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En mission avec le CICR… à Genève

ICRC

Comment former quelqu'un à négocier à un barrage militaire ou assister les milliers de victimes d'un conflit? swissinfo.ch a suivi 18 nouveaux délégués du CICR venus apprendre les ficelles du métier à Genève avant de se rendre sur le terrain.

A l’heure où le Comité international de la Croix-Rouge célèbre les 60 ans des Conventions de Genève – adoptées le 12 août 1949 – retour sur une matinée de juillet dernier.

Après une semaine de théorie au centre d’Ecogia, dans les environs de Genève, quatre équipes de nouveaux délégués se préparent à mettre en pratique ce qu’ils ont appris pendant une journée d’exercices de simulation intensive.

«Aujourd’hui, c’est le jour de vérité pour eux, explique mon guide, Marçal Izard. Ils ont très peur de commettre une erreur, alors nous essayons de ne pas augmenter leur stress inutilement.»

Jouant le rôle d’un journaliste TV, le travail d’Izard consiste à interviewer les jeunes délégués alors qu’ils foncent dans la verte campagne avec leur 4×4 pour visiter un camp de personnes déplacées et un hôpital bombardé, tout en essayant de négocier leur passage à un barrage militaire.

Camp de fortune

«C’est la partie la plus faible du scénario» explique le guide en désignant quatre personnes déplacées – en réalité des délégués expérimentés – assis autour d’un feu de camp dans la forêt de Grand Champs, non loin du centre.

L’exercice prévoit que les déplacés font partie des milliers de personnes qui ont fuit le village voisin de Collex, bombardé quelques heures plus tôt lors de combats entre les Forces de défense alpésiennes et le Front de libération des Séquanes (FLS).

Alors que le 4×4 s’approche, le premier groupe de délégués approche prudemment du camp et se présente. Pendant qu’ils commencent à réunir des informations sur les besoins en nourriture, en eau et en soins médicaux, Marçal Izard interviewe Jérôme, le porte-parole médias du groupe, qui élude calmement les questions-pièges.

«Et que pouvez-vous nous dire des 14 corps trouvés sur le bord de la route, probablement tués par les terroristes du FLS?», demande l’entraîneur.

«Nous n’avons pas accès à cette zone. Nous devons d’abord évaluer la situation avant de pouvoir nous prononcer», répond Jérôme.

De véritables professionnels

«Dans la réalité, vous êtes souvent dépassé par les besoins. Les gens pensent que vous pouvez faire des miracles. En Colombie, j’ai été harcelé jour et nuit. Vous réalisez vite vos limites», explique Marçal Izard en conduisant vers l’hôpital Richelieu.

Dans ce bâtiment dévasté, des délégués d’un autre groupe parlent avec un médecin qui soigne tout seul 100 villageois blessés. Ensuite, ils se préparent à évacuer les blessés les plus graves – en fait, un seul – vers l’hôpital voisin de Versoix.

«J’ai eu l’impression d’avoir affaire à de véritables professionnels. Ils ont dressé une longue liste des besoins et m’ont promis de revenir, ce qui n’est pas toujours le cas», déclare le prétendu docteur René Manin.

«La seule chose est que je suis aussi une victime du conflit. Je n’ai pas de nouvelles de ma famille, je travaille seul et je suis épuisé. J’aurais moi-même bien eu besoin d’un peu de chaleur humaine et d’empathie.»

Interrogatoire militaire

Un peu plus bas sur la route, Raoul Bittel, commandant des Forces de défense alpésiennes, ainsi que quatre soldats, équipés de vrais uniformes en camouflage et armés, occupent un poste de contrôle et cherchent des «terroristes» du FLS.

Pendant la journée, chaque groupe de délégués qui a tenté de passer le barrage a été interrogé par les soldats et testés sur leurs capacités à garder leur calme, à négocier la libération de leur collaborateur kidnappé et à soigner un blessé. Mais les entraîneurs militaires ne leur facilitent pas les choses.

«Ils ont accepté de m’emmener à l’hôpital, ce qui est très bien, mais ils auraient dû vérifier si j’avais une arme dans ma poche», commente Isabelle Egger, qui jouait le rôle du soldat blessé.

Raoul Bittel a félicité le dernier groupe pour son calme et pour les bons arguments développés pour obtenir la libération de leur collègue. Contrairement au groupe précédent, qui s’est montré «insistant et indiscipliné», au point qu’il aurait pu être abattu.

Ils font des fautes, mais tout le monde fait des fautes», conclut le commandant.

Mission impossible?

De retour au centre d’entraînement, les délégués engloutissent leur déjeuner. «Pour moi, c’était stressant, car j’étais chef de l’équipe et devait penser à beaucoup de choses», rapporte Johnny Nehme, de France.

«Ce n’est pas facile, indique Daniel Glintz, un des entraîneurs. Ils doivent régurgiter des connaissances théoriques et être attentifs au travail d’équipe, leur apparence personnelle et aussi contrôler leurs émotions.»

Mais il ajoute que former un nouveau délégué en seulement trois semaines, ce n’est pas une mission impossible. La formation s’est considérablement transformée ces vingt dernières années.

Autrefois, le CICR se contentait de «réunir 20 personnes autour d’une table avec du vin et des cigarettes» pour écouter les vétérans raconter leurs aventures humanitaires, actuellement il offre quelque chose qui ressemble plus à un apprentissage.

Les nouveaux délégués reçoivent «l’équipement minimum» pour un voyage standard. Récemment, une formation continue est organisée après six mois, afin qu’ils puissent discuter de leurs problèmes et recevoir une formation complémentaire.

Mais, pour leur première mission, ils doivent toujours affronter des défis inconnus. «Le droit humanitaire international est l’arme du CICR, indique Marçal Izard. Mais la première fois que je me suis trouvé sur le terrain, je n’étais pas suffisamment formé et je n’avais pas le temps d’apprendre. Parfois, je me suis retrouvé face à des commandants militaires qui en savaient plus que moi.»

Le bon équilibre

La demande de nouveaux délégués est légèrement fluctuante – en moyenne 200 nouveaux venus par année – mais leur profil n’a pas beaucoup changé avec le temps, explique Daniel Glintz.

«Le CICR offre un travail intéressant et qui fait du sens. L’argent n’est pas le premier avantage. Les nouveaux délégués sont curieux des autres êtres humains, aiment rencontrer des gens, relever un défi et en savoir plus sur eux-mêmes», note-t-il. «Et puis il y a des gens qui n’aiment pas l’injustice et qui gardent une attitude rebelle.»

Les facilités technologiques telles qu’Internet et les sms permettent aujourd’hui aux délégués de rester en contact avec leur famille et leurs amis, mais ils n’ont pas changé pour autant, dit encore Daniel Glintz.

Le déchet moyen après la première année est bas, comparé à d’autres agences – de 5 à 10% – et, une fois intégrés à l’organisation, les gens ont tendance à s’engager pour plusieurs années d’une carrière intense et très exigeante.

Mais si vous voulez rester au CICR, vous devez trouver le bon équilibre, explique l’entraîneur.

«Certains restent parce qu’ils n’ont pas d’autre option ou qu’ils sont accros à l’adrénaline des missions, allant de l’une à l’autre sans bâtir de famille. Et la forte identité de l’organisation fait que tourner la page après une carrière au CICR n’est pas facile.»

Simon Bradley à Ecogia, swissinfo.ch
(Traduction de l’anglais: Isabelle Eichenberger)

Le CICR est une agence humanitaire privée dirigée par un comité comptant entre 15 et 25 membres de nationalité suisse.

C’est le gardien des Conventions de Genève.

Son budget 2008 était de 1,1 milliards de francs, le plus élevé de tous les temps.

La Suisse est le 3e contributeur, après les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. En 2008, Berne a versé 101,5 millions dont 70 millions pour la centrale et 30,5 pour des programmes d’aide. Elle s’est engagée à verser 105 millions pour 2009.

Quelque 90% des fonds du CICR proviennent de gouvernements mais l’organisation est indépendante.

Le CICR emploie quelque 11’800 personnes, dont 9500 nationaux et plus de 1300 délégués expatriés.

Jusque dans les années 1990, le CICR n’engageait que des citoyens suisses.

Il travaille dans 80 pays et vient en aide à environ 15 millions de personnes chaque année.

Ses principales opérations incluent le Soudan, la Somalie, l’Irak, l’Afghanistan, le Sri Lanka et le Tchad.

60 ans… C’est le 12 août 1949 que les quatre Conventions de Genève ont été adoptées.

Le Comité international de la Croix-Rouge célèbre ce mercredi le 60ème anniversaire des Conventions de Genève. Il réaffirme à cette occasion la validité de ces lois de plus en plus bafouées par les combattants et parfois remises en question par les Etats.

Les nouveaux venus gagnent entre 70’000 et 86’000 francs par an, selon leur expérience et leurs qualifications.

Conditions: les candidats doivent être prêts à quitter leur famille pour 24 mois et à être envoyés dans n’importe quel pays. L’âge limite est de 25 à 35 ans et ils doivent parler couramment l’anglais et le français.

Ils doivent être titulaires d’un diplôme universitaire ou équivalent et avoir au moins deux ans d’expérience professionnelle. Ils ont six semaines de vacances et une compensation supplémentaire de dix jours tous les trois mois durant des missions difficiles.

Ils restent en moyenne 3 à 5 ans au CICR.

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