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Deep sea mining: comment Donald Trump pourrait lancer une ruée vers les fonds marins

un navire nommé "Hidden Gem" est dans un port, avec une activiste pour l'environnement
Le navire "Hidden Gem" de l'entreprise suisse Allseas pourrait ouvrir la voie à l'exploitation minière des fonds marins, depuis la signature du décret américain. 2022 Sopa Images

En ouvrant la voie à l’exploitation minière en haute mer, les Etats-Unis court-circuitent l’autorité de l’ONU chargée de réguler les fonds marins - au risque de créer un «dangereux précédent», selon cette dernière. Une entreprise suisse se retrouve au coeur de cette tempête diplomatique. 

Eldorado ou sanctuaire, les gisements des abysses sont au cœur des tensions géopolitiques, alors que se tient à Nice la conférence internationale de l’ONU sur l’océan, qui réunit la communauté internationale autour des grands défis marins.

En avril dernier, le président américain Donald Trump a signé un décret controversé Lien externepour lancer l’exploitation minière des fonds marins, y compris dans les eaux internationales. L’objectif: collecter un milliard de tonnes de matériaux en dix ans – des ressources jugées cruciales pour la transition énergétique, la numérisation et l’armement.

«Une telle décision unilatérale pourrait créer un dangereux précédent qui pourrait déstabiliser l’ensemble du système de gouvernance mondiale des océans», s’est inquiétée Leticia Reis de Carvalho, secrétaire générale de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM). A ce jour, toute activité commerciale dans les grands fonds, au-delà des juridictions nationales, requiert l’aval de cet organe onusien. Un cadre instauré par la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, que Washington n’a jamais ratifiée.

Transition énergétique, digitalisation, course à l’armement… la demande en métaux critiques explose. Selon la Banque mondiale, elle pourrait augmenter de 500% d’ici à 2050. Certains lorgnent désormais les fonds marins en quête de l’eldorado. 

Encore exploratoire, l’extraction sous-marine consiste à ratisser le plancher océanique pour en extraire des nodules polymétalliques – sortes de gros galets riches en manganèse, fer, nickel, cuivre ou cobalt. 

Une technique vivement décriée par les scientifiques et les défenseurs de l’environnement, car ses impacts sur des écosystèmes marins encore méconnus restent mal évalués. C’est pourquoi une trentaine de pays, dont la Suisse, réclament un moratoire.

Contourner le droit international 

«Même sans ratification, les Etats-Unis ont signé en 1994 un accord de la convention sur l’exploitation minière des fonds marins, ce qui les engage moralement à respecter le traité», précise Clément Chazot, spécialiste océan à l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). «On pourrait parler ici de droit coutumier, ce qui signifierait que tous les Etats y sont liés, même ceux qui n’ont pas signé la convention.»  

En haute mer, les fonds marins ainsi que leurs ressources sont considérés comme le patrimoine mondial de l’humanité, selon cette convention. «Aucun Etat ne peut donc revendiquer, acquérir ou exercer de souveraineté sur une partie quelconque de cette Zone ou sur ses ressources. Il est communément admis que cette interdiction s’impose à tous les Etats, y compris à ceux qui n’ont pas ratifié la Convention», a insisté la secrétaire générale de l’Autorité internationale des fonds marins, par voie de communiqué.

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Comme sanctions imaginables, l’AIFM évoque des pénalités financières, la suspension ou la résiliation de contrats et d’«autres actions correctives». Elle rappelle que les 170 États membres du traité ont l’obligation de ne pas reconnaître les minerais extraits illégalement, signifiant qu’ils ne devraient a priori pas être revendus sur le marché mondial. 

Un navire suisse sur le front

La Suisse se retrouve en première ligne de ce bras-de-fer diplomatique. La multinationale fribourgeoise Allseas, spécialisée dans la construction d’infrastructures sous-marines, a confirmé son intention de participer à l’extraction des fonds marins suite au décret américain. La société, qui avait déjà participé à la construction du gazoduc Nord Stream 2, a développé le Hidden Gem, un navire géant capable de collecter les nodules polymétalliques au fond de l’océan. 

Allseas détient 20% des actions de la société canadienne The Metals Company (TMC), qui vient de déposer une demande de permis d’exploitation auprès de l’administration américaine. La Suisse a ratifié la convention sur le droit de la mer et soutient un moratoire sur l’exploitation des fonds marins, en attendant une meilleure compréhension de ses impacts. 

un navire d'exploitation minière "hidden gem" en mer avec deux kayaks avec des activistes à bord
Des activistes environnementaux manifestent devant le navire suisse « Hidden Gem », à son retour de deux mois d’exploration minière dans la zone Clarion-Clipperton, entre le Mexique et Hawaï, le 16 novembre 2022. REUTERS/Gustavo Graf

Allseas pourrait ainsi se placer en porte-à-faux avec les autorités suisses. «En adhérant à la convention sur le droit de la mer, la Suisse est tenue d’en respecter les dispositions; cela inclut toute personne ou entreprise placée sous sa juridiction et son contrôle», souligne Clément Chazot. Contactée, Allseas n’a pas répondu à nos sollicitations. 

L’affaire est remontée au parlement, et fait l’objet d’une interpellation qui devrait être traitée courant juin. La ville de Genève a quant à elle appeléLien externe le Conseil fédéral à prendre ses responsabilités, alertant que «le décret menace tant l’environnement que le droit international». 

Une ruée vers les fonds marins? 

Face à une demande en métaux critiques toujours à la hausse, la perspective d’une ruée vers les fonds marins suscite des inquiétudes. Clément Chazot se veut toutefois rassurant: «Une ruée en haute mer paraît difficile à imaginer, sachant qu’il s’agirait d’une violation du droit international. Par ailleurs, la majorité des États participent de bonne foi aux négociations de l’AIFM et ne souhaitent pas fragiliser ce cadre multilatéral.» 

Dans les eaux territoriales, qui échappent au moratoire ainsi qu’au traité, les approches divergent. «Les Etats-Unis ne sont pas les seuls à envisager l’exploitation minière dans leurs eaux nationales. La Norvège a mené une large consultation sur le sujet, et des tentatives ont déjà eu lieu par le passé en Papouasie-Nouvelle-Guinée», souligne Clément Chazot. D’autres pays et territoires décident toutefois d’étendre le moratoire à leurs eaux territoriales. C’est notamment le cas de la France, de la Nouvelle-Calédonie et du Portugal.

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Une tendance que Clément Chazot observe aussi du côté de l’industrie: «La technologie des batteries pour véhicules électriques évolue rapidement et offre déjà des alternatives n’utilisant pas certains matériaux présents en eaux profondes, ce qui permet de réduire la pression sur ces écosystèmes uniques.» 

Un code minier pour l’océan 

The Metals Company pourrait entamer l’exploitation dès cet été dans la zone de Clarion-Clipperton, dans l’océan Pacifique, alors que l’Autorité des fonds marins s’efforce de finaliser un code minier d’ici la fin de l’année. Celui-ci devrait encadrer toutes exploitations, en garantissant au mieux la protection des écosystèmes marins ainsi qu’un partage équitable des bénéfices. Un processus jugé trop lent par l’industrie, notamment par Allseas. 

«La complexité juridique de ce travail est énorme, s’est défendue Leticia Reis de Carvalho. Impliquer 169 pays sur des concepts comme le patrimoine commun ou le partage des bénéfices ne sera jamais simple.» Pour Clément Chazot, qui participe aux négociations en tant qu’observateur, l’échéance de fin 2025 paraît prématurée: «On est encore loin d’aboutir à un texte finalisé. Trop de zones d’ombre demeurent pour garantir que l’exploitation minière n’aurait pas d’impact majeur sur l’environnement marin, pour ne mentionner que cet aspect.» Il appelle à intégrer des études d’impact rigoureuses et à plus grande transparence au sein des discussions de l’AIFM. 

Au-delà des enjeux techniques et juridiques, la question reste éminemment politique: face à une demande croissante en métaux, quelle place accorder à ces ressources sous-marines? Pour Clément Chazot, la priorité doit rester claire: «Avant de recourir à de nouvelles extractions, nous devons privilégier la réutilisation et le recyclage dans l’optique d’une économie plus circulaire.» A ce jour, 33 pays soutiennent un moratoire sur l’exploitation des fonds marins. Les mois qui suivront s’avéreront décisifs et annonceront la couleur d’une potentielle ruée vers les abysses.

Contenu externe

Du 9 au 13 juin 2025, la conférence de l’ONU sur l’océan réunit à Nice la communauté internationale autour des grands défis marins. Appels à interdire le chalutage, protection des aires marines, pollution… autant de sujets au cœur des débats, avec une attention particulière portée sur la ratification du traité sur la haute mer, qui vise à protéger la vie marine dans les eaux internationales. L’exploitation minière des fonds marins s’est également invitée à l’agenda, avec la formation d’une coalition défendant des règles communes. «Les grands fonds ne peuvent pas devenir un Far West», a lancé António Guterres durant la cérémonie d’ouverture.

Texte relu et vérifié par Virginie Mangin 

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