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«La Suisse s’offre un ‘trip’ collectif»

Alinghi, c'est la victoire et le rêve. C'est aussi le symbole de la précision, du travail bien fait, que les Suisses affectionnent tout particulièrement.

Pour swissinfo, l’ethnologue Fabrizio Sabelli analyse cette Alinghimania.

swissinfo: Comment expliquez-vous cet engouement pour Alinghi?

Fabrizio Sabelli: D’une part, il y a l’aspect précision. Derrière le bateau d’Alinghi, on retrouve la montre suisse. L’amour du travail bien fait, sans erreur. Et cette équipe a prouvé qu’elle travaillait comme une montre.

D’autre part, il y a chez les Suisses un sentiment permanent de perdant. Ils ont donc besoin de victoires. De surprises aussi. Là, même si tout le monde espérait, personne n’y croyait.

swissinfo: Un événement comparable aux médailles olympiques de Simon Ammann ou au parcours du FC Bâle en Ligue des Champions?

F.S.: Le phénomène est le même. En ce moment, le sport joue un rôle important en ce sens. Il remonte le moral de la population. En se levant en pleine nuit, on va s’offrir un peu de rêve.

swissinfo: Ce qui explique peut-être pourquoi ceux qui suivent Alinghi ne sont pas forcément des passionnés de voile…

F.S.: Exactement. Ce qui les motive, ce n’est pas la passion de la voile. C’est plutôt ce besoin de retrouver un peu de confiance.

Ils voient la Suisse qui gagne. L’Europe aussi, puisqu’en cas de victoire d’Alinghi, elle serait concernée par l’organisation de la prochaine Coupe. Les supporters ont ainsi le sentiment que la Suisse peut jouer un rôle dans l’Union.

swissinfo: Mais la Coupe de l’America va se terminer un jour. Alinghi, n’est-ce pas simplement une mode qui va ensuite disparaître?

F.S.: Je ne parlerais pas de mode. Mais d’effet éphémère, oui. Comme pour le FC Bâle et les autres phénomènes sportifs.

C’est un moment de vibration collective. Rien de plus. Il ne faut pas imaginer que ces événements peuvent rétablir les équilibres mentaux dont la Suisse a besoin. Ce serait excessif!

Il faudrait plutôt parler de ‘trip collectif’.

swissinfo: Un trip qui s’accompagne de produits dérivés…

F.S.: Eh oui! Le marché a besoin d’émotion pour vendre… Mais ces produits permettent aux fans de s’identifier à leur équipe. L’effet totémique, disent les anthropologues.

Plus tard, ces totems prolongeront l’événement. Les gens pourront faire comme si eux-mêmes avaient participé à l’aventure. On devient le héros.

swissinfo: Aujourd’hui, peut-on encore échapper à cette Alinghimania?

F.S.: Pourquoi y échapper? Ce n’est pas un cancer! A d’autres époques, on organisait des joutes entre quartiers, par exemple. De tous temps, l’humanité a eu besoin de s’identifier à une équipe gagnante ou à un héros.

Interview swissinfo, Mathias Froidevaux et Alexandra Richard

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