tellement petits qu’ils sont hors de portée du plus puissant des microscopes. «Le noyau d’un atome a une taille de dix puissance moins quinze mètres, rappelle James Gillies. Soit 0,0000000000000001 m. Et les particules que nous étudions sont encore plus petites».

Ces particules obéissent à des lois étranges, sans rapport avec celles du monde visible. Ainsi, l’une d’entre elles ne vit qu’un tiers de millionième de millionième de seconde avant de se transformer en deux particules plus légères.

Toujours en mouvement, les particules peuvent aussi être considérées comme des ondes. Or, les ondes laissent des traces. Un peu comme l’avion volant si haut dans le ciel que l’œil ne voit que la traînée de condensation qu’il laisse derrière lui.

C’est ainsi que fonctionnent les accélérateurs de particules du CERN. Au moyen d’aimants géants, on fait tourner des faisceaux de protons, de neutrons ou d’électrons dans un tube vidé de son air, à des vitesses proches de celle de la lumière. Et on observe les traces laissées par les collisions de ces objets entre eux ou contre des cibles.

En outre, les accélérateurs sont aussi capables de fabriquer des particules. En vertu du fameux E=MC2 d’Einstein en effet, on sait que la matière est convertible en énergie et inversement. Et l’énergie de certaines collisions est telle qu’elle peut faire naître de la matière. Ou de l’antimatière.

Que la force soit avec eux

Le premier épisode de la grande quête menée au CERN se joue en 1665. Qu’il ait ou non reçu une pomme sur la tête, Isaac Newton réalise cette année-là que la force qui la fait tomber de l’arbre est la même que celle qui fait tourner la Lune autour de la Terre, la Terre autour du Soleil et les galaxies sur elles-mêmes.

Par la suite, on va identifier trois autres forces qui expliquent pourquoi la matière est aujourd’hui un tout cohérent et non plus une «soupe» informe de particules, comme elle l’était au début des temps.

Il s’agit de la force électromagnétique (responsable entre autres de l’électricité, de la lumière ou des réactions chimiques), de la force faible (à l’œuvre dans le processus radio-actif qui allume les étoiles) et de la force forte (qui tient ensemble les particules formant le noyau des atomes).

Le rêve des physiciens, c’est d’arriver à unifier les quatre forces, soit de prouver qu’elles ne sont que les formes différentes d’une seule et même énergie. Depuis un demi-siècle, le CERN est au cœur de cette problématique.

En 1984, Carlo Rubbia et Simon Van der Meer décrochent le Nobel de physique pour la découverte de deux particules nommées bosons W et Z. Cette expérience permet de confirmer l’unification de la force électromagnétique et de la force faible. Mais on est encore loin du compte.

Le nouveau graal des physiciens

Il est une autre question qui titille les physiciens. «Notre théorie standard fonctionne très bien si l’on admet que les particules n’ont pas de masse, explique James Gillies. Or, nous avons la preuve qu’elles en ont une. Le problème, c’est qu’on ne sait pas pourquoi».

La réponse se nommerait boson de Higgs (du nom du britannique Peter Higgs, qui en a le premier postulé l’existence). Cette particule serait non seulement celle qui donne leur masse aux autres, mais encore le vecteur d’une… cinquième force fondamentale.


Le 2 novembre, le CERN débranche le LEP, son grand accélérateur où les particules tournent depuis 16 ans. Dans les derniers mois, en poussant la machine aux limites de sa puissance, on a pourtant cru y déceler la trace du boson de Higgs.

Mais ce n’était qu’un faux espoir. La quête du nouveau graal des physiciens est donc remise à 2007, date prévue pour le démarrage du LHC (large hadron collider), qui permettra de sonder la matière plus profondément que tout ce qui s’est fait jusqu’ici.

Construite dans le même tunnel de 27 kilomètres de circonférence qui a abrité le LEP, cette nouvelle machine sera 70 fois plus puissante. Elle coûtera quelque 3,2 milliards de francs et sera unique au monde, puisque les Américains ont renoncé à construire leur propre super-accélérateur.

Ils ne seront pas pour autant absents du CERN, que leurs savants fréquentent depuis le début. Le LHC pourra compter sur les compétences de ceux qui travaillaient au projet concurrent. Et même sur près de 670 millions de francs au titre de la participation US.

L’aube d’une nouvelle ère

Et le LHC ne servira pas uniquement à traquer le boson de Higgs. Les physiciens vont y poursuivre leur exploration de l’antimatière et s’y intéresser de plus près à la matière noire, ou énergie noire.

Aujourd’hui, on pense que ce que l’œil peut voir dans l’univers ne représente que 4 à 5% de ce qui existe. La présence d’immenses quantités de matière invisible expliquerait notamment la fuite des galaxies et le fait que celles-ci s’éloignent les unes des autres de plus en plus vite.

On sait déjà qu’une partie de cette matière noire est formée d’étoiles mortes (trous noirs), corps célestes tellement denses qu’il «mangent» même la lumière qui passe à proximité.

Mais cette explication ne suffit pas. Il doit y avoir dans l’univers des nuées de particules encore inconnues, relativement lourdes. Elles existent depuis les origines des mondes et ne se sont jamais assemblées pour former des objets plus complexes.

«Avec le LHC, on pourrait avoir assez d’énergie pour créer certaines de ces particules, espère James Gillies. Ce qui annoncerait l’aube d’une nouvelle ère de découvertes».

swissinfo, Marc-André Miserez

En 1984, Prix Nobel de physique à Carlo Rubbia et Simon Van der Meer, pour la découverte des particules nommées bosons W et Z, qui permet de confirmer l’unification de la force électromagnétique et de la force faible.
En 1992, Nobel de physique pour Georges Charpak, inventeur d’un nouveau type de détecteur de particules. Une technique appliquée depuis en imagerie médicale et qui devrait un jour remplacer la photo en radiologie.
Le CERN ne se contente pas de susciter des Prix Nobel. Il les attire également. Félix Bloch, son premier directeur (1952), Sam Ting (1976) et Jack Steinberger (1988) ont tous trois travaillé à Meyrin avant ou après de se voir nobelisés.

– Fondé en 1954, le Conseil européen pour la recherche nucléaire (CERN) est l’organisme qui gère le Laboratoire européen de physique des particules, installé à la frontière franco-suisse, près de Meyrin (Genève).

– Un peu moins de 3000 personnes travaillent sur le site, mais le CERN est aussi le cœur d’un réseau de quelques 500 universités de 80 pays. Ainsi, 6500 chercheurs ont accès à ses installations, ce qui représente la moitié des physiciens des particules de la planète.

– C’est pour échanger des informations à l’intérieur de ce réseau que les informaticiens du CERN ont inventé au début des années 90 le world wide web, que vous utilisez en ce moment.

– Outre ses contributions majeures à notre connaissance de la matière, le CERN a aussi fourni en 50 ans nombre d’inventions utilisables dans d’autres domaines que le sien, principalement en médecine.

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