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Des affamés victimes du climat et de spéculation

Dans beaucoup de pays d’Afrique, la lutte pour la survie est quotidienne. caritas.ch

Dans l’est de l’Afrique, des millions de personnes souffrent de la faim. Il s’agit de la pire famine des 60 dernières années. Le climat n’est cependant pas seul responsable. Pour Fred Lauener, consultant dans le domaine humanitaire, la spéculation sur la nourriture est aussi en cause.

Une famine exceptionnelle touche le Kenya, l’Ethiopie, le Somaliland, la Somalie, l’Ouganda et Djibouti. Environ 13 millions de personnes, dont deux millions d’enfants, y souffrent de la faim, selon les estimations des Nations Unies.

Le début de la saison des pluies aura des effets positifs à long terme sur la production alimentaire, estime l’Organisation mondiale de la santé. Les précipitations augmenteront cependant aussi le risque de diffusion de maladies telles que la malaria, la dengue ou le choléra. Dans certaines zones, les fortes pluies ont également coupé les voies de communication, ce qui rend le travail encore plus difficile.

Parmi les organisations actives sur le terrain, on trouve Caritas Suisse. A travers une série de projets d’un montant de 16,4 millions de francs, cette œuvre d’entraide de l’Eglise catholique fournit une aide d’urgence à environ 240’000 personnes. L’accent est mis sur les interventions visant à garantir l’accès à l’eau potable.

Pour ceux qui travaillent sur place, la lutte contre la famine prend des proportions colossales. «La région touchée est aussi grande que l’Europe occidentale et beaucoup de zones sont pratiquement inaccessibles», explique Fred Lauener. Ce journaliste et consultant suisse participe depuis 15 ans à des programmes humanitaires en collaboration avec Caritas et d’autres organisations. Interview.

swissinfo.ch: La faim ou la famine restent toujours d’actualité en Afrique. Les gens ne sont-ils pas «lassés» d’entendre toujours parler de ces choses?

Fred Lauener: En effet, les nouvelles qui nous parviennent d’Afrique sont souvent négatives. Ceux qui s’occupent d’aide d’urgence continuent évidemment leur travail. Les gens sont en revanche «saturés» et beaucoup se disent: «encore une famine, encore une guerre; je n’en peux plus».

Le résultat est évident; il est généralement devenu plus difficile de recevoir des aides. Il serait plus facile de les obtenir pour un pays riche comme le Japon. Mais je dois reconnaitre que la crise actuelle constitue une exception: pour la première fois depuis longtemps, il y a eu beaucoup de dons.

swissinfo.ch: Pour quelles raisons?

F. L.: Essentiellement pour une seule raison: la couverture médiatique a été très forte.

swissinfo.ch: Pourquoi continue-t-on de mourir de faim en Afrique?

F. L.: Il n’est pas facile de trouver une réponse globale. Il y a cependant deux raisons principales. D’une part l’effet du climat. Autrefois il y avait suffisamment d’eau, même pendant les saisons sèches. Mais désormais, les précipitations se font attendre, parfois pendant deux ou trois ans. Sans eau, il y a moins d’agriculture et le bétail ne survit pas. La population est ainsi privée de ses deux principales sources de revenus.

D’un autre côté, il existe une forte spéculation sur les denrées alimentaires. C’est un phénomène qui s’est fortement accentué ces dernières années. Les aliments sont volontairement mis de côté pour faire augmenter les prix sur le marché.

swissinfo.ch: Donc, la nourriture ne manque pas…

F. L.: Dans certains endroits où je suis allé en Afrique, on peut acquérir de la nourriture. Mais les prix sont exorbitants et les gens ne peuvent pas se le permettre. Si je pense au problème de la faim, les aspects les plus scandaleux sont la spéculation alimentaire et la privation des ressources.

La problématique de la faim en Afrique et dans le monde est complexe. Il s’agit d’une catastrophe globale et, sous certains aspects, nous sommes sollicités au-delà de nos capacités. Quelques fois, il y a un sentiment d’impuissance.

La vie en Afrique de l’est a toujours été dure. C’est une lutte continuelle pour la survie. La famine n’est que le coup de grâce.

swissinfo.ch: Parmi les Objectifs du millénaire de l’ONU, il y a la diminution de moitié du nombre de personnes souffrant de la faim d’ici 2015. Où en sommes-nous?

F. L.: L’objectif ne sera pas atteint. Pour obtenir des résultats, tout le monde devrait aller dans la même direction, ce qui n’a pas été le cas. On s’est plutôt concentré sur d’autres problèmes. Les pays industrialisés se sont soucié de sauver leur propre peau, leurs propres banques.

Mais le cadre n’est pas uniquement négatif. Dans différentes régions, par exemple en Asie, les conditions alimentaires se sont beaucoup améliorées et le nombre de personnes qui souffrent de la faim a diminué.

swissinfo.ch: Comment la manière d’affronter une crise alimentaire a-t-elle changé?

F. L.: Dans le passé, on intervenait en tentant de rétablir la situation antérieure. Par exemple, on réparait les citernes pour l’eau. Puis, la citerne cassait à nouveau et on se retrouvait au point de départ.

Aujourd’hui, en revanche, il y a davantage de transfert de compétences dans les projets d’aide au développement à long terme. On n’apporte plus de nourriture, mais on offre à la population la possibilité d’avoir un revenu et, donc, d’acheter à manger. Dans les zones où nous pouvons opérer, les résultats sont tangibles: les gens ne meurent plus de faim.

swissinfo.ch: Qu’attendent les populations locales de la communauté internationale, des donateurs, de nous tous, en somme?

F. L.: Pas beaucoup, à vrai dire. Notamment parce que beaucoup de gens vivent marginalisés, dans des lieux extrêmement sous-développés ou dans des zones en conflit, comme en Somalie. Ces populations n’attendent aucune aide de leur gouvernement, ni de nous. Mais là où nous sommes présents, nous constatons une grande reconnaissance.

Plus d’un milliard de personnes souffrent de la faim dans le monde.

Chaque jour, 18’000 enfants meurent à cause de la faim ou de la malnutrition.

Différents facteurs expliquent cette situation: pauvreté, mauvaise gestion, changement climatique, catastrophes naturelles et conflits.

Dans le cadre de la lutte contre la faim, la Suisse fournit des aides d’urgence aux pays de la Corne de l’Afrique depuis les années 1990.

En 2007, suite à la reprise des hostilités, l’Aide humanitaire de la Confédération a renforcé son engagement en Somalie et dans les pays limitrophes.

Avec la nouvelle catastrophe humanitaire annoncée au printemps 2011, l’aide humanitaire suisse a renforcé sa présence avec des experts sur le terrain et avec une augmentation des fonds destinés à la région.

Pour cette année 2011, la Suisse a mis 38,5 millions de francs à disposition.

(Source: Organisation mondiale de la santé, Direction pour le développement et la coopération)

Journaliste, correspondant, animateur et écrivain, Fred Lauener est diplômé en communication interculturelle.

Il a mené divers projets et campagnes en Suisse et à l’étranger.

Il est membre du Corps suisse d’aide humanitaire et de la Chaîne suisse de sauvetage. Il fait également partie du pool suisse d’experts pour la promotion civile de la paix (du ministère des Affaires étrangères).

Collaborant avec des organisations non gouvernementales et des organismes d’Etat, il est souvent sur le terrain pour coordonner les interventions en cas de catastrophes ou de conflits.

Il est marié et vit entre Mendrisio (Tessin) et Bâle.

Traduction de l’italien: Olivier Pauchard

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