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Copenhague ou le grand exercice de la convergence

Copenhague obéit aux règles classiques de la négociation onusienne Keystone

Le changement climatique est reconnu. A Copenhague, pourtant, rien n’est simple. Transpiration, intox, chacun veut préserver ses intérêts alors que l’objectif est le bien commun. Négociateur suisse, José Romero revient notamment sur ce qu’il appelle la «dramaturgie de la tactique».

Chef de la Section conventions de Rio à l’Office fédéral de l’environnement (OFEV), José Romero a derrière lui treize conférences des parties. Quatorze avec Copenhague. Un négociateur inlassable, qui en connaît un bout sur la question…

swissinfo.ch: Le fonctionnement de ces négociations est-il véritablement démocratique?

José Romero: Oui. Pratiquement tous les pays du monde – 194 – ont ratifié la convention [-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC)], 189 ont ratifié le Protocole de Kyoto. Ils sont parties de plein droit et ont tous les droits, comme états souverains, d’avoir accès à toutes les informations, d’être écoutés, de faire des propositions.

Cela dit, par le truchement de groupements – les 77 et la Chine, qui englobe 134 pays en développement, celui de l’Union européenne, qui regroupe 27 Etats et la Commission, l’Umbrella Group, qui comprend les Etats-Unis, le Japon, le Groupe de l’intégrité environnementale, que préside la Suisse, avec le Mexique et la Corée, le Liechtenstein et Monaco – par ces regroupements, on essaie d’augmenter ses capacités à convaincre les autres ou d’influencer la présidence [danoise à Copenhague] lorsqu’on rédige des textes, lorsqu’on retient certains concepts.

Entendre de la part du groupe des 77 et de la Chine qu’un principe est indispensable, ou qu’il n’est pas possible d’aller plus loin sur un point, cela interpelle et pousse à trouver des accommodements.

Ici, on ne vote jamais. Tout se fait par consensus et doit procéder de la conviction, de la persuasion, de l’influence, de la démonstration que votre proposition est meilleure que celle des autres.

Mais à la fin, chacun essaie de garder intacts ses intérêts, de préserver ses points de vue. A partir de tous ces points de vue, les participants, petit à petit, convergent, souvent dans la douleur, avec des nuits de négociation, de nombreuses versions de texte révisé.

swissinfo.ch: Certains pays se sont plaints ici justement de ne pas avoir eu accès à certaines versions de texte. Un problème réel ou de l’intox?

J.R.: J’appelle cela la dramaturgie de la tactique. A certains moments, des consultations ont lieu, avec certains groupes et pays que l’on sait particulièrement sensibles sur certains points. La présidence consulte certains, pas forcément tous, sachant que les bons élèves prendront en compte ce qui paraît raisonnable.

Il y a donc une démocratie de fait, et beaucoup de tactique, à tout moment. Chaque argument de cette tactique est plus ou moins théâtralement représenté et parfois, c’est vrai, certaines interventions étonnent. Mais cela fait partie de la dramaturgie.

swissinfo.ch: Le remplacement de Connie Hedegaard par le Premier ministre danois Rasmussen à la présidence de la conférence mercredi révèle-il un problème?

J.R.: Cela était prévu dès le début. Vu la présence de présidents de nombreux pays, il fallait un niveau approprié de présidence de la conférence des parties. Le Premier ministre danois incarne le niveau le plus élevé de l’Etat, une nécessité du point de vue protocolaire. Du point de vue pratique, la mécanique de la négociation et de la gestion du processus est restée la même, avec le secrétariat [de la CCNUCC] derrière.

On parle ici d’un processus «conduit par les parties», de bas en haut, qui essaie d’arranger le plus efficacement possible des points de vue très disparates qui doivent forcément converger, vu qu’aucune solution autre que le consensus n’existe ici. On trouve des solutions qui préservent les intérêts de tous et, par-dessus tout, qui vont dans le sens de l’intérêt commun – minimiser les risques liés au changement climatique.

swissinfo.ch: Assiste-t-on à Copenhague à un grand classique de la négociation climatique onusienne ou des surprises sont-elles au rendez-vous?

J.R.: Toutes les règles de l’ONU sont respectées, on voit un grand respect des gouvernements les uns pour les autres, on s’adresse radialement à la présidence lorsqu’on veut faire passer un message à un autre gouvernement, en priant le président de le transmettre. C’est un peu théâtral, mais ce sont les règles.

En dehors, beaucoup de contacts bilatéraux ont lieu, beaucoup de travail, au niveau politique entre les délégations, bilatéral, multilatéral, dans les groupes, au niveau des experts du changement climatique, qui sont ici. Ce travail collectif, cette coopération internationale, dans le sens noble du terme, est assez extraordinaire à voir.

swissinfo.ch: Mais pas de surprises…

J.R.: Nous savons où nous voulons arriver. Et nous sommes toujours agréablement surpris par les bonnes propositions des autres parties. Par exemple les annonces faites par les pays en développement, la Chine, l’Inde, l’Afrique du Sud, la Corée, le Brésil, qui vont faire des efforts pour maitriser leurs émissions de gaz à effet de serre, pour rendre l’utilisation de l’énergie plus efficace, diminuer la déforestation [Brésil].

De bonnes surprises donc. Mais nous avons affaire ici à un milieu extrêmement professionnel, les gens sont très bien préparés, nous avons une expérience collective de travail. La mécanique est bien rôdée et, je pense, assez efficace.

Il faut voir que depuis 1992 [Sommet de la Terre de Rio, où a été signée la CCNUCC], énormément de politiques nationales ont été mises en place, sans parler évidemment du Protocole de Kyoto et de la convention, qui sont entrés en vigueur, de façon à minimiser les émissions, à réduire les risques liés au changement climatique, à promouvoir plus d’efficacité énergétique, une meilleure utilisation des ressources, un meilleur management des processus qui émettent des gaz à effet de serre.

Pierre-François Besson, Copenhague, swissinfo.ch

Jusqu‘à aujourd’hui voire samedi, à Copenhague, 193 pays tentent de s’entendre sur un accord climatique global succédant ou prolongeant le Protocole de Kyoto, qui court jusqu’à fin 2012.

Selon les climatologues, il reste entre 10 et 20 ans au monde pour inverser la tendance à la hausse des émissions de gaz à effet de serre. Sans quoi il deviendrait difficile aux humains de s’adapter à la déstabilisation induite du climat.

L’objectif repris pour Copenhague est de réduire les émissions de manière à ce que la hausse globale des températures ne dépasse pas 2°C par rapport à l’ère préindustrielle.

Le Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) juge nécessaire une réduction de 25% à 40% des émissions des pays industrialisés d’ici 2020 par rapport aux niveaux de 1990.

Il invite les pays riches à émettre de 80% à 95% de gaz à effet de serre en moins d’ici 2050. Et les pays en développement à réduire leurs émissions de 50%.

Le Gouvernement propose pour la Suisse une réduction d’ici 2020 de 20% au moins des émissions par rapport à 1990.

La Suisse est prête à relever l’objectif de réduction à 30%, selon l’issue de la conférence de Copenhague.

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