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Face à une quadrature du cercle démocratique

La politique suisse cherche la direction à prendre. Keystone

Avec le retentissant triple refus populaire du 16 mai, la politique suisse semble bloquée. Les médias et la classe politique s’interrogent sur l’avenir des réformes.

D’aucuns affirment même déjà que la démocratie directe constitue désormais une hypothèque pour l’avenir.

Le dimanche 16 mai fut une journée noire pour la majorité parlementaire de centre-droit. Le peuple a marqué sa défiance face à la politique forgée dans la Berne fédérale en refusant trois réformes touchant à la fiscalité et aux assurances sociales.

La tempête avait été annoncée par la colère de la gauche (qui craignait un démantèlement social), des cantons (qui voyaient leurs entrées fiscales baisser) et de la droite dure (qui comme la gauche syndicale ne voulait pas de l’augmentation de la TVA pour financer l’assurance invalidité).

L’échec est cuisant et ces jours, experts et journalistes n’ont de cesse de comprendre ce qui a bien pu se passer.

Parlement intrépide – gouvernement faible

Les observateurs estiment en premier lieu que le climat politique a changé. Les élections fédérales du 19 octobre dernier ont conduit à un renforcement de la droite et de la gauche (bipolarisation).

Quant au centre, qui avait réussi pendant des années à définir la politique nationale grâce à son jeu d’alliances, il a été broyé par les partis situés aux extrêmes de l’échiquier politique.

Avec l’entrée de Christoph Blocher et de Hans-Rudolf Merz au gouvernement (Conseil fédéral), le 10 décembre dernier, le centre du gouvernement s’est clairement déplacé à droite. Ce faisant, il apparaît de plus en plus difficile de trouver un consensus qui sache convaincre une majorité de la population.

Au cours de la précédente législature, le Parlement et le gouvernement avaient obtenu gain de cause devant le peuple dans plus de 90% des cas. Mais en cette année 2004, la proportion s’est inversée, puisque au triple refus du 16 mai, il faut encore ajouter les votations de février au cours desquelles le peuple avait déjà dit non à trois autres objets.

Il en ressort une seconde constatation: le peuple n’accepte pas la politique de ceux qu’il a élu peu de mois auparavant. Ce qui pousse de nombreux commentateurs à craindre que la Suisse ne devienne ingouvernable.

D’autres ajoutent que ce résultat équivaut à une motion de défiance au nouveau Parlement. Il y en a enfin qui font remarquer que le pouvoir exécutif est trop faible et que le système de concordance empêche un vrai programme de réformes dont le pays aurait pourtant bien besoin.

Dans un autre pays que la Suisse, les résultats des votations du 16 mai provoqueraient une crise gouvernementale. Mais, en Suisse, ce n’est pas possible.

Des équilibres dépassés?

La troisième observation touche au cœur même des institutions: le système de rééquilibrage qui permet de dégager un consensus.

Le gouvernement propose une loi, mais les milieux concernés peuvent donner leur avis au cours d’une procédure de consultation: les cantons, les organisations, les partis politiques ou encore le monde économique. L’administration fédérale fait la synthèse de toutes ces opinions, puis le parlement s’exprime en modifiant le projet au gré des alliances.

Mais le dernier mot revient au peuple. Or, par définition, le peuple à toujours raison et si l’équilibre nécessaire n’a pas été atteint lors de l’élaboration de la loi, la sanction est immédiate dans les urnes.

Pour certains, ce luxe de démocratie directe représente le problème principal. Mais y toucher équivaudrait à un suicide politique. De plus, à gauche comme à droite, le recours au référendum reste encore la meilleure arme pour stopper ses adversaires.

Pour l’heure, il reste donc plus que jamais nécessaire de trouver des compromis politiques solides qui puissent dégager une majorité auprès du peuple, c’est-à-dire auprès de la vraie opposition de ce pays.

Sauver ce qui peut l’être

Quatrième et dernière observation: il faut renouer avec le pragmatisme qui permet de trouver ces compromis. Le 16 mai, le peuple a clairement exprimé son refus des réformes, mais cela ne résout par les problèmes pour autant.

La population continue de vieillir, ce qui met l’assurance vieillesse en danger; les comptes de l’assurance invalidité restent écrits en rouge vif et les couples mariés continuent à payer davantage d’impôts que les concubins. Et tout cela sans parler du fait que l’économie suisse ne croît pratiquement plus depuis dix ans.

Pour éviter que la Suisse ne se retrouve lanterne rouge de l’Europe, politiciens et experts proposent depuis une semaine les solutions les plus diverses.

Mais il semble désormais clair qu’il s’agit d’arrêter avec les votations trop complexes. Le peuple ne devrait plus s’exprimer sur des «paquets» dont il ne comprend pas la moitié du contenu.

Mais qu’il s’agisse de «paquets» ou d’objets isolés, une chose est sûre: le grand défi sera de trouver des majorités politiques pour qu’ils deviennent réalité.

swissinfo, Daniele Papacella
(traduction: Olivier Pauchard)

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