TRIAS 25 ou pourquoi l’armée suisse s’exerce à un scénario de crise en Autriche

Dans le cadre de son plus grand exercice militaire à l’étranger depuis trente ans, l’armée suisse s’entraîne avec les Autrichiens et les Allemands à la reconquête de territoires. Ce scénario fictif s’inscrit dans une période d’incertitude géopolitique. La Russie y prête une attention particulière.
Avec ses 157 kilomètres carrés, le terrain d’exercice situé dans le Land de Basse-Autriche est environ six fois plus grand que les centres d’entraînement au combat en Suisse. Là-bas, l’entraînement avec des chars et des véhicules tout-terrain n’est pas limité aux parcours prédéfinis. Les conditions sont réalistes, comme en situation de guerre.
Pour cet exercice, l’armée suisse a acheminé 78 véhicules de Thoune vers l’Autriche. Onze trains de marchandises d’une longueur totale de 4,3 kilomètres ont été nécessaires, représentant un défi logistique de taille.
Reportage du Téléjournal de la RTS du 15 avril sur le transport des troupes suisses vers l’Autriche:
Un exercice de guerre défensive
Sur place, on retrouve le bataillon mécanisé 14 et la brigade mécanisée 11 de l’armée suisse. Les militaires effectuent ainsi leur cours de répétition annuel, appelé «CR», à l’étranger.
La participation à l’exercice est volontaire: en Suisse, il n’existe pas d’ordre de marche pour le service à l’étranger.
Ce point pose un problème à l’armée. Cette dernière a eu de la peine à recruter le nombre de soldats nécessaireLien externe, pointaient les médias l’an passé.
TRIAS25 est le nom de l’exercice de troupes. Il reflète les unités des trois pays participants, l’Autriche, l’Allemagne et la Suisse, qui se répartissent les rôles de défenseurs et d’assaillants.
Le major autrichien Sebastian Schubert déclare: «Cet entraînement contribue à préparer l’armée autrichienne, qui, conformément au plan de développement 2032+, s’oriente vers la défense militaire du pays.»
L’Autriche a adopté ce plan de développement après l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022. La Suisse souhaite également renforcer son armée en vue d’une guerre défensive. Si le ton des responsables reste neutre, le contexte géopolitique est bien présent en toile de fond.
Aucun rôle officiel de l’OTAN
Lors de cet exercice à grande échelle, les militaires partent du principe qu’ils ont affaire à un adversaire recourant à des menaces hybrides telles que des campagnes de désinformation, des cyberattaques et des attentats contre des infrastructures critiques. Même si la Russie n’est pas explicitement mentionnée, elle est clairement visée.
Que la Russie observe cet exercice avec méfiance n’a rien de surprenant. Le fait que l’Autriche soit neutre, que la Suisse, neutre également, fournisse la grande majorité des militaires participants et que l’Allemagne, membre de l’OTAN, ne joue qu’un rôle mineur n’y change pas grand-chose.
Les responsables ne souhaitent cependant pas s’exprimer sur les implications politiques.
La ministre autrichienne de la Défense, Klaudia Tanner, revendique une approche pragmatique: «Un principe fondamental pour les armées du monde entier est ‹train as you fight›. Les exercices, même d’une telle ampleur, sont la base du maintien des capacités militaires», relève-t-elle.
Cela n’a rien à voir avec un rapprochement avec l’OTAN. Lorsqu’un État neutre s’entraîne dans et avec un autre État neutre, cela ne peut être que bénéfique pour les armées concernées, indique Klaudia Tanner.
La neutralité suisse est-elle en train de s’éroder?
Le brigadier Christoph Roduner, responsable de l’exercice, affirme: «Nous ne suivons pas le processus décisionnel de l’OTAN. Nous appliquons notre propre règlement et nos partenaires l’acceptent. Mais il est intéressant de pouvoir comparer sur place les normes de l’OTAN avec les nôtres pour voir si nous les remplissons facilement.»

Les deux unités de la Bundeswehr allemande opèrent selon ces normes, l’Allemagne étant membre de l’OTAN.
En Suisse, l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice) a exprimé ses inquiétudes: selon le parti, cet exercice trinational à grande échelle, malgré toutes les déclarations contraires, constitue un premier pas vers une participation aux exercices de l’OTAN, ce qui serait difficilement compatible avec la neutralité helvétique.

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Dans quelle direction la neutralité suisse évolue-t-elle?
Le divisionnaire Benedikt Roos, commandant des forces terrestres, insiste sur le fait que TRIAS 25 n’est qu’un entraînement avec des forces étrangères, qui doit apporter des enseignements précieux pour la défense de la Suisse. Et Christoph Roduner d’ajouter: «Nous voulons en tirer des leçons. Utilisons-nous nos forces correctement?» L’entraînement en Autriche représente une occasion unique de le vérifier.
Des exercices plus importants encore dans les années à venir
L’exercice de quatre semaines, qui se poursuit jusqu’au 9 mai, constitue une première sous cette forme. Dans les années à venir, plus précisément en 2027 et en 2029, il devrait être élargi à l’échelle d’un bataillon. À terme, des entraînements à l’échelle de grandes unités sont prévus.
Compte tenu de la situation sécuritaire instable, il semble que des choses encore impensables voici quelques années soient désormais possibles.
«En tant qu’État neutre, nous devons toujours être prêts, car nous ne pouvons compter sur aucune alliance en cas de crise, signale Klaudia Tanner. Je n’y vois donc pas un rapprochement, mais plutôt une préparation et un entraînement communs visant à maintenir les capacités militaires nécessaires à la défense du pays.»

Cela tombe bien: ces dernières années, l’armée autrichienne a rénové les casernes de la base d’entraînement militaire d’Allentsteig pour un montant de 14 millions d’euros.
Pour la Suisse également, l’exercice à Allentsteig représente un investissement dans l’avenir. TRIAS 25 a déjà coûté cette année quatre millions de francs de plus qu’un cours de répétition ordinaire en Suisse.
Texte relu et vérifié par Marc Leutenegger, traduit de l’allemand par Zélie Schaller/op

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