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«La Libye paie sa liberté au prix fort»

Ibrahim al-Koni vit en Suisse depuis 1993. Keystone

Le pouvoir et la tyrannie sont les thèmes dominants des livres d’Ibrahim al-Koni. Cet écrivain libyen installé en Suisse s’est rendu tout récemment dans son pays, actuellement en proie à une révolte populaire réprimée dans le sang. Sa conclusion: «La Libye était mûre pour une révolution.»

Après avoir grandi dans l’immensité du désert libyen, Ibrahim al-Koni vit aujourd’hui retiré au pied des Alpes suisses. Il donne peu d’interviews, encore moins sur des sujets politiques, en remarquant qu’après tout il n’est ni politicien ni militant, mais écrivain, et que ce qu’il a à dire est dans ses livres.

Mais voilà que les remous qui agitent le monde arabe et la violence inouïe exercée par Kadhafi contre son peuple le font sortir de sa réserve. «J’étais justement en Libye pour deux mois, pour voir mon frère malade, quand le marchand ambulant Mohammed Bouazizi s’est immolé par le feu en Tunisie et que les premières manifestations contre le régime ont commencé», raconte-t-il.

Pacifique, tolérante et patiente

C’est donc avec joie qu’il a suivi les révolutions en Tunisie et en Egypte et qu’il a pressenti que le tour de la Libye serait bientôt venu: «La Libye était mûre pour une révolution.» Il a quitté son pays d’origine le 15 février, la veille du début des manifestations en Libye.

Le courage de ses compatriotes ne l’étonne pas. La population libyenne est selon lui la plus pacifique, tolérante et patiente qui soit mais, après quarante-deux ans de dictature, la pression était devenue trop forte. «Lorsque les Libyennes et les Libyens ont vu les Tunisiens et les Egyptiens renverser leur dictateur, ils ont pris conscience que Kadhafi n’était pas non plus invincible», explique l’écrivain.

La résistance contre le régime de Kadhafi suscite des sentiments ambivalents chez lui: «Je me réjouis de voir les gens se battre avec autant de détermination contre la dictature, mais cette violence m’attriste beaucoup. La population est en train de payer sa liberté au prix fort.»

Déçu de la révolution de Kadhafi

Depuis des décennies, la vie culturelle et intellectuelle libyenne est limitée à de petits cercles individuels, la liberté de la presse étant bâillonnée par un régime arbitraire et brutal. La littérature libyenne est très peu connue en Occident. Ibrahim al-Koni fait pourtant partie des écrivains les plus importants du monde arabe. Onze de ses 70 livres sont traduits en allemand. Ils se passent dans le désert et parlent surtout de pouvoir et de tyrannie.

Ce n’est pas un hasard, puisque Ibrahim al-Koni, issu d’une tribu touareg du désert libyen, a vécu le putsch militaire de Kadhafi en 1969, alors qu’il était jeune journaliste à Tripoli. «Nous avons vite été déçus par la soi-disant révolution promise par Kadhafi. J’étais de plus en plus en conflit avec le régime et je me sentais menacé», raconte-t-il.

C’est pourquoi il est parti en Union soviétique en 1970. Après des études de littérature à l’Institut Gorki de Moscou, il a travaillé comme journaliste à Varsovie et à Moscou, avant de venir en Suisse en 1993.

La fuite devant la tyrannie

Dans ses romans, l’écrivain libyen traite du pouvoir et de la tyrannie de manière métaphorique. Paru l’année dernière en allemand, le dernier d’entre eux, Das Herrscherkleid (l’habit du souverain), raconte de manière kafkaïenne comment un souverain déchu se retrouve dans une oasis déserte. Sommé de rendre son habit d’apparat, il s’avère qu’il ne peut le retirer sans s’arracher la peau et, donc, mourir. Il se défend alors avec une violence brutale. Ce roman, dont le titre original est La Tumeur, dépeint la tyrannie comme un cancer mortel.

Pour l’auteur, il ne s’agit pas seulement d’un roman à clé sur la dictature libyenne, mais aussi sur les méfaits des aspirations humaines au pouvoir au niveau philosophique.

Ibrahim al-Koni a été récompensé par de nombreux prix littéraires, y compris le Prix de l’Etat libyen d’art et de littérature. Sa réputation internationale lui a assuré une certaine sécurité dans son pays: «Le régime me respectait.» Mais il était surveillé par les services secrets à chacune de ses visites.

Ces dernières années, le fils de Mouammar Kadhafi, Seif al-Islam, avait suscité certains espoirs de modernisation du pays et de liberté accrue. «Mais le père Kadhafi a balayé ce projet. Il tient les réformes pour superflues, surtout depuis qu’il est redevenu fréquentable pour les Européens», explique encore l’écrivain.

Pont aérien. L’aide humanitaire en Libye et aux dizaines de  milliers de réfugiés en Tunisie monte en puissance. Un pont aérien a  permis d’évacuer vendredi des milliers d’immigrés. Le CICR, MSF et  l’ONU ont cependant demandé en vain l’accès à l’ouest de la Libye.

Appel. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a lancé un appel de 24 millions de francs pour assister pendant deux mois plus de 200’000 personnes affectées par la crise en Libye.

Ambulance. Le CICR a condamné les attaques commises jeudi  contre deux ambulances du Croissant-Rouge libyen, cible de tirs à  Misrata, à l’ouest de Benghazi. 

  

Croix-Rouge suisse. Un premier vol affrété par la Croix-Rouge suisse a décollé  vendredi de l’aéroport de Bâle-Mulhouse. Sept tonnes de matériel,  des couvertures et des tentes destinées à Ras Jedir, à la frontière  entre la Tunisie et la Libye, ont été chargées à bord de ce vol-charter.

(source : agences)

Né en 1948 dans une tribu touareg du désert libyen, il part en 1970 pour l’URSS, où il étudie la littérature à l’Institut Gorki de Moscou et travaille comme journaliste.

1993: s’installe en Suisse, dans un village au-dessus du lac de Thoune, dans le canton de Berne. Il est binational libyen et suisse.

Parmi ses 70 livres, 11 ont été publiés en allemand par les Editions Lenos à Bâle, traduits par Hartmut Fähndrich.

Parmi plusieurs prix littéraires internationaux, il a été récompensé en 2005 par le Grand prix de littérature du canton de Berne pour l’ensemble de son œuvre.

Traduction de l’allemand: Isabelle Eichenberger

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