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Credit Suisse: une commission d’enquête parlementaire, qu’est-ce que c’est?

La Commission d'enquête parlementaire (CEP) est un instrument rarement utilisé dans l'histoire de la démocratie suisse. © Keystone / Alessandro Della Valle

Une commission d'enquête parlementaire (CEP) sur la reprise de Credit Suisse par UBS devrait voir le jour. Les bureaux des deux Chambres ainsi que les commissions de gestion y sont favorables. La décision pourrait tomber durant la session d'été du Parlement (30 mai au 16 juin). Utilisée seulement quatre fois dans l'histoire, la CEP est l'instrument de contrôle le plus puissant du Parlement.

Une CEP, c’est quoi?

L’Assemblée fédérale peut instituer une commission d’enquête parlementaire (CEP) «en cas d’événements d’une grande portée sur lesquels il est indispensable de faire la lumière», prévoit l’article 163 de la Loi sur le Parlement. Instrument le plus puissant dont disposent les Chambres fédérales, la CEP est chargée «d’établir les faits et de réunir d’autres éléments d’appréciation». Elle bénéficie pour ce faire de pouvoirs étendus. Au terme de son travail, elle publie un rapport.

Pour instituer une CEP, les deux Chambres doivent adopter un arrêté fédéral simple. Le Conseil fédéral est consulté, mais ne peut pas s’y opposer. La décision devrait être formellement prise prochainement, au plus tôt lors de la session du Parlement en juin. Toutefois, l’issue ne fait aujourd’hui quasi aucun doute: les bureaux du Conseil national et du Conseil des États ainsi que les commissions de gestion des deux Chambres se sont déclarées favorables à la création d’une CEP.

>> Lire: Le bureau du Conseil des Etats veut une Commission d’enquête parlementaire sur Credit SuisseLien externe

Une CEP, pour quoi faire?

Le mandat de la CEP et les moyens qui lui sont alloués seront définis par le Parlement dans l’arrêté fédéral. Une chose est sûre: les parlementaires ne souhaitent pas que les investigations se limitent aux événements qui se sont déroulés en mars 2023. Celles-ci «doivent également tenir compte des développements pertinents des années précédentes», soulignent les commissions de gestion dans leur communiqué diffusé le 15 mai. Toute une liste de sujets à éclaircir sont explicitement mentionnés:

  • la détection précoce des crises par le Département fédéral des finances, dirigé par l’UDC Ueli Maurer jusqu’à la fin 2022, et l’implication du Conseil fédéral;
  • l’activité de surveillance de la FINMA, le gendarme suisse des marchés financiers, vis-à-vis de Credit Suisse ;
  • le rôle de la Banque nationale suisse (BNS) ;
  • l’évaluation et le suivi des effets de la législation «Too big to fail», adoptée à la suite de la crise financière de 2007-2008 et du sauvetage d’UBS afin d’éviter que la défaillance d’une banque d’importance systémique ne mette en danger l’ensemble de l’économie ;
  • le recours au droit de nécessité ainsi que les circonstances de la prise de décision en mars 2023.

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Quels membres, quels moyens?

La CEP, commune au Conseil national et au Conseil des États, est composée d’un nombre égal de députés des deux Chambres. La force numérique des groupes parlementaires définit sa composition ainsi que l’attribution de la présidence et de la vice-présidence. La loi recommande par ailleurs de tenir compte «autant que possible» des différentes langues et régions du pays.

La CEP possède son propre secrétariat et peut disposer de personnel fourni par les services du Parlement. Si nécessaire, elle peut en outre engager du personnel supplémentaire.

Pouvoirs étendus et obligation de secret

La commission d’enquête parlementaire dispose du même droit à l’information que les délégations des commissions de surveillance (Commission de gestion et Commission des finances). À ce titre, la CEP peut notamment entendre des témoins, consulter du matériel secret ainsi que les procès-verbaux des séances du Conseil fédéral. Par ailleurs, elle peut confier à un chargé d’enquête le soin d’administrer les preuves.

Les personnes qui ont pris part aux séances ou aux auditions de la commission d’enquête parlementaire sont soumises à une obligation de garder le secret tant que le rapport de la CEP n’a pas été publié. Les dispositions générales régissant la confidentialité des séances des commissions restent applicables même après la présentation du rapport final au Parlement.

Les personnes qui font un faux témoignage devant une commission d’enquête ou les experts qui fournissent un rapport faux sont menacés d’une sanction pénale. Ils encourent une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d’une peine pécuniaire. De leur côté, les personnes qui, sans motif légal, refusent de faire une déclaration ou de remettre des documents risquent une amende.

Les droits du Conseil fédéral et des témoins

Le Conseil fédéral charge l’un de ses membres de le représenter devant la commission d’enquête parlementaire. Le gouvernement a le droit d’assister à l’audition des témoins et des personnes appelées à donner des renseignements, de leur poser des questions complémentaires, de consulter les documents remis à la CEP, les rapports d’expertise et les procès-verbaux. Il peut aussi adresser un rapport à l’Assemblée fédérale.

Les personnes dont les intérêts sont directement concernés par l’enquête disposent des mêmes droits, sous conditions. Celles-ci peuvent se faire assister d’un avocat. Au terme des investigations, avant que le rapport ne soit publié, une personne mise en cause par la CEP peut consulter les passages la concernant et y répondre oralement ou par écrit.

Quels sont les précédents?

Dans l’histoire politique suisse, seules quatre commissions d’enquête parlementaires ont été instituées. La première date de 1964. Présidée par le futur conseiller fédéral Kurt Furgler, elle concernait les dépassements de crédits pour l’acquisition de Mirages. Sur proposition de la CEP, le nombre d’avions de combat français achetés a été ramené de 100 à 57.

La deuxième CEP a été instituée en 1989 à la suite de la démission de la conseillère fédérale Élisabeth Kopp. Présidée par Moritz Leuenberger, lui aussi futur conseiller fédéral, elle a permis de révéler l’existence d’une police intérieure de type politique ayant placé sous surveillance des centaines de milliers de citoyens. Ce «scandale des fiches» a durablement marqué le paysage politique suisse.

Cette affaire a entraîné la mise en place en 1990 d’une troisième CEP chargée d’enquêter sur les activités du Département militaire fédéral. Les investigations, menées sous la présidence du conseiller aux Etats Carlo Schmid, ont mis au jour l’existence d’une armée secrète fonctionnant sans base légale ni contrôle politique. Créée en 1979 pour organiser la résistance en cas d’invasion par les forces communistes, la P-26 a été dissoute en novembre 1990.

La quatrième et dernière commission d’enquête parlementaire a été instituée en 1995 pour faire la lumière sur les dysfonctionnements de la Caisse fédérale de pensions. Dans ses conclusions, la CEP, présidée par le conseiller aux Etats Fritz Schiesser, a attribué la responsabilité principale de la mauvaise gestion à l’ancien chef du Département fédéral des finances Otto Stich.

Toutes les autres demandes d’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire ont été rejetées. Le Parlement s’est ainsi opposé à une CEP pour enquêter sur les complicités de la Suisse avec le régime d’apartheid sud-africain. Il a également refusé de saisir cet instrument à la suite de la débâcle de Swissair (2001-2002), du sauvetage d’UBS lors de la crise financière (2008) ou de l’affaire d’espionnage liée à la société Crypto AG (2020).

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