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La France célèbre son «proscrit» Rousseau

Le cénotaphe de Rousseau sur l'Ile des Peupliers à Ermenonville. Mathieu Van Berchem

Après un siècle et demi de brouilles, la France rend hommage au Genevois qui a écrit ses plus grandes œuvres près de Paris et repose au Panthéon. Les régions où Rousseau a vécu sont particulièrement actives.

En France, le tricentenaire de la naissance de Jean-Jacques Rousseau a commencé par une petite déception: 2012 n’a pas été consacrée «année Rousseau», alors que 2011 fut l’«année Liszt» et 2010 celle de Chopin.

Désintérêt pour le philosophe? Manque d’enthousiasme pour célébrer un étranger? La France n’a pas toujours été très tendre avec Rousseau. «En 1878, rares sont ceux qui veulent célébrer le centenaire de sa mort, rappelle l’historien Jean-Marc Vasseur. Et en 1912, pour le bicentenaire de sa naissance, la droite radicale lui reproche d’être le candidat des Rroms (!), le suppôt des juifs et des francs-maçons.»

«Rousseau n’est pas un personnage très régalien, remarque son biographe Bernard Cottret. Il est donc heureux que Paris ne se l’approprie pas.» Prudence de l’Etat, qui a tout de même organisé une exposition à l’Assemblée nationale et une autre au Panthéon. Mais passion des régions. De Chambéry, où Jean-Jacques parfait son éducation sentimentale au début des années 1730, à Ermenonville, où il meurt en 1778, en passant par Montmorency, lieu d’écriture de ses principales œuvres, les célébrations ont attiré beaucoup de monde.

«Il a abandonné ses enfants»

Dans l’Hexagone, les vieilles idées reçues sur Rousseau ont la vie dure. «J’entends régulièrement les visiteurs français me dire : ‘Rousseau ? Il écrit un bouquin de pédagogie et abandonne ses enfants’», déplore Jean-Marc Vasseur, conservateur à l’Abbaye royale de Chaalis, près d’Ermenonville, qui consacre une exposition à Rousseau. «On a oublié qu’abandonner ses enfants était une pratique très courante au XVIIIe siècle», ajoute Fabrice Boucault, ancien responsable du parc Jean-Jacques Rousseau.

Les sceptiques trouveront à Ermenonville des rousseauistes passionnés. Fabrice Boucault a baptisé son fils Émile, en l’honneur du célèbre traité d’éducation. Jean-Charles Morin, guide du parc Jean-Jacques Rousseau, considère que «l’âme de Jean-Jacques est toujours ici, et pas dans le grand frigidaire du Panthéon!»

Et Jean-Marc Vasseur a consacré une partie de sa vie à faire connaître les savoirs encyclopédiques du Genevois: en matière de musique, de chimie, de botanique et même de cuisine. Il vient de publier Jean-Jacques Rousseau dans son assiette, un ouvrage agrémenté de plusieurs recettes de l’époque. «C’était un autodidacte doublé d’un pédagogue, voilà pourquoi il me fascine.»

Dernier refuge

Mai 1778. Fatigué, proscrit, «seul au monde», Rousseau cherche un nouveau refuge à la campagne. Le marquis de Girardin l’invite chez lui, à Ermenonville, au nord de Paris. «Enthousiaste de Rousseau, Girardin avait conçu ses jardins, bientôt célèbres, sur le modèle de La Nouvelle Héloïse», écrit le biographe de Rousseau Raymond Trousson. Le marquis avait fait notamment construire un petit temple de la philosophie, dont chaque colonne représente un géant de la pensée: Newton, Descartes, Voltaire, Montesquieu, Montaigne et bien sûr Rousseau.

Le Genevois accepte l’invitation et s’installe dans un pavillon avec sa compagne Thérèse Le Vasseur. Deux siècles et demi plus tard, le jardin n’a pas changé, ou si peu. «C’est le contraire du jardin à la française,  résume le guide et collectionneur Jean-Charles Morin: la vue ne doit pas devancer les pas, la promenade doit s’intérioriser.» Aujourd’hui, le temple est intact, tout comme l’autel à la rêverie et le banc des mères de famille, où mères et enfants devaient mettre en pratique les préceptes de l’Emile.

A Ermenonville, Rousseau herborise, canote sur l’étang et médite dans la cabane rustique qui lui rappelle la Suisse. Fin mai, il apprend la mort de son «ennemi» Voltaire. «Mon existence était attachée à la sienne, je ne tarderai pas à le suivre», confie-t-il à Girardin.

Le 2 juillet vers 10 heures, il rentre de sa promenade matinale, puis s’effondre, mort. Le lendemain, le sculpteur Houdon lève le masque mortuaire du grand philosophe. On peut admirer le résultat à l’abbaye royale de Chaalis: un buste en plâtre du Rousseau des derniers jours.

Au Panthéon

Son cercueil est porté sur la minuscule île des Peupliers, où le sculpteur Jacques Philippe Lesueur construit un tombeau monumental. C’est ici que viendront se recueillir la reine Marie-Antoinette, Mirabeau, Robespierre, Goethe, Schiller, Chateaubriand, Benjamin Franklin, Bonaparte et tant d’autres adeptes, plus ou moins fidèles, de Rousseau. 

Le marquis de Girardin savoure sa gloire. Le génie des Lumières n’aura passé que six semaines à Ermenonville… et le voilà chez lui pour l’éternité. Enfin presque. Quand arrive la Révolution, tout Paris se prétend rousseauiste. Charlotte Corday, dévote de Jean-Jacques, assassine Marat, autre admirateur de Rousseau.

L’Assemblée réclame les cendres du Genevois pour les placer au Panthéon, mais Girardin proteste: faut-il «arracher ses mânes au sein de la nature et à la clarté des cieux, pour les reléguer sous des voûtes ténébreuses»? En vain. Le transfert au Panthéon aura finalement lieu en octobre 1794, au lendemain de la Grande Terreur.

En juin dernier, pour montrer que la France est totalement réconciliée avec Rousseau, le ministre de l’Education nationale, Vincent Peillon, lui rendait un vibrant hommage à Ermenonville. «Rousseau est un bon guide pour s’engager sur le chemin de l’avenir», concluait le ministre, qui a passé son agrégation de philosophie sur… Rousseau.

Le musée Jean-Jacques Rousseau à Montmorency présente une muséographie nouvelle: le bâtiment datant des 17e-18e siècles, la maison du philosophe, est mise en valeur. Les façades ont été ravalées, les intérieurs repeints, les équipements de chauffage modernisés. Le musée présente l’exposition Rousseau, passionnément.

A l’Abbaye de Chaalis, l’Espace Jean-Jacques Rousseau a été inauguré en mai dernier. L’exposition ne se veut pas encyclopédique mais propose de s’arrêter sur quelques aspects: les femmes, à qui l’écrivain doit pour partie son succès, l’éducation, sujet central de sa philosophie, la musique, son activité la plus constante, et la botanique.

Le Parc Jean-Jacques Rousseau à Ermenonville a fait l’objet d’un effort de rénovation. Sur chaque site du parc est notamment présentée une copie de peinture d’époque montrant les lieux tels qu’ils existaient à l’époque.

Jean-Jacques Rousseau dans son assiette, les plaisirs de la table au temps des Lumières, par Jean-Marc Vasseur. Éditions «La Lettre Active».

 

Jean-Jacques Rousseau, par Raymond Trousson. Éditions Tallandier.

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