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Espionnage: procès d’un comptable mégalo

Dino Bellasi a acheté des armes pour plus d’un demi-million de francs. Keystone Archive

Ouverture, lundi matin à Berne, du procès de Dino Bellasi. Emprisonné depuis août 1999, il est accusé d'avoir détourné plusieurs millions de francs au ministère de la Défense.

L’ex-comptable des services secrets risque au minimum sept ans de prison.

Détendu et souriant, Dino Bellasi s’est montré peu coopératif lundi matin à l’ouverture de son procès devant le Tribunal pénal économique bernois.

L’ancien comptable du groupe de renseignement de l’armée suisse a refusé de répondre à de nombreuses questions.

Interrogé par le président du tribunal Georges Greiner sur les années 1988 à 1994 passées au Département militaire fédéral, l’accusé s’est borné à déclarer qu’il menait une vie «ordonnée».

Il a refusé de répondre aux questions portant sur sa situation financière et sur les crédits qu’il aurait contractés à l’époque des faits qui lui sont reprochés.

Le 13 août 1999, souvenez-vous, Dino Bellasi et son épouse Gabriela sont tous eux arrêtés près de l’aéroport de Zurich. Ils s’apprêtaient à fuir la Suisse en jet privé.

Le couple est aussitôt placé en détention préventive par le procureur de la Confédération.

Il faut dire que le pot aux roses a été découvert la veille par le remplaçant de Dino Bellasi au service de comptabilité du groupe de renseignements de l’état-major général. L’ex-comptable a détourné plus de 8 millions de francs.

Plusieurs charges

Lundi, devant le Tribunal pénal économique du canton de Berne, Dino Bellasi doit répondre d’abus de confiance, d’escroquerie, de faux dans les titres, de gestion déloyale des intérêts publics, de calomnie, de blanchiment d’argent et d’infractions à la loi sur les armes.

Il est accusé d’avoir détourné exactement 8,839 millions de francs auprès de la Banque nationale suisse (BNS) en falsifiant 127 mandats provisionnels.

Le juge d’instruction fédéral a retrouvé la trace de 6,6 millions de francs. Dino Bellasi a utilisé cet argent pour acheter des armes (pour plus d’un demi-million de francs) et des maisons. Ainsi que pour fonder une société fictive.

Quant aux 2,2 millions de francs que l’accusé prétend avoir transmis à ses supérieurs, le mystère reste entier.

Dino Bellasi a été maintenu en détention afin d’éviter qu’il prenne la fuite à l’étranger avec cet argent.

Dérapage non contrôlé

La personnalité ainsi que le parcours de Bellasi vont sans doute être évoqués dans le prétoire.

Le capitaine Dino Bellasi est né en 1960. Il devient comptable le 1er juillet 1993 au groupe de renseignements de l’armée, où il travaille depuis 1988.

Dino Bellasi a pour tâche de gérer quelques centaines de miliciens du renseignement: il les paye, convoque les cours de répétition et règle leur facture. Pour ce faire, il peut retirer, d’un coup, jusqu’à 100 000 francs aux guichets de la BNS.

Et puis un jour de 1994, le fonctionnaire – qui vient de perdre son père et accumule les déboires sentimentaux – encaisse un chèque falsifié.

Bellasi va continuer ses détournements jusqu’en 1999, alors qu’il avait démissioné en septembre 1998.

Versions différentes

Ouverte en novembre 1999 et bouclée au printemps 2002, l’enquête préliminaire du juge d’instruction fédéral Thomas Hansjakob montre que, dans une soixantaine de cas, les détournements effectués ont été contresignés par un supérieur.

Mais, pour 67 mandats, la signature a été contrefaite. Et Dino Bellasi prétend qu’il n’est pas l’auteur de la falsification.

Pour se justifier, le comptable explique d’abord que les montants prélevés devaient servir à la création d’un service secret parallèle de l’armée.

Il affirme avoir déjà utilisé une partie de cette somme à cette fin et avoir transmis le reste à son supérieur hiérarchique.

Mais, peu de temps après ces affirmations, il se rétracte. Puis, on ne sait pour quelle raison, il reprend sa première version qui provoque de profonds remous au cœur même des services de renseignements.

Les services de renseignements éclaboussés

Ce sont, affirme haut et fort le capitaine Bellasi, ses supérieurs – dont le chef des services de renseignements Peter Regli – qui l’ont chargé de constituer ce service parallèle.

Ces révélations provoquent un véritable séisme. Au point que le chef du Département de la défense de l’époque sort de son mutisme. Adolf Ogi parle alors de «tournure inimaginable».

Mais, après enquête, le procureur de la Confédération d’alors, Carla Del Ponte, réussit à établir avec certitude que Dino Bellasi n’a jamais été chargé par ses supérieurs d’une telle tâche.

Peter Regli, Bernard Stoll (l’attaché militaire en Hongrie) ainsi que le chef d’état-major du service des renseignements Jean-Denis Geinoz peuvent alors pousser un «ouf» de soulagement.

Au final, cette affaire aura eu pour conséquence une refonte des services de renseignements suisses. Et, dans la foulée, la mise à la retraite anticipée de Peter Regli.

swissinfo, Chantal Nicolet

– Dino Bellasi naît le 15 décembre 1960 à Bâle. Il est le benjamin de deux sœurs et un frère.

– En 1979, il termine son école de commerce et commence une carrière militaire. Il rêve de devenir officier.

– En 1980, il entre à l’école d’officiers. Neuf jours plus tard, il est renvoyé pour raisons médicales. Il finira par obtenir ses galons de lieutenant en 1984.

– En 1988, il est engagé au Département de la défense. Et en 1993, année où il devient capitaine, il devient comptable au groupe de renseignements de l’état-major de l’armée.

– Dès 1994, Dino Bellasi commence à détourner de l’argent.

– En 1997, il rencontre Gabriela, une prostituée de luxe autrichienne, qu’il épouse en juillet 1999.

– En juin 1998, il se fait réprimander par son chef pour ses absences ou retards. En septembre, il démissionne, prétextant un cancer.

– Jusqu’à son arrestation en août 1999, Dino Bellasi crée encore trois sociétés, passe son brevet de pilote d’hélicoptère et fait construire une maison pour Gabriela en Autriche.

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