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«Les Haïtiens ont eu un comportement exemplaire»

Marianne Lehmann a collecté plus de 3000 pièces du culte vodou. Coll. Marianne Lehmann

Personnalité haute en couleur de la communauté suisse d’Haïti, Marianne Lehmann témoigne des élans de solidarité qu’elle a pu observer autour d’elle suite au séisme. Un état d’esprit qui risque de s’envoler avec la phase de reconstruction de l’ile.

«Je me porte bien. Mais c’est abominable ce qui se passe.» Marianne Lehmann vit dans une petite maison d’un étage au centre de la commune de Pétionville en périphérie de Port-au-Prince. Un quartier composé de bidonvilles et de zones résidentielles relativement épargné par le séisme cataclysmique du 12 janvier.

Cette Haïtienne de cœur habite tout près de l’ambassade de Suisse en Haïti. «L’ambassade est complètement fêlée. Mais l’ambassadeur continue d’y travailler 20 heures sur 24. L’engagement des Suisses est magnifique», assure cette Bernoise d’origine qui a longtemps travaillé pour l’ambassade suisse.

Le bilan humain de la catastrophe reste à faire. Mais la Suissesse pointe une conséquence peu visible, mais bien réelle: «Beaucoup de gens sont psychologiquement traumatisés, alors qu’ils sont plutôt solides sur ce plan. Il faut dire que le peuple était déjà par terre, souffrant de la faim et d’un chômage massif.»

Folles rumeurs

Comme souvent lors de catastrophes exceptionnelles, toutes sortes de bruits apparaissent. «Une rumeur, qui circule en ville et sur Internet, accuse les Américains d’avoir provoqué le tremblement de terre lors d’un mystérieux essai qui aurait mal tourné», raconte Marianne Lehmann

Un phantasme à la mesure du choc provoqué par le séisme et du déploiement massif de l’armée et des équipes américaines de secours.

D’autant que pendant la semaine qui a suivi le séisme du 12 janvier, le dénuement était total. «Nous ne trouvions pratiquement rien à manger. J’ai pu trouver une fois un peu de sucre et de farine. Encore aujourd’hui, le peuple, lui, a faim, même si des marchands de rue trouvent de temps à autre de la nourriture à vendre, comme des bonbons », témoigne cette Haïtienne de cœur.

Solidarité généralisée

D’où les pillages qu’a connue la capitale. Mais depuis son quartier, Marianne Lehmann a observé autre chose. «L’Etat haïtien est largement absent. Heureusement qu’il y a une grande solidarité entre les Haïtiens. Les gens s’entraident en essayant de trouver de l’eau et de la nourriture qu’ils partagent. Et ils font preuve d’une grande discipline. Malgré leur douleur, malgré leurs problèmes, les Haïtiens ont le plus souvent un comportement exemplaire», raconte la septuagénaire dans un inimitable accent helvético-haïtien.

Un état d’esprit forgé de longue date. «Il faut dire que les Haïtiens sont extrêmement débrouillards et travailleurs, même dans le dénuement. La première chose qu’un Haïtien vous demande quand il vous rencontre, c’est du travail.»

Contrairement aux autres catastrophes naturelles qui ont frappé l’île, les classes aisées n’ont pas été épargnées. «En général, c’est le peuple qui prend toutes les misères», rappelle Marianne Lehmann.

Cela augure-t-il d’un changement pour l’avenir ? Marianne Lehmann en doute : «Pour l’heure, l’esprit d’entraide traverse les classes sociales. Mais chacun va essayer de tirer ses marrons du feu lors de la phase de reconstruction. La haute bourgeoisie a tellement l’habitude de vivre égoïstement, de n’avoir aucune considération pour le reste de la population. C’est presque devenu génétique. A force de voir des pauvres, elle estime qu’il est normal qu’ils soient pauvres.»

La richesse du vodou

Etablie depuis 1957 en Haïti, Marianne Lehmann y est bien connue pour avoir collecté plus de 3000 pièces du culte vodou (cette interprétation collective du monde, à la fois religieuse, politique et médicale, créée par les esclaves africains déportés sur l’ile caraïbe). Une collection présentée au Musée d’ethnographie de Genève en 2008, avant une tournée en Europe.

«Heureusement, il n’y a pas eu trop de dégâts», se réjouit Marianne Lehmann avant de préciser que la création d’un centre culturel en Haïti pour mettre en valeur la riche collection est toujours à l’ordre du jour.

«Ce pays ne peut pas disparaître et chacun doit apporter son grain de sable. Ce musée pourrait faire du bien à l’économie haïtienne en attirant ainsi des touristes», assure Marianne Lehmann, avant de rappeler l’importance du vodou dans l’histoire et le présent d’Haïti.

«Le vaudou a fortement contribué à l’indépendance d’Haïti. C’est une tradition extrêmement riche, une philosophie, une cosmogonie qui touche tous les aspects de la vie quotidienne.»

Reste que cet univers culturel liant les Haïtiens à la terre africaine de leurs ancêtres esclaves continue d’être combattu, en particulier par les sectes protestantes qui redoublent d’activité depuis le séisme.

«On entend beaucoup les cris et les harangues des adeptes de sectes évangéliques qui n’ont que Jésus dans la bouche. Si ça peut les soulager, c’est très bien. Mais ces sectes puissantes rendent les gens un peu stupides et bornés», juge Marianne Lehmann.

«Il faut au contraire que les Haïtiens ouvrent les yeux et cessent de continuer à tendre la main», conseille Marianne Lehmann.

Frédéric Burnand, Genève, swissinfo.ch

Le ministre de la Santé d’Haïti a déclaré lundi s’attendre à un bilan final de 150’000 morts après le séisme du 12 janvier.

Alex Larsen a précisé que 90’000 cadavres avaient déjà été dénombrés par les autorités et que le nombre de sinistrés avoisinerait le million.

Une conférence internationale sur l’aide à Haïti se tiendra en mars au siège des Nations unies à New York, à l’invitation des Etats-Unis, selon une annonce faite ce lundi à l’issue d’une réunion d’urgence à Montréal.

Cette réunion a été l’occasion pour Haïti de demander – sans avancer aucun chiffre – un soutien «massif» à la communauté internationale
dans le travail «colossal» qui l’attend pour relever le pays
dévasté.

En même temps, le Premier ministre Jean-Max Bellerive a affirmé haut et fort que l’Etat haïtien jouerait un rôle central de coordination et qu’il n’avait pas l’intention de céder une part de sa souveraineté à qui que ce soit.

En 1804, Haïti se sépare de la France et proclame son indépendance. La Suisse la reconnaît immédiatement.

En 1935, après l’épisode de l’occupation d’Haïti par les troupes américaines, la Suisse ouvre un consulat honoraire, qui se transforme en consulat en 1959 avant de devenir, en 2006, un consulat général qui sera élevé au rang d’ambassade en 2007.

La Suisse a représenté les intérêts d’Haïti dans plusieurs États pendant la seconde guerre mondiale et à Cuba de 1964 à 1967.

Le volume des échanges commerciaux entre les deux pays reste modeste. La langue française constitue un lien qui favorise toute une variété de contacts dans les domaines religieux, scientifiques et culturels. Les deux pays appartiennent à l’Organisation internationale de la francophonie.

La coopération suisse au développement passe pour l’essentiel par des œuvres caritatives privées. Mais la Suisse est également présente au titre de l’aide humanitaire, Haïti étant le pays le plus pauvre de tout le continent américain. En 2007, 130 Suisses et Suissesses résidaient en Haïti.

En 1934, Haïti ouvre un consulat en Suisse (il y avait eu un premier consulat au XIXe siècle). Les relations diplomatiques avec la Suisse sont assurées par l’Ambassade d’Haïti à Paris.

Fin 2008, 451 ressortissants haïtiens résidaient en Suisse.

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