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Culottes de jute, frelons et gros cailloux

Les premières traces écrites de la lutte suisse remontent au 13e siècle. Keystone Archive

La Fête fédérale de lutte, côté arènes, c'est trois concours: lutte suisse, hornuss et pierre d'Unspunnen. Chacun de ces sports a ses propres histoires, règles et coutumes. Ils ont en commun un terreau rural, des emblèmes patriotiques et le sens du fair-play.

«La lutte suisse est un sport typiquement suisse qui ne se pratique qu’en Suisse ou par les Suisses de l’étranger.» Demandez à Rémy Lambelet, président de l’Association vaudoise de lutte suisse, comment il définit son sport favori, il vous répond par une profession de foi.

Juges en costume d’armailli

Lui qui sait bien que la lutte existe depuis la création du monde et qui a conquis des lauriers dans les trois disciplines – gréco-romaine, libre et suisse – se laisse aller à imaginer comment jadis les bergers se disputaient troupeaux et alpages, amicalement ou non.

L’originalité de la lutte suisse, dont on a retrouvé des traces écrites remontant au 13e siècle, tient d’abord dans la culotte de toile renforcée ou de jute passée par-dessus le pantalon. Il n’y a qu’une seule catégorie de jeu dont la règle numéro un est que, pendant toute la durée du combat, une main doit tenir la ceinture ou le «retroussis» de la culotte.

Les juges, en costume d’armailli, ont l’œil rivé sur les lutteurs et sur leur panoplie de prises jusqu’à ce que l’un des deux se retrouve les épaules plaquées au sol. Puis vient le geste ultime, celui qui dit le mieux l’esprit du jeu, lorsque le vainqueur, d’un geste noble et amical, «efface» la sciure qui colore le dos de son adversaire malheureux.

Ni golf, ni base-ball

Hornuss, littéralement le frelon. Et un sport d’équipe dont on ne connaît pas très bien les origines. La plus ancienne trace dont a connaissance Pierre Heuberger, président du seul club romand actif, celui de Commugny-Coppet, remonte au début du 18e siècle.

«A l’époque ils jouaient avec des cailloux. Un dimanche, alors qu’il s’entraînait au lieu d’aller au culte, un des joueurs fut mortellement blessé par un projectile et l’accident a été rapporté dans une chronique. Mais le hornuss date sûrement de bien avant.»

Avec une once d’imagination, on arrive à trouver à ce jeu quelque affinité avec la fronde, le golf ou le base-ball. Ni club, ni batte, mais un fouet flexible, jadis fraîchement taillé dans une branche de noisetier, aujourd’hui en aluminium, fibre de verre ou de carbone. Avec, à son extrémité, le «traef», 300 grammes de bois compressé en forme de cylindre.

Avec cet engin élastique, les 16 ou 18 joueurs d’une première équipe essaient de frapper le hornuss, un projectile de 78 grammes, désormais de matière synthétique, et de l’expédier le plus loin possible dans un champ d’environ 400 mètres de long et 40 de large.

Cueillir le frelon

Répartis dans cet espace fauché, les joueurs de l’autre équipe, munis de grosses palettes de bois, tentent de «cueillir» le frelon qui passe bien au-dessus de leurs têtes à une vitesse qui peut atteindre les 300 km à l’heure. A la mi-temps, les équipes inversent les rôles et comptent les points en fonction de l’endroit où le hornuss a atterri ou a été intercepté.

Particularité de la Fête fédérale: les équipes sont invitées à tour de rôle. Les joueurs, qui n’ont donc qu’une ou deux occasions seulement dans leur vie de participer à ce concours national, accueillent cette invitation comme un véritable honneur. Mais ce sont des cornes qu’ils recevront s’ils en sortent gagnants!

Les lanceurs de pierre, eux, n’ont besoin ni de présélection, comme les lutteurs, ni d’invitation comme les «hornusseurs». «Il suffit de s’inscrire, tout un chacun y a droit», explique Pierre-André Steiner, responsable du concours de Nyon, qui porte bien son nom et qui espère que ce mode de participation n’incitera pas quelque fantaisiste à jouer un tour aux organisateurs.

Il est vrai que les apôtres de la pierre d’Unspunnen aimeraient oublier au plus vite ses récentes péripéties jurassiennes. L’histoire plus ancienne? Certains lorgnent du côté de Morgarten, là où en 1315 les troupes confédérées avaient mis en déroute leurs ennemis autrichiens en faisant dévaler sur eux les plus gros rochers possibles.

Douze bergers des Alpes

Philipp-Albert Stapfer, ministre de l’éphémère République helvétique, note en 1812 dans son «Voyage pittoresque de l’Oberland» que quatre ans plus tôt, lors d’une fête populaire organisée à Unspunnen, non loin d’Interlaken, «douze bergers des Alpes saisirent chacun à leur tour une pierre pesant 185 livres, la tinrent d’une main élevée au-dessus de leur tête, et lui firent ensuite décrire un arc, en la jetant à distance de huit jusqu’à dix-huit pieds».

Avant que des iconoclastes n’y gravent logo, date et autres étoiles, la pierre d’Unspunnen sortie des flots de l’Aar pesait 83,5 kilos, ce qui constitue le poids réglementaire de la copie encore utilisée à Nyon. Quant au record du lancer, il est, depuis la précédente Fête de Berne, en 1998, la propriété du Schwytzois Roland Staehlin avec un jet de 3 mètres 97.

Qui dit mieux? Privés de la pierre originale pendant 17 ans, la cinquantaine de lanceurs (dont trois romands seulement, tous Fribourgeois) inscrits aux deux concours de Nyon trouveront peut-être dans sa restitution une ardeur renouvelée assaisonnée d’un brin d’émotion. Alors, ce week-end, 4 mètres?

Bernard Weissbrodt

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