L’initiative Minder ne provoque pas de révolution
Plébiscitée par plus de deux électeurs suisses sur trois il y a un peu plus d’une année, l’initiative «Contre les rémunérations abusives» entre dans sa phase de mise en œuvre. Mais ses répercussions restent pour l’heure relativement limitées.
«Je ne m’attends pas à voir un impact important sur les stratégies salariales des entreprises en Suisse. Au mieux, l’initiative freinera les rémunérations aberrantes de certains dirigeants, mais elle aura de manière générale relativement peu d’impact sur les entreprises», affirme Florian Wettstein, professeur d’éthique des affaires à l’Université de Saint-Gall.
Il serait toutefois faux de prétendre que l’initiative Minder, acceptée par le peuple en mars 2013, n’aura pas d’incidence sur le comportement des entreprises en Suisse. Les sociétés ont déjà entrepris des efforts pour communiquer leur politique salariale de manière plus transparente. Elles s’affairent en cette saison d’assemblées générales à changer leurs statuts afin de permettre aux actionnaires de désigner chaque année leurs administrateurs. Et, dès 2015, pour que ces mêmes actionnaires aient leur mot à dire sur la rémunération des membres de la direction et du conseil d’administration.
«Nous assistons déjà à quelques petits changements, mais les effets substantiels deviendront plus visibles l’année prochaine», relève Roby Tschopp, directeur d’Actares, un groupe d’actionnaires qui s’engagent pour une économie durable. «Les premiers signes sont encourageants mais le message est un peu diffus», dit-il. Du côté des bons élèves figurent aux yeux d’Actares la banque Vontobel et le groupe pharmaceutique Roche, détenu en majorité par les familles fondatrices de la société, qui ont déjà introduit la possibilité pour les actionnaires d’avoir leur mot à dire sur la politique salariale de l’entreprise.
Novartis, l’autre géant pharmaceutique bâlois, qui a été au cœur des débats sur les rémunérations abusives l’an dernier pour avoir décidé de verser 72 millions de francs d’indemnités de départ à son patron Daniel Vasella (une proposition retirée après un déferlement de critiques), a annoncé des baisses significatives de salaires pour ses cadres dirigeants. A la suite d’un vote négatif des actionnaires en 2013, la banque Julius Baer a quant à elle décidé de revoir totalement son système de bonus.
Mauvais exemple des banques
UBS et Credit Suisse font au contraire office de mauvais élèves en la matière. Malgré d’importantes provisions réalisées en vue de possibles poursuites judiciaires, les deux plus grandes banques du pays ont octroyé des hausses de salaires significatives à leurs top-managers. Les rémunérations de plus de 10 millions de francs, justifiées par la bonne marche des affaires et la pratique des autres banques, ne passe toujours pas chez une bonne partie des actionnaires, souligne Florian Wettstein. «Est-il raisonnable de payer de telles sommes? Je ne crois pas. Ni d’un point de vue économique ni d’un point de vue éthique. Il faut faire preuve de retenue dans ce domaine, il en va de l’intégrité à la fois de l’entreprise et de ses dirigeants».
Ces rémunérations mirobolantes continueront à exister tant qu’elles fonderont leur justification sur les résultats financiers de l’entreprise, ajoute le professeur saint-gallois. «Pour changer cette culture, il faut passer d’une logique de création de valeur en faveur des actionnaires à un système qui prenne en compte les autres parties prenantes de l’entreprise, comme les employés les moins bien rémunérés et les autres personnes concernées par les activités de l’entreprise».
Par ailleurs, autre obstacle à l’application de l’initiative Minder, la majeure partie des actions des grandes entreprises du pays est détenue à l’étranger, relève Roby Tschopp: «Les actionnaires étrangers ne sont pas sur la même longueur d’onde que les actionnaires suisses sur cette question. Pour cette raison, je ne m’attends pas à une avancée spectaculaire».
Lancée par l’entrepreneur et politicien Thomas Minder, l’initiative «Contre les rémunérations abusives» a été acceptée par près de 68% des votants le 3 mars 2013.
L’initiative est entrée en vigueur au 1er janvier 2014, mais sa mise en œuvre se fera sur une période de deux ans.
Dès cette année, tous les administrateurs des sociétés anonymes doivent être désignés par les actionnaires, même s’ils avaient été nommés auparavant pour une durée plus longue. Les actionnaires votent également sur la composition du comité de rémunération de leur entreprise.
Les fonds de pension ont jusqu’à fin 2014 pour définir des règles qui leur permettront de voter dans l’intérêt de leurs bénéficiaires, comme l’exige l’initiative.
D’ici fin 2015, les entreprises cotées en bourse devront octroyer aux actionnaires un droit de vote contraignant sur la rémunération des dirigeants et du conseil d’administration.
Les statuts des entreprises devront également être modifiés pour interdire les primes d’embauche et les parachutes dorés.
Peur de la prison
En revanche, il semble que certaines PME suisses paient le prix fort de ces nouvelles réglementations. Cinq petites entreprises viennent ainsi de se retirer de la Bourse de Berne en invoquant l’initiative Minder. Une autre société pourrait les rejoindre prochainement.
«L’initiative était censée avoir un effet sur les grandes sociétés, mais nous observons que ce sont les petites entreprises qui en font les frais», affirme le directeur exécutif de la bourse de Berne, Luka Schenk. «Les petites entreprises ne rencontrent en général aucune difficulté pour adapter leurs statuts et introduire le vote électronique. Ce qui pose problème, en revanche, c’est la menace de la responsabilité pénale. Les patrons de PME qui n’ont pas accès à un service juridique permanent ne goûtent pas vraiment à l’idée de devoir passer trois ans derrière les barreaux en cas de faux pas.»
Certaines grandes entreprises ont également exprimé des réserves au sujet de l’accroissement des contraintes réglementaires suisses. Le géant étatsunien du pétrole Weatherford a cité l’initiative Minder comme l’une des raisons qui l’a poussé à quitter la Suisse pour l’Irlande.
Le patron de Nestlé Peter Brabeck a estimé dans une interview accordée à l’agence de presse Bloomberg que les politiques de rémunération à court terme pourraient paradoxalement devenir la norme si les actionnaires réagissaient de façon impulsive et ne pensaient qu’à leurs dividendes annuels.
«Ce transfert du pouvoir du conseil d’administration aux actionnaires et les élections annuelles vont avoir tendance à favoriser une perspective à court terme», a estimé Peter Brabeck. «Nous ne devons pas oublier que l’histoire à succès de Nestlé, qui remonte à près de 150 ans, est basée sur un engagement solide et sur le long terme».
(Traduction de l’anglais: Samuel Jaberg)
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