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Au plan pénal, l’affaire Abacha continue

Bernard Bertossa: «cet accord n’aurait jamais été conclu si nous n’avions pas mis la pression». Keystone Archive

L'accord passé avec la famille de l'ex-dictateur ne met pas fin aux procédures judiciaires. Le procureur général genevois, Bernard Bertossa, confirme.

Bernard Bertossa: Cet accord met un terme aux conséquences civiles des procédures. Mais les choses se poursuivent sur le plan pénal.

C’est d’ailleurs une question d’équité. Un certain nombre d’intermédiaires ont déjà été condamnés. Ce ne serait pas juste que les principales personnes impliquées bénéficient de l’immunité, simplement parce qu’elles ont restitué le produit de leur crime.

swissinfo: Aujourd’hui, combien de millions de francs, liés à la famille Abacha, sont encore en Suisse?

B. B.: Environ 650 millions de francs. La quasi-totalité de cette somme est concernée par l’accord et sera donc restituée au gouvernement nigérian.

Seuls quelque 80 millions de francs sont détenus par des personnes qui n’ont pas participé à cet accord. Leur sort devra être décidé selon les procédures habituelles.

Comment va-t-on restituer cet argent à l’Etat du Nigeria?

B. B.: Les fonds seront restitués à travers la banque des règlements internationaux (BRI). Cette institution, dont le siège est à Bâle, est la banque des banques centrales.

Ces fonds pourront être utilisés soit pour diminuer la dette du Nigeria, soit pour financer ses activités publiques. En fait, ce sera au parlement nigérian de décider, et non au gouvernement uniquement. Tout cela se fera naturellement de manière transparente.

Pourquoi ne pas avoir restitué directement ces fonds à l’Etat du Nigeria?

B. B.: Pour des raisons politiques, il fallait une transparence absolue. D’ailleurs, le gouvernement nigérian lui-même a souhaité cette procédure de restitution.

La Suisse a été beaucoup critiquée dans cette affaire. Est-ce que son image a été ternie?

B. B.: Selon moi, on peut critiquer le fait que notre place financière ait accepté, à l’époque, des montants provenant d’affaires qui se sont avérées criminelles.

En revanche, les critiques contre les autorités suisses ne sont pas fondées. Au contraire, la Suisse a donné le ton dans ce dossier. C’est elle qui, la première, a ouvert des procédures pénales.

Quelles sont les conséquences de cette affaire pour la place financière helvétique?

B.B.: Des sanctions ont déjà été prises par la Commission fédérale des banques contre certains établissements. Et cela parce qu’ils avaient accepté des fonds de manière un peu trop légère.

En outre, un certain nombre d’intermédiaires financiers helvétiques auront à répondre individuellement de leurs activités. Cela se fera dans le cadre des procédures pénales ouvertes en Suisse.

En revanche, actuellement, les personnes morales – les banques et les autres sociétés – ne peuvent pas être sujettes à des sanctions pénales. Ce qui ne sera plus le cas demain.

Selon moi, les institutions financières ont déjà tiré la leçon de cette affaire, d’autant que les faits ne remontent pas à hier.

Elles savent désormais qu’il faut observer une prudence plus grande avant d’accepter des fonds provenant de personnes au pouvoir à l’étranger ou de leurs proches.

Etes-vous satisfait de l’arrangement qui a été trouvé?

B.B.: On ne peut être que satisfait lorsqu’une victime est dédommagée. Qu’il s’agisse d’une personne ou d’un Etat.

Cette solution me paraît d’autant meilleure que, si nous avions dû poursuivre les actions judiciaires, il n’est pas certain que nous serions arrivés au même résultat avant la fin de ce siècle…

Les procédures sont très compliquées, et les moyens de recours nombreux.

Quel rôle la Suisse a-t-elle joué dans cet accord?

B.B: Les choses doivent être claires: les autorités suisses n’y ont pas participé. D’ailleurs, elles n’avaient pas à le faire. Sur le plan purement civil, c’est un problème entre l’auteur d’une infraction et sa victime.

Indirectement, il est évident que cet accord n’aurait jamais été conclu si nous n’avions pas ‘mis la pression’.

Et cela grâce aux procédures pénales ouvertes, en Suisse dans un premier temps, dans d’autres pays ensuite. Grâce aussi au blocage de fonds, décidés par les autorités pénales ou administratives.

swissinfo avec RSR

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