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Droits de l’homme: la session de l’après 11 septembre

Le sort des prisonniers talibans de Guantanamo a notamment défrayé la chronique. Keystone Archive

Genève accueille dès ce lundi la session annuelle de la Commission des droits de l'homme de l'ONU. Une certitude et plusieurs inconnues.

Au Palais des Nations comme ailleurs, une hirondelle ne fait pas le printemps. Et une Commission de l’ONU, fût-elle fort bien fréquentée, ne fait pas davantage fleurir les droits de l’homme. Moins encore cette année, peut-être, que les années précédentes.

L’ambassadeur François Nordmann, chef de la Mission suisse auprès des organisations internationales à Genève, se montre en tout cas songeur quand il évoque le climat qui pourrait présider aux six semaines de débats entre diplomates, fonctionnaires et militants.

Trois points chauds

«Elle oscillera, dit-il, entre les pôles de tension et la volonté de rechercher des consensus. Mais, pour le moment, elle est recouverte d’une certaine opacité.» Il met néanmoins le doigt sur trois points chauds: les moyens de lutte contre le terrorisme, la situation au Proche-Orient, le fait que la délégation américaine soit reléguée sur le banc des observateurs.

Le climat international a beaucoup changé, observe le diplomate, cela a des conséquences sur les débats, mais il faut éviter que la Commission ne sorte de son domaine propre – celui de la protection des droits de l’homme – et ne déborde sur d’autres terrains, politiques par exemple.

Et l’ambassadeur Nordmann de rappeler la position suisse: «la lutte contre le terrorisme est légitime, mais elle ne doit pas donner lieu, au nom de cette lutte, à la violation d’autres droits de l’homme». Elle ne doit pas non plus occulter les autres problèmes dans ce domaine.

Menaces sur les défenseurs des droits de l’homme

Voilà un point de vue et un souci largement partagés non seulement par d’autres délégations, mais aussi par une majorité d’organisations non gouvernementales et par Mme Mary Robinson, Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme.

A plusieurs reprises, depuis les attentats du 11 septembre 2001 à New York qu’elle a par ailleurs clairement condamnés, elle a mis également en garde les gouvernements contre tout excès dans la lutte contre le terrorisme.

De la présomption d’innocence au droit à des procès équitables, en passant par toutes sortes de pratiques inhumaines, des libertés fondamentales sont aujourd’hui dangereusement menacées.

Même inquiétude du côté de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) et de la Fédération internationale des Ligues des droits de l’homme (FIDH): la guerre contre le terrorisme, lit-on dans leur rapport commun publié cette semaine, est utilisée par des États «pour légitimer leur propre politique de neutralisation de toute forme d’opposition et de contestation».

Eric Sottas, Directeur de l’OMCT, dénonce des pratiques pernicieuses: «certains États prétendent même contrôler tout mouvement financier des ONG, une organisation du Sud qui reçoit des fonds étrangers pour développer des programmes de défense des droits de l’homme est désormais surveillée de près par son gouvernement».

En d’autres mots, la lutte antiterroriste est devenue un prétexte pour s’en prendre aux défenseurs des droits de l’homme, pour jeter sur eux la suspicion et le discrédit, et les réduire au silence. Voilà qui donne une idée de l’intensité des débats qui animeront bientôt le Palais des Nations.

L’après 3 mars

Pour la Suisse, qui n’a aucune possibilité d’être membre de cette Commission tant qu’elle ne fait pas partie des Nations Unies, cette session annuelle, comparée aux précédentes, sera à la fois semblable et différente.

Semblable, parce qu’officiellement, malgré le oui populaire à l’ONU du 3 mars, la Suisse n’en est encore que «membre prospectif». Ce n’est qu’à partir de l’automne prochain qu’elle pourra vraiment exercer tous ses droits.

Différente, parce que les autres pays savent que la Suisse sera bientôt des leurs. Les bravos que reçoivent les délégués suisses au Palais des Nations sont aussi une reconnaissance du travail de coulisses qu’ils menaient depuis longtemps. Le capital confiance est là, dit-on. Il s’agira de le faire fructifier.

Prévenir la torture

Pendant cette session, outre le discours de Joseph Deiss, ministre des affaires étrangères, agendé pour le 26 mars, la délégation suisse interviendra dans une bonne dizaine de dossiers: les droits fondamentaux, les droits de l’enfant, les droits des minorités, la peine de mort, le racisme, etc.

Mais elle suivra d’un œil particulièrement attentif un sujet qui lui tient à cœur et qu’elle s’efforce de faire progresser depuis une dizaine d’années, à savoir une proposition de protocole facultatif à la Convention contre la torture.

Pour accroître la prévention de ces pratiques inhumaines, l’idée a été émise – on la doit principalement à un banquier genevois, Jean-Jacques Gautier, mort en 1986 – de créer un système de visites que des experts indépendants feraient régulièrement dans les lieux de détention.

Comme la Suisse ne pouvait pas formellement défendre cette proposition dans les instances onusiennes, elle a donné tout son appui au Costa Rica qui en assume en quelque sorte la paternité internationale.

«Le groupe de travail qui se consacrait à ce projet a fait son temps, nous dit Jean-Daniel Vigny, expert de la délégation suisse. La Commission des droits de l’homme doit maintenant s’en saisir. Le texte a fait l’objet de compromis, mais il ne fera pas l’unanimité.» L’enjeu, c’est une sorte de permis de visite international.

Ce que redoute Eric Sottas, ce n’est pas tant le report d’une décision, «mais que la Commission affaiblisse encore la proposition et rende caduc ce système original de protection déjà adopté par l’Europe». Quoi qu’il en soit, personne ne pourra prétendre que le sujet n’est pas d’actualité. Surtout pas à Guantanamo ou à Ramallah.

swissinfo/Bernard Weissbrodt, Genève

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