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Le risque du «business» dans les pays en guerre

Attaque aérienne israélienne à l’est de Gaza en juillet 2011: les entreprises étrangères peuvent-elles contribuer à la paix au Proche-Orient? AFP

Les entreprises actives dans des régions du monde en crise contribuent parfois à aiguiser les conflits, mais aussi à encourager le retour de la paix. Cela vaut aussi pour les entreprises suisses. C’est le constat d’une conférence tenue récemment à Berne.

La question a occupé les participants à la conférence annuelle de la fondation pour la paix Swisspeace. Son titre résumait la thématique sous une forme un peu provocatrice: «Money makers as peace makers?», soit, traduit littéralement, «les faiseurs d’argent peuvent-ils aussi être des faiseurs de paix?».

Les participants – des personnalités de l’économie privée, de l’administration et d’organisations non gouvernementales – étaient unanimes sur le fait que les conflits armés sont en règle générale mauvais pour les affaires. Ils se traduisent par des agressions contre les employés et les infrastructures, des coûts plus élevés et une planification incertaine qui affectent toute l’entreprise.

De plus, dans certains domaines, leur réputation est aussi en jeu. C’est le cas des exploitants de matières premières, dont les activités peuvent nourrir les tensions et la violence, et qui tombent elles-mêmes sous le feu des critiques.

Les mauvais acteurs aux mauvais endroits

«En principe, les entreprises actives dans les zones de conflit peuvent contribuer à une évolution positive, constate toutefois Andreas Missbach, de l’organisation d’aide au développement Déclaration de Berne (DB). Mais il faut être conscient des limites de l’exercice. Il y a des situations où il n’est tout simplement pas possible de faire des affaires. Une entreprise normale ne peut pas fonctionner dans un contexte imprévisible et avec des conditions-cadres manquant totalement de clarté, par exemple à l’est du Congo.»

Il y a pourtant encore des entreprises qui cherchent à s’y implanter. «Elles achètent la sécurité dont elles ont besoin en collaborant avec les milices, avec les maîtres de guerre. Ces compagnies sont clairement une partie du problème. Dans les régions où les conflits sont violents, nous avons souvent les mauvais acteurs économiques. Ceux qui prendraient leurs responsabilités et pourraient faire quelque chose ne sont pas encore là, et ceux qui sont là agissent de façon irresponsable», estime Andreas Missbach.

Des moutons noirs… blancs et noirs

Et des exemples suisses positifs de «faiseurs d’argent» qui seraient aussi «faiseurs de paix»? Le spécialiste de la DB cite le groupe électrique ABB au Soudan ravagé par la guerre civile. «ABB n’est pas allée à l’aveugle au Soudan. Le groupe a résisté à la pression et n’a pas jeté l’éponge, ce qui aurait certainement été plus simple.»

ABB est en effet active dans un domaine particulier, les infrastructures d’approvisionnement énergétique pour la population. Or il est important que des entreprises responsables soient présentes dans ce secteur et collaborent avec la société civile pour avoir le moins possible de liens avec le régime de Khartoum.

L’exemple de l’exploitant de mines Glencore est à l’opposé, poursuit Andreas Missbach. «Glencore ne s’intéresse qu’aux ressources bon marché du Soudan», critique le spécialiste de la DB. Le groupe, qui a son siège à Zoug, a en outre essuyé les critiques de nombreux participants lors de la conférence.

Plusieurs voix se sont élevées pour fustiger les entreprises suisses, comme Glencore ou des sociétés de négoce de pétrole à Genève comme Trafigura ou Gunvor, qui sont «clairement du côté de ceux qui nourrissent les conflits.»

La répartition de la richesse née des ressources est totalement déséquilibrée. «Il ne reste pas assez pour la population locale et la majeure partie des revenus tombe dans l’escarcelle des négociants et des entreprises d’exploitation minière, ce qui représente une source structurelle de conflit», précise Andreas Missbach.

Proche-Orient: avantages suisses

Le Palestinien Iyad Joudeh, fondateur et directeur de Solutions, une société de conseil palestinienne, voit bien les «money makers» suisses devenir des «peace makers» dans sa région. «Comparée à d’autres pays, la Suisse a un avantage, car elle est bien perçue du fait qu’elle est un interlocuteur neutre auprès des deux parties, les Palestiniens et les Israéliens», explique-t-il.

La Suisse a en outre sur son sol d’excellentes entreprises et d’excellents produits. De plus, elle est non seulement active économiquement, mais aussi avec son aide au développement, ce qui est un «plus». «Nous avons d’étroites relations avec la Direction du développement et de la coopération (DDC), qui est active en Palestine, et nous apprécions beaucoup les activités des entreprises suisses sur notre sol», souligne l’économiste Iyad Joudeh.

Le spécialiste ajoute que «Nestlé est aussi présente, en Cisjordanie, et vend ses produits à Gaza par le biais d’agences palestiniennes. J’ai déjà été en contact plusieurs fois avec des représentants du groupe venus ici pour voir comment ils pouvaient soutenir l’économie palestinienne.»

Du côté des exportations, le Palestinien cite la recherche de nouveaux marchés pour l’industrie de la pierre et du marbre. «Récemment, quelques-uns de nos producteurs de produits pharmaceutiques ont obtenu le certificat de qualité de l’Union européenne. Nous avons beaucoup de bons ingénieurs et les entreprises étrangères ont commencé à délocaliser certaines tâches en Palestine. Il y a donc beaucoup de domaines où nous pourrions devenir des partenaires intéressants pour des entreprises suisses», juge Iyad Joudeh.

Seulement dans les Etats indépendants

Mais une économie indépendante et évoluée ne sera possible que dans un Etat palestinien indépendant, poursuit Iyad Joudeh. «D’abord, l’occupation israélienne doit cesser. C’est la condition pour que des entreprises étrangères investissent librement en Palestine.»

C’est pourquoi les Palestiniens s’engagent auprès de l’ONU pour la reconnaissance d’un Etat palestinien indépendant, ajoute Iyad Joudeh, même si les difficultés sont nombreuses. «Il est important de montrer au monde que nous renonçons à la violence et que nous voulons réaliser notre Etat par des voix exclusivement pacifiques.»

La Fondation suisse pour la paix Swisspeace est un institut de recherche axé sur la pratique. Son siège est à Berne. Son objectif est de réduire durablement la violence organisée et de promouvoir l’Etat social et la vie en commun.

Swisspeace a été créée en 1988 pour encourager la recherche indépendante sur la paix. Au cours des années, elle a acquis une réputation internationale pour ses activités de recherche sur la paix et les conflits.

Swisspeace occupe environ 40 personnes et travaille notamment sur mandat pour le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) et pour le Fonds national suisse de la recherche scientifique (SNF).

Des règles de base, sur une base volontaire, pour les activités dans les zones de conflits suscitent un grand intérêt auprès des grands groupes suisses, mais aussi, de plus en plus auprès des PME.

Plusieurs secteurs ont élaboré des lignes directives ces dernières années. Ces dernières prévoient des exigences plus élevées que celles qui sont valables sur le plan local pour les activités dans des pays en développement.

La conférence annuelle de Swisspeace a montré que ces engagements volontaires sont particulièrement bien respectés lorsque certaines entreprises montrent l’exemple et exercent une pression sur les autres compagnies de la même branche.

Sans affaires, la mise en œuvre des engagements n’est pas possible. Seule une collaboration constructive entre les initiatives des entreprises, les efforts étatiques et les ONG permet un engagement économique responsable dans les zones en conflit.

(Traduction de l’allemand: Ariane Gigon)

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