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Les glaciers tropicaux d’Amérique du Sud: un patrimoine culturel menacé

Glacier en Amérique du Sud
Le glacier du Nevado del Ruiz, situé à 5320 mètres d’altitude en Colombie, a vu sa surface réduite de moitié depuis les années 1980. 2021 Anadolu Agency

La Colombie et l’Équateur abritent quelques-uns des rares glaciers tropicaux de la planète. Ces derniers, situés près de l’équateur, subissent de plein fouet le changement climatique, et les conséquences de leur fonte sont considérables.

Pour les Kogis, une communauté indigène du nord de la Colombie, la chaîne de montagnes Sierra Nevada de Santa Maria est le centre de l’univers. Ses rivières et ses forêts font partie d’un être vivant dont la montagne est le corps et le glacier le cerveau. Selon eux, la fonte des glaciers est le signe d’un déséquilibre entre l’être humain et la nature.

Des 14 glaciers tropicaux qui existaient en Colombie au début du XXe siècle, il n’en reste plus que six aujourd’hui. Le dernier à avoir complètement fondu, le Conejeras, a disparu il y a un peu plus d’un an.

Glaciers, fonte locale et impacts globaux

Le Service mondial de surveillance des glaciers (WGMS) recueille et analyse des données portant sur le bilan de masse, le volume, l’étendue et la longueur des glaciers de la planète. Basé en Suisse à l’Université de Zurich, il est né en 1986. Le WGMS dispose d’un réseau de correspondants nationaux dans plus de quarante pays.

À l’occasion de l’Année internationale de la préservation des glaciers, nous avons contacté certains de ces correspondants pour connaître l’état des glaciers dans leur région, les conséquences de la fonte des glaces et les stratégies d’adaptation.

«Nous avons perdu 30% de la surface glaciaire au cours des 12 dernières années», explique Jorge Luis Ceballos Liévano, de l’Institut national colombien d’hydrologie, de météorologie et d’études environnementales (IDEAM). Jorge Luis Ceballos Liéviano est le correspondant national en Colombie du Service mondial de surveillance des glaciers (WGMSLien externe), basé en Suisse.

«Si cette tendance se poursuit au cours de la seconde moitié de ce siècle, les glaciers colombiens pourraient disparaître», prévient-il. Le Venezuela voisin est le premier pays de la planète à avoir perdu tous ses glaciersLien externe.

Le problème est similaire en Équateur, où la superficie totale des glaciers est passée d’un peu plus de 97 kilomètres carrés à la fin des années 1950 à 37 kilomètres carrés aujourd’hui, explique Bolívar Ernesto Cáceres Correa, glaciologue à l’Institut équatorien de météorologie et d’hydrologie, et correspondant national en Équateur pour le WGMS. «Les glaciers situés à moins de 5130 mètres d’altitude disparaîtront très probablement au cours de la prochaine décennie», prédit-il.

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Les effets d’El Niño sur les glaciers des Andes

La Colombie et l’Équateur sont parmi les rares pays au monde à abriter des glaciers tropicauxLien externe. Ces derniers se sont formés dans la ceinture tropicale, à des altitudes supérieures à 4500-5000 mètres, où les températures sont suffisamment froides pour transformer la pluie en neige.

On trouve également des glaciers tropicaux en Bolivie et dans d’autres pays andins, en Afrique de l’Est (Kenya, Ouganda et Tanzanie) et en Indonésie. Contrairement aux glaciers alpins, les structures tropicales dépendent de la saison des pluies. La période d’accumulation, pendant laquelle le glacier se développe, est relativement courte, tandis que la fonte s’étend sur la majeure partie de l’année.

Ces glaciers sont particulièrement vulnérables au changement climatique. Comme ils se situent dans des zones déjà chaudes, il suffit d’une légère augmentation de la température pour qu’ils fondent rapidement. Selon un rapport récentLien externe de l’Organisation météorologique mondiale, les glaciers tropicaux fondent dix fois plus vite que la moyenne mondiale cumulée. Entre 2000 et 2023, ils ont perdu plus de 20% de leur masseLien externe.

Ceux de la cordillère des Andes sont très sensibles aux effets d’El Niño, explique Jorge Luis Ceballos Liévano. El Niño est un réchauffement anormal des eaux de surface dans l’océan Pacifique équatorial, qui entraîne une augmentation des températures mondiales.

«Si cette tendance se poursuit au cours de la seconde moitié de ce siècle, les glaciers colombiens pourraient disparaître»

Jorge Luis Ceballos Liévano, Institut colombien d’hydrologie, de météorologie et d’études environnementales

Conséquences négatives pour la biodiversité et le tourisme

Les glaciers andins alimentent le bassin de l’Amazone, le plus grand bassin fluvial de la planète, ainsi que de nombreuses rivières du continent. Contrairement aux autres glaciers, ils fournissent de l’eau aux régions arides et semi-arides. À long terme, leur fonte entraînera de graves pénuries d’eau pour des millions de personnesLien externe qui en dépendent pour boire et cuisiner, irriguer les champs et produire de l’énergie hydroélectrique.

Cette fonte risque également de modifier la biodiversité à proximité des glaciers et dans le Páramo, l’«éponge» des Andes, explique le Bolivar Ernesto Cáceres Correa. Le Páramo est un écosystème montagneux qui ressemble à une toundra alpine. Il stocke les eaux de fonte des glaciers et les libère pendant les mois secs. L’augmentation des températures et la réduction des ressources en eau peuvent changer la composition de la flore et de la faune de ce site unique.

La fonte des glaces a aussi créé des crevasses et des zones instables qui ont eu un impact négatif sur les activités touristiques dans les montagnesLien externe. «Le nombre de personnes souhaitant escalader les montagnes enneigées de l’Équateur a considérablement diminué», explique Cáceres Correa.

Paysage d'Amérique du Sud.
Le Páramo est un écosystème typique de la Colombie et d’autres pays d’Amérique latine, riche en eau et en biodiversité. Copyright 2024 The Associated Press. All Rights Reserved

En Colombie, la plupart des gens considèrent les glaciers comme un élément important du paysage montagneux et un patrimoine environnemental, note Jorge Luis Ceballos Liévano. Pour certaines communautés indigènes, il s’agit de territoires sacrés et spirituels. Leur disparition menace ainsi des traditions vieilles de plusieurs sièclesLien externe.

Selon Elizabeth AllisonLien externe, professeur d’écologie et de religion à l’Institut californien d’études intégrales, aux États-Unis, «le déclin des glaciers a des effets culturels et spirituels importants pour les communautés de haute montagne, car il entraîne des transformations dans la manière dont les populations locales se comprennent elles-mêmes et donnent un sens à leur environnement».

Sans les glaciers, les dieux sont moins puissants

La gestion durable des ressources en eau et la conservation des écosystèmes de montagne tels que le Páramo figurent parmi les principales stratégies d’adaptation à la fonte des glaciers andins. En Équateur, les initiatives se concentrent principalement sur l’optimisation de l’élevage et l’utilisation plus efficace de l’eau dans l’agriculture, explique le Bolívar Ernesto Cáceres Correa. Par le passé, la Suisse a financé des projets visant à introduire de nouvelles méthodes d’irrigation en Bolivie.

Les pays d’Amérique du Sud doivent également diversifier leurs sources d’énergie. L’hydroélectricité fournit environ 45% de l’électricitéLien externe produite sur le continent (63% en Colombie et 79% en Équateur, selon les chiffres de 2023Lien externe). Avec la diminution du ruissellement glaciaire, il y aura moins d’eau pour faire tourner les turbines et produire de l’électricité. L’alternative consiste à investir dans d’autres sources d’énergie telles que l’énergie solaire ou éolienne.

Un projet suisse cherche à préserver l’eau d’un glacier en Bolivie en combinant des connaissances ancestrales et de nouvelles technologies, comme en témoigne cette vidéo:

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Les célébrations liées aux divinités qui vivent sur les sommets enneigés vont se poursuivre, même si certains rituels ont été modifiésLien externe. Par exemple, lors des processions Quyllurit’i au Pérou, les gens ne sont plus autorisés à couper des blocs de glace et à les ramener au village. Ils et elles avaient l’habitude de le faire, croyant que l’eau de fonte avait des vertus curatives.

Certaines personnes craignent néanmoins que les esprits de la montagne soient moins puissants et protègent moins bien les communautés indigènesLien externe à mesure que la zone de glace se rétrécit. Que ce soit par spiritualité ou par science, celles et ceux qui cherchent à sauver les glaciers tropicaux s’accordent à dire qu’ils sont essentiels à la vie.

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Texte relu et vérifié par Gabe Bullard, traduit de l’italien par Lucie Donzé/op

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