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Amiante: des avocats italiens attaquent Eternit

Au ministère des finances, on juge "absurde" la plainte déposée contre Hans-Rudolf Merz. Keystone

Une plainte pénale a été déposée contre d’anciens responsables d’Eternit, dont l’actuel ministre Hans-Rudolf Merz.

Le conseiller fédéral, qui n’a jamais été un cadre de cette société, a en revanche lancé les négociations avec un avocat d’Afrique du Sud, où l’entreprise est également mise en cause.

Eternit a beau ne bientôt plus exister, ni comme entreprise, ni comme alliage ciment-amiante, son fantôme n’en finit pas de revenir harceler ses anciens propriétaires.

Ou les personnes qui ont collaboré d’une manière ou d’une autre avec la famille Schmidheiny, qui exploitait l’entreprise depuis 1920, comme l’actuel conseiller fédéral Hans-Rudolf Merz, longtemps conseiller de Stephan Schmidheiny.

Le magazine «work» du syndicat SIB a en effet révélé vendredi que deux avocats siciliens avaient déposé une plainte pénale pour homicide, cela contre vingt responsables de plusieurs entreprises du groupe Schmidheiny.

Fabrique revendue en 1986

L’article ne cite que les noms de Stephan Schmidheiny, ancien responsable d’Anova (ex-Eternit International), et de Hans-Rudolf Merz, président du conseil d’administration de septembre 2002 à décembre 2003. Dans les années 70 et 80, le deuxième a exercé différents mandats de conseiller pour le premier.

Les deux avocats siciliens reprochent aux anciens responsables d’Eternit Sicilia de ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour protéger les employés des effets néfastes de l’amiante. Le procureur ne s’est pas encore prononcé sur la recevabilité de la plainte.

Mais Eternit avait revendu sa filiale sicilienne en 1986. La plainte fait aujourd’hui s’étrangler d’indignation le porte-parole d’Anova, Peter Schürmann.

«Cette plainte est absurde! Une expertise indépendante présentée il y a trois jours à Syracuse a précisément montré que la situation des employés s’était améliorée après la reprise du site par Eternit en 1974».

«Quant à savoir ce que l’usine est devenue après la vente de 1986, nous ne pouvons pas le savoir», explique Peter Schürmann.

Réaction identique au ministère suisse des finances, aujourd’hui dirigé par Hans-Rudolf Merz. Interrogé par l’Agence télégraphique suisse, son porte-parole Dieter Leutwyler juge que si cette plainte existe, elle est «extrêmement absurde».

Par ailleurs, en Italie toujours, le Parquet de Turin a ouvert une enquête pénale pour homicide contre le volet suisse d’Eternit, racheté par Holderbank (aujourd’hui Holcim) en 1995. Les victimes sont des employés italiens ayant travaillé en Suisse. Holcim a revendu Eternit en novembre dernier au groupe zougois BA Holding.

Progrès en Afrique du Sud

Le bras de fer entre Anova et les avocats siciliens contraste avec le dialogue ouvert avec l’avocat sud-africain Richard Spoor, déjà auteur d’un accord de dédommagement avec le groupe minier sud-africain Gencor et l’Anglais Cape pour plus de 13’000 victimes de l’amiante.

En Afrique du Sud, Eternit a été active jusqu’à la fin des années 70, par le biais de sa filiale Everite. Les discussions avec Richard Spoor ont commencé en avril 2003.

En décembre, lorsque Hans-Rudolf Merz a été élu au Conseil fédéral, Anova a indiqué être sur le point de conclure un accord avec Richard Spoor. Interrogé par swissinfo au sujet de l’avancée des discussions, ce dernier relativise.

«Nous devons encore fixer le montant global et le mode de distribution. Je rencontre des représentants d’Anova mercredi prochain à Johannesburg. Les discussions sont positives, Anova veut trouver une solution et je suis confiant.»

L’avocat, qui se bat depuis des années pour aider les mineurs, ne cache pas qu’il subit des pressions, mais pas des Suisses, au contraire.

«Les gens sont en train de mourir, dit-il. Pour eux, il est très difficile de comprendre qu’il faut attendre pour recevoir une aide.» Or les processus ne sont pas rapides. Les fonds débloqués l’an dernier par Gencor commencent seulement à être versés.

Richard Spoor estime à 15’000 le nombre de personnes qui pourraient être indemnisées, «mais il faut rester très prudent. Nous avons entre 100’000 et 120’000 cartes médicales et nous sommes en train de chercher les anciens employés. Beaucoup sont déjà morts.»

Possible solution pour d’autres pays

La solution du fonds d’indemnisation ne pourrait-elle pas être appliquée en Italie ou dans d’autres pays où Eternit a exploité des fabriques d’amiante?

«En Italie, c’est impossible, s’exclame Peter Schürmann. Le système juridique oblige à passer par la plainte pénale, qui vise des personnes, tandis que la plainte civile permettrait de s’en prendre à une organisation.»

«Avec leur attaque, poursuit le porte-parole, les avocats des victimes montrent qu’ils ne cherchent pas le dialogue.» Dans d’autres pays où Eternit a travaillé, comme le Nicaragua ou le Brésil, aucune plainte ou demande en réparation n’a été faite, selon le porte-parole.

Richard Spoor, lui, espère qu’un accord avec Anova montrera la voie. «Le problème de l’amiante, même si c’est une industrie quasi morte, ne disparaîtra pas de lui-même. Le temps de latence est très long. Les gens tombent malades et meurent des années plus tard.»

En Afrique du Sud, les aides étatiques sont misérables voire inexistantes, explique encore l’avocat. «Un accord avec les producteurs d’amiante permettrait de faire pression sur les propriétaires de mines d’or, qui continuent à gagner des millions de dollars sur le dos de mineurs qui sont en train de mourir.»

Richard Spoor s’attend d’ailleurs à retrouver d’autres noms suisses dans ses futurs dossiers liés à l’or.

Mais avant cela, une autre adresse l’intéresse déjà: celle de Xstrata, le groupe zougois créé par Marc Rich, qui a aussi exploité des mines d’amiante en Afrique du sud. «Ils ne nous répondent pas et semblent avoir choisi la voie de la confrontation», dit l’avocat dans un soupir d’exaspération.

swissinfo, Ariane Gigon Bormann, Zurich.

Eternit AG a été dirigée depuis 1920 par la famille Schmidheiny depuis Niederurnen (GL)

Devenu groupe international, Eternit et ses nombreuses sociétés ont été actives dans quelque vingt pays, dont l’Afrique du Sud, la Grèce, l’Italie, le Nicaragua ou le Brésil

En 1990, Stephan Schmidheiny a vendu Eternit Suisse à son frère Thomas

Eternit International est devenu Anova

– Selon le magazine du syndicat SIB «work», deux avocats siciliens ont déposé une plainte pénale pour homicide contre vingt anciens dirigeants liés à des entreprises Eternit.

– Parmi eux figurent Stephan Schmidheiny, qui vit aujourd’hui au Costa Rica, et Hans-Rudolf Merz, devenu conseiller fédéral (ministre) en décembre dernier.

– Anova juge les reproches des avocats «absurdes»: Eternit avait revendu sa filiale sicilienne en 1986.

– Quant à Hans-Rudolf Merz, il n’a jamais exercé de fonction dirigeante chez Eternit ou au sein d’Anova, dont il a dirigé le conseil d’administration durant 15 mois jusqu’en décembre 2003.

– En Afrique du Sud, les discussions visant à indemniser d’anciens employés d’Everite, filiale d’Eternit, se déroulent en revanche dans un climat jugé serein de part et d’autre.

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