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«L’Afrique est la cible la plus facile»

Pour Mamadou Goïta, il faut informer et informer encore les petits agriculteurs africains. swissinfo.ch

Les agrocarburants sont un défi autant politique qu'économique pour l'Afrique, où les processus de décision sont souvent mal structurés, estime le socioéconomiste malien Mamadou Goïta.

Présent à Berne dans le cadre du symposium organisé par Swissaid, Mamadou Goïta dirige l’Institut de recherche et de promotion des alternatives en développement (IRPAD) à Bamako. Il enseigne aux universités de Ouagadougou et de Dakar et travaille avec divers organisations paysannes et mouvements sociaux.

swissinfo: Selon vous, l’Afrique est un cas particulier sur le plan agricole. Pourquoi?

Mamadou Goïta: On le constate en observant les évolutions depuis les indépendances et la réaction des Etats. Prenons le cas du coton en Afrique de l’Ouest. Une culture coloniale a été imposée aux Etats. Par la France en ce qui concerne le Mali, le Burkina, la Côte d’Ivoire, etc.

Ces pays ont commencé à produire le coton. Au moment de la dévaluation du franc CFA, on a vu un boom de la production. Sur le marché international, ce coton se vendait très bien. Les Etats se sont beaucoup endettés pour développer cette production: systèmes de crédit mis en place, organisation des paysans, accès aux fertilisants.

Quelques années plus tard, les cours mondiaux ont chuté à cause des subventions octroyées par les Etats-Unis et certains pays européens à leurs agriculteurs. L’Afrique s’est retrouvée complètement à genou. Cela illustre le fait que les politiques agricoles de l’Afrique ont dans la plupart des cas été décidées de l’extérieur.

Actuellement, l’Afrique de l’Ouest veut réformer son agriculture. Les mouvements sociaux ont poussé la CDAO (pays de l’Afrique de l’Ouest) à développer une politique agricole commune, qui prend comme base la souveraineté alimentaire. Un pays comme le Mali s’est doté d’une loi d’orientation agricole dont le principe fondamental est justement cette souveraineté alimentaire.

Mais qui dit souveraineté alimentaire, dit maîtrise des différents leviers de l’agriculture. Malheureusement, il y a discordance entre la politique mise en place et les différents programmes d’appui. Ces derniers dépendent de l’extérieur, l’orientation étant décidée par les coopérations bilatérales et les multinationales qui financent la recherche.

Autrement dit, la prise de décision au niveau national est très faible compte tenu de la relation que l’Afrique a avec les autres continents – notamment les pays du Nord – et avec les multinationales.

swissinfo: Vient se greffer là-dessus la problématique des agrocarburants. Quelle est la situation, aujourd’hui?

M.G.: Les agrocarburants sont un défi auquel l’Afrique doit faire face aujourd’hui. Statistiquement, les capacités de production des pays du Nord qui promeuvent les agrocarburants ne suffiront pas. Pour les Etats-Unis par exemple, en utilisant l’ensemble du maïs produit sur place et des terres exploitables, ils peuvent répondre à seulement 16% de leurs besoins en carburants.

Cela signifie qu’il faut aller chercher à produire ailleurs. L’Afrique est la cible la plus facile. Pourquoi? Parce que la politique, dans la plupart des pays, n’est pas structurée. Parce que les mécanismes de prise de décision sont perturbés par des décideurs qui souvent ne rendent pas compte au peuple de leurs décisions.

Ce défi est donc un défi politique. Il n’est pas seulement économique. Il met en jeu la capacité de réaction des Africains.

Une autre spécificité de l’Afrique, c’est que la plupart des agriculteurs sont analphabètes. Ces enjeux, il faut donc les expliquer de manière très simple, dans les langues locales, pour qu’ils puissent comprendre.

Ils doivent comprendre que les 200 francs CFA qu’on me donnera aujourd’hui pour un kilo de Jatropha qui envahira mes champs, je les perdrais d’ici deux ou trois ans parce que je n’ai aucune prise sur le marché. Il faut leur expliquer que si je produis des céréales, j’assure la sécurité alimentaire du pays, ce qui conduit bien souvent à une sécurité plus totale.

Aujourd’hui, on observe des mouvements sociaux liés aux prix. Je ne parlerais pas d’émeutes de la faim mais de crise alimentaire internationale autour de certains produits comme le blé, le riz ou le maïs. On sait bien que cette situation ne pourra que conduire à de l’insécurité, sur le plan individuel comme sur le plan collectif.

Il faut donc convaincre les populations de ne pas s’engager dans la production dédiée aux agrocarburants, qui n’est pas durable. Les pays doivent réinvestir leur énergie dans l’agriculture, secteur clé du développement. La situation actuelle est donc aussi une opportunité pour l’Afrique. Une opportunité de réfléchir à son mode de production et à sa latitude de prise de décision.

swissinfo: Avez-vous l’impression d’être entendu dans ce combat?

M.G.: Nous sommes très peu entendus, mais nous persistons. L’enjeu est énorme. Il y a beaucoup d’argent derrière. De la corruption, du népotisme et des questions de gouvernance. Ce n’est pas facile à régler. Mais persister conduit parfois à être entendus. Au Mali par exemple, nous avons au moins l’espace pour débattre, ce qui n’est pas le cas partout.

Interview swissinfo, Pierre-François Besson

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