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Esprit d’entreprise: St Gall double Lausanne

Jane Royston, titulaire de la première chaire d'entrepreneurship à l'EPFL. new-entrepreneurs.ch

La Confédération a fait son choix: le programme national de promotion de l’esprit d’entreprise sera basé à St Gall. L’expérience, initiée à Lausanne il y a cinq ans, a vécu.

Simple question de coût ou cabale politique? Les avis divergent.

«Venturelab» coiffe «Create Switzerland» au poteau. Le monde de l’«entrepreneurship» semble se jouer des barrières linguistiques. Mais ces noms anglais ne feront pas oublier que le gagnant est saint-gallois et le perdant lausannois.

De quoi s’agit-il? Dans sa volonté de soutenir l’économie nationale, la Confédération veut insuffler aux jeunes Suisses davantage d’esprit d’entreprise.

Dès cet automne, des cours de création d’entreprise seront dispensés, d’abord aux étudiants des deux Ecoles polytechniques (EPF) de Zurich et de Lausanne, puis progressivement dans toutes les hautes écoles du pays.

C’est l’IFJ, Institut für Jungunternehmen de St Gall qui a obtenu la direction de ce projet, baptisé Venturelab. Or, ce type de cours existait déjà, à l’enseigne de Create Switzerland, une initiative partie de l’EPF de Lausanne.

Que s’est-il passé?

«Le terreau le plus fertile»

En 1999, l’EPFL ouvre la première chaire d’entrepreneurship et d’innovation de Suisse. Elle est confiée à Jane Royston, mathématicienne et jeune étoile du business, d’origine américaine. Six ans plus tôt, elle a été Femme d’affaire de l’année et lauréate du Prix Stratégis pour la gestion exemplaire de la firme des services informatiques qu’elle a créée.

Et Branco Weiss, le mécène qui finance son enseignement est… zurichois.

«Il avait choisi de semer dans le terreau le plus fertile. Et il est vrai que la Suisse romande a subi dans les années 90 une crise qui a épargné la région zurichoise», se souvient Jane Royston.

Le succès est immédiat: les cours de «Dr Jane» à l’EPFL peuvent réunir jusqu’à 900 étudiants. L’Université de Genève ne tarde pas à en réclamer à son tour.

Suivront Bâle, St Gall et l’EPF de Zurich. Baptisé Create à partir de 2002, le programme ouvre des bureaux dans plusieurs villes et prend en quelques années une ampleur véritablement nationale.

«Tout le monde était en larmes»

Jane Royston et ses collaborateurs sont également sollicités pour siéger dans les instances fédérales de la science et de la technologie. Ainsi que dans les comités et jurys de certains prix internationaux pour jeunes entrepreneurs.

Mais «Dr Jane» sait que sa structure est fragile. Dès le départ, Branco Weiss avait limité son soutien à cinq ans.

Lorsque l’Office fédéral de la formation professionnelle et de la technologie (OFFT) lance un appel d’offres pour la direction d’un programme national visant à stimuler la création de jeunes entreprises, Create se met tout naturellement sur les rangs.

La désillusion sera cruelle. «Le jour où nous avons appris que l’IFJ emportait le morceau, tout le monde était en larmes», admet Jane Royston. C’était en janvier. Une fois l’émotion retombée, la figure de proue de Create essaye de comprendre.

«Je crois qu’il y a eu une immense levée de boucliers zurichois», avance Jane Royston. Selon elle, on n’a simplement pas admis que ce programme soit dirigé depuis une Ecole polytechnique, romande qui plus est, alors que Zurich est la capitale économique et St Gall le siège de la meilleure école de management du pays.

«Nous avons été naïfs, poursuit «Dr Jane». Venant tous de l’économie, nous ne savions pas quelle pouvait être la puissance d’un lobby politique. Cela dit, je n’en veux pas du tout aux fonctionnaires de Berne qui ont pris cette décision. Je crois qu’ils n’avaient simplement pas le choix».

«Aucune pression politique»

Une thèse que réfute catégoriquement, le directeur de l’OFFT. «Je peux comprendre que Mme Royston soit un peu déçue des ne pas avoir obtenu ce mandat. Mais il n’y a eu aucune pression politique», affirme Eric Fumeaux.

Selon lui, les candidatures ont été examinées sur la base de critères purement techniques. Et IFJ l’aurait simplement emporté parce que son projet, tout en respectant le même cahier des charges, était nettement moins cher: 16 millions sur quatre ans, contre 27 sur cinq ans pour Create.

Qualité égale? Jane Royston ne peut s’empêcher d’avoir des doutes. «Venturelab veut créer 500 entreprises par année, nous n’avons jamais eu cette ambition. Nous misons davantage sur la qualité que sur la quantité», explique-t-elle.

Depuis le début de l’aventure, ses anciens étudiants ont effectivement fondé un peu plus d’une centaine d’entreprises. Et leur inspiratrice peut se réjouir de les voir prospérer et remporter des prix internationaux.

La recette de ce succès: des séminaires de 14 semaines, où les étudiants pouvaient rencontrer des entrepreneurs confirmés.

«Le travail est déjà fait»

Or, Jane Royston craint que le programme Venturelab ne reste beaucoup plus «superficiel».

«Organiser des apéros et des coups publicitaires pour faire comprendre aux jeunes qu’ils peuvent eux aussi monter leur entreprise, ça ne sert à rien. Ce travail, nous l’avons déjà fait. Ce dont les gens ont besoin, ce sont des cours plus en profondeur», plaide «Dr Jane».

Des cours qu’elle continuera à dispenser au moins dans une école privée genevoise. A moins que Venturelab ne décide d’exploiter le savoir-faire de Create.

C’est en tout cas le souhait d’Eric Fumeaux. «Nous n’avons pas pu attribuer à Create la direction du projet, mais Venturelab va chercher des fournisseurs locaux. Et j’espère vivement que Create sera de la partie, parce qu’ils avaient des choses intéressantes», admet le directeur de l’OFFT.

Espoir ou réalité? Ce qui est sûr pour l’heure, c’est que la décision est connue des intéressés depuis le début de l’année et que Venturelab n’a toujours pas pris contact avec Create.

«Laissons passer l’été»

L’association Create Switzerland n’en continue pas moins d’exister. Mais sur ses huit collaborateurs à plein temps, sept cherchent actuellement du travail.

Quant à Jane Royston, elle ne semble pas trop s’en faire. «Je n’ai jamais vraiment planifié ma carrière et il y a toujours eu des opportunités qui sont venues. Donc, je pense que je vais profiter de l’été et on verra ce qui se passe après», déclare la jeune femme.

swissinfo, Marc-André Miserez

– Dès cet automne, l’Institut für Jungunternehmen (IFJ) de St Gall, lance, sous le nom de Venturelab, un programme national d’incitation à la création d’entreprises.

– Dans un premier temps, il s’adressera aux deux Ecoles polytechniques fédérales (EPF) de Zurich et de Lausanne. Il sera ensuite étendu à toutes les hautes écoles du pays.

– Depuis 1999, une chaire d’entrepreneurship existait à l’EPF de Lausanne, tenue par Jane Royston. Petit à petit, sous le nom de Create Switzerland, cet enseignement s’était étendu à Genève, Bâle, St Gall et Zurich.

– A l’occasion d’un appel d’offres lancé par la Confédération, Create a perdu la mise contre Venturelab.

– La Suisse passe pour un pays où l’esprit d’entreprise n’est pas particulièrement développé.

– Donner aux jeunes l’idée de créer leur propre société est désormais une priorité des autorités, exprimée dans le Message du gouvernement sur l’encouragement de la formation, de la recherche et de la technologie pour les années 2004 à 2007.

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