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Criminalité: la Suisse n’est plus un modèle

Pour Martin Killias, «les gens sortent plus, avec plus d’alcool et plus de violence.» Keystone

Le taux de criminalité dans les espaces publics, des vols et des effractions a augmenté en Suisse, comme le montre une récente étude de victimisation. Pour le criminologue et directeur de l’étude, Martin Killias, la réputation de sécurité de la Suisse n’est plus qu’un mythe.

D’après un sondage effectué auprès d’un échantillon représentatif de 2000 citoyennes et citoyens, 7,1 % d’entre eux auraient été victimes d’un cambriolage durant les six dernières années. En 2004, ils n’étaient que 5,1%. Les agressions causant des lésions corporelles de même que les menaces sont passées de 7,2 % à 10 %. Fait marquant: les délits ont majoritairement lieu dans les espaces publics. Ils ont surtout tendance à devenir plus sévères et concernent avant tout les jeunes jusqu’à 26 ans. Mais «la violence dans la rue n’est plus un pur délit de jeunesse. Elle se perpétue jusqu’à l’âge de quarante ans», constate le professeur de droit pénal de l’Université de Zurich Martin Killias. La violence domestique ne s’est en revanche pas aggravée.

Le criminologue a mené cette étude de concert avec la police cantonale bernoise, à la demande de la Conférence des commandants des polices cantonales.

Aujourd’hui, la Suisse se trouve en-dessus de la moyenne européenne en matière de cambriolages et d’actes de violence. En d’autres termes, la moitié des Etats européens enregistre pour ces délits un taux plus bas que la Suisse, alors qu’en 1984, la Suisse était encore en dernière position, tout au moins au niveau européen.

L’essor des loisirs et des sorties

Les conclusions de Martin Killias sont sans équivoque: «Il est clair qu’il faut se débarrasser du mythe selon lequel la Suisse serait un des pays les plus sûrs au monde. On répète dans chaque grand discours de magistrat que la Suisse est, malgré tout, encore le pays le plus sûr, si ce n’est au monde, du moins en Europe. Mais nous pouvons oublier cela!» Seul un chiffre tempère le constat: avec un taux de 2,2%, le nombre de victimes se situe juste en-dessous de la moyenne européenne.

Le rapport aux loisirs nocturnes a profondément changé depuis les années 1980, comme il a déjà été démontré par le passé, sous l’effet du boom des bus de nuit, de l’abolition des patentes, de la libéralisation de la vente d’alcool ou de la levée des couvre-feux. «Lorsque des centaines d’adolescents et de jeunes se concentrent autour de la gare de Zurich les vendredi et samedi soir et qu’une quantité illimitée d’alcool est à leur disposition, il faudrait un miracle sociologique pour que cela n’ait pas d’impact sur les actes de violence», dit Martin Killias.

Cycles conjoncturels des délits

Selon l’étude, sur les causes de la forte augmentation des cambriolages, il semblerait que des «raisons conjoncturelles» en soient responsables, d’après le criminologue: «Les objets volés tels que les téléviseurs et les appareils vidéo ont considérablement perdu de la valeur sur le marché noir. Avec l’explosion du prix de l’or, celle des chaînes de baptême et autres bijoux s’est considérablement élevée», dit Martin Killias. Or on en trouve dans pratiquement toutes les maisons et ils se transportent facilement.

D’après le directeur d’études, cette tendance n’est pas renforcée par la suppression des contrôles douaniers à l’intérieur de l’espace Schengen. «Avant Schengen, environ 3% des frontières étaient contrôlés. La mesure n’est donc pas très significative.»

L’expert voit le brigandage se propager au niveau international. Les bandes spécialisées choisissent toujours plus souvent la Suisse comme cible. Cela n’est selon lui pas dû au hasard, car la Suisse a le droit pénal le plus clément d’Europe. S’il était membre d’une bande organisé à Lyon, Martin Killias choisirait lui-même Genève comme cible, dit-il. Un cambrioleur peut partir du principe qu’il n’a quasiment aucun risque d’être placé en détention provisoire en Suisse. «Ce n’est pas une défaillance des procureurs, mais plutôt celle du législateur», souligne-t-il.

En finir avec le culte du sursis

La «révision problématique» du droit pénal suisse a conduit à une «banalisation de la violence». Le sursis à l’exécution des peines est devenu un culte, également sous la forme des sursis aux amendes. «Il est extrêmement difficile, poursuit Martin Killias, de mettre un suspect en détention provisoire après qu’il a commis un acte de violence. Qui donne un coup n’a plus les gros problèmes qu’il aurait pu avoir auparavant.»

Pour inverser cette tendance, Martin Killias préconise un retour à un droit pénal plus sévère, conduisant à des sanctions irrécusables à la place des mesures conditionnelles, à une facilitation de la détention des délinquants dangereux et à une plus forte prise en compte du point de vue de la victime. «Il est beaucoup plus difficile de nos jours pour les victimes de faire valoir leurs droits, en particulier s’agissant des réparations des dommages ou des compensations», explique Martin Killias.

Les citoyens ne sont pas «bêtes». Plus ils perçoivent, objectivement, l’augmentation de la criminalité, plus leur sentiment d’insécurité grandit. «Avec un taux de violence en augmentation dans les rues, le mécontentement envers la police et la critique de son travail augmentent aussi», explique Martin Killias.

Le directeur d’études Martin Killias indique que les résultats de l’étude de victimisation de 2011 coïncident avec les données des dernières statistiques criminelles («Crime Surveys»), les statistiques criminelles policières et avec une étude menée par la Suva en 2009.

Enjoliver l’information à propos de la hausse des chiffres de la criminalité en Suisse ou une désinformation à ce sujet serait contreproductif, estime Martin Killias. Une négation du problème provoquerait les citoyens, avertit-il.

Le criminologue est candidat socialiste du canton d’Argovie à un siège au Conseil national lors des élections fédérales de fin octobre.

Bien que le taux de criminalité ait globalement augmenté, les auteurs de l’étude peuvent aussi annoncer de bonnes nouvelles.

Le taux d’agressions sexuelles de femmes a diminué depuis 2004, de même que celui des vols de motos et de vélomoteurs, ce qui est en lien étroit avec l’introduction du port obligatoire du casque, selon Martin Killias. «Dans l’Europe entière, les vols de motos et vélomoteurs ont massivement diminué après l’introduction de l’obligation de rouler avec un casque. Cela complique la tâche du voleur, qui doit lui-même se munir d’un casque pour ne pas se faire immédiatement remarquer.»

Il en va toutefois autrement pour les vélos: le nombre de vols est en hausse marquée, passant de 18,9% en 2004 à 24,3 % aujourd’hui. Martin Killias est convaincu que cette tendance funeste serait freinée par une extension de l’obligation du port du casque pour les cyclistes.

(Traduction de l’allemand: Xavier Pellegrini)

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