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Goût de bouchon pour le pionnier du péage urbain

ERP, pour «Electronic Road Pricing». L’entrée dans la zone à péage se fait par des portails électroniques. Christian Zingg

En 1975, Singapour a été la première ville du monde à introduire un péage pour les automobilistes se rendant au centre. Aujourd’hui pourtant, malgré d’autres mesures pour renchérir les transports privés, la mégapole a toujours plus de problèmes de circulation.

Les statistiques internationales le montrent: il existe un rapport entre la densité automobile d’un pays et la prospérité de sa population. Avec seulement quelque 10 voitures pour 100 habitants, Singapour, deuxième pays le plus riche d’Asie du sud-est, ferait donc plutôt pâle figure.

Tournée de quelques garages un samedi après-midi. Les clients ne sont pas légion. C’est qu’ici, pour pas mal de gens, la plus petite voiture est déjà un objet de luxe.

Parmi la clientèle, un avocat d’affaires allemand, qui préfère garder l’anonymat. «Les prix des voitures font mal», se plaint-il, lui qui vit dans la ville depuis plusieurs années avec sa famille et qui n’utilise que les transports publics pour aller au travail. Mais il a décidé de s’acheter une voiture.

Il regarde les prix des modèles de moyenne gamme d’un grand constructeur allemand, les voitures de sa jeunesse. «Avec ce que coûte ici une de ces caisses d’étudiant, en Allemagne, je pourrais me payer une Porsche», soupire-t-il.

Voitures hors de prix

Depuis plus de 30 ans, le gouvernement de Singapour essaie de limiter le plus possible l’emploi des voitures privées. Non pas par parti pris idéologique en faveur de l’environnement, mais par pragmatisme en matière de politique des transports.

La cité-Etat ne peut pas se permettre une densité de véhicules comme en connaissaient les pays occidentaux, simplement pour des raisons de place: presque 5 millions de personnes vivent sur cette île d’à peine 42 kilomètres de large.

Une des stratégies est de faire monter artificiellement les prix des voitures. Ainsi, même une «petite» ne se trouve pas à moins de 50’000 francs. Et l’acheteur devra encore se procurer une licence, nommée «Certificate Of Entitlement» (COE), valable dix ans. Au prix actuel, le COE pour la catégorie des plus petites voitures se vend 25’000 francs – frappés d’un impôt sur l’importation de 45%.

Et ce n’est pas tout: rouler coûte aussi très cher. Ainsi, pour traverser le centre commerçant ou pour certaines autoroutes, l’automobiliste doit s’acquitter d’un péage aux heures de pointe. Suivant la catégorie de véhicules, le conducteur consacrera entre 300 et 8000 francs par année à ces péages.

Et, bien sûr, le parcage et l’essence sont chers. Le gouvernement a même pensé à ceux qui seraient tentés par le «tourisme de la pompe» en Malaisie voisine. Tout véhicule qui sort de la cité-Etat doit avoir son réservoir plein au moins aux deux tiers, sous peine d’une amendée salée.

Sofhian Suratman, représentant de foires de commerce, en a marre de tous ces impôts, taxes et autres frais. Pour lui, ce sera une bonne raison de ne pas renouveler son COE lorsqu’il arrivera à échéance. «Avec tout ce que je dépense, je préférerais m’acheter un véritable objet de luxe, un bateau à moteur par exemple, sur lequel il n’y a ni impôts ni taxes», explique-t-il.

On ne roule plus

Mais la raison majeure qui le fera renoncer à sa voiture privée, c’est avant tout le fait qu’il est de plus en plus difficile d’être à l’heure au bureau. Pour un trajet qui devrait normalement durer 20 minutes, Sofhian Suratman poireaute régulièrement une heure dans les bouchons. Ce qui l’amène le plus souvent à prendre le métro qui, lui, arrive à l’heure.

Car malgré toutes les mesures de limitation du trafic, la ville se bat depuis des années avec les bouchons. Et Lee Der Horng, professeur à l’Université nationale de Singapour, est d’avis qu’il faudrait encore augmenter le prix de la mobilité individuelle.

«D’un côté, nous devrions monter le prix du péage urbain à 10 dollars locaux (7,5 francs suisses) et de l’autre, nous devrions restreindre encore le nombre de permis de circulation. Par ailleurs, les transports publics n’offrent pas une alternative assez confortable à la voiture», estime cet expert en trafic.

Actuellement, les compagnies de métro sont mises au pilori dans les médias en raison de la surcharge de passagers, notamment aux heures de pointe. Dans certaines stations, il faut laisser passer plusieurs trains avant de trouver une petite place, malgré des cadences de 2 à 3 minutes.

La situation devrait s’améliorer dans les cinq à dix prochaines années: une nouvelle ligne de métro limitée au centre ville doit être inaugurée en 2011. D’autres lignes sont en construction, si bien que d’ici à 2020, Singapour verra son réseau augmenter de 138 à 278 kilomètres de rail.

L’Electronic Road Pricing sera également modernisé: on est en train de développer actuellement un système permettant de mesurer le trafic au moyen de GPS afin d’améliorer sa régulation.

La cause principale des problèmes croissants liés au trafic est surtout imputable à l’augmentation de la population: depuis 1990, elle a cru régulièrement de 3 à près de 5 millions d’habitants.

Le but du gouvernement est de laisser ce nombre atteindre 6 millions à long terme, ce qui est particulièrement discutable dans ce contexte. C’est l’avis de l’expert en trafic Lee: «Pouvons-nous nous permettre de répondre aux effets imputables à une population de six millions? Singapour devrait rester une ville dotée d’une bonne qualité de vie!»

Christian Zingg, Singapour, swissinfo.ch
(Traduction de l’allemand: Isabelle Eichenberger et Marc-André Miserez)

Les jeunes voyagent de plus en plus souvent et de plus en plus longtemps à l’étranger.

Les étudiants profitent des programmes d’échange.

Parmi-ceux là, Christian Zingg a suivi un semestre à Singapour. Il en a profité pour témoigner de son expérience sur swissinfo.ch.

Né le 2.10.1986 à Berne.
Après sa scolarité à Berne, il a participé à un programme d’échange d’août 2003 à juin 2004 à la Highschool de Portage, Indiana (USA).

Il a suivi des études d’économie, de sciences politiques et de philosophie à Berne.

Il parle allemand, anglais et français, joue du saxophone, fait du badminton et aime la lecture.

Il a passé son 5e semestre (août 2008-janvier 2009) à la Singapore Management University (SMU).

Jusqu’à la fin juillet, il travaille pour la Chambre allemande de commerce de la cité-Etat, avant de revenir terminer son Master à Berne.

En 1975, Singapour a été la première ville du monde à introduire un système de taxation de la circulation routière. Ce premier Road Pricing nécessitait un contrôle des véhicules par des agents de la circulation. Mais l’effet de régulation du trafic était limité parce que le mécanisme des prix était trop rigide.

En 1998: le Land Transport Authority, le service administratif responsable du trafic, a introduit l’Electronic Road Pricing (ERP). Aujourd’hui, ce système couvre les zones les plus encombrées de Singapour, avec environ 80 portails répartis dans le quartier d’affaires, quelques-uns autour du centre ville ainsi que les autoroutes les plus fréquentées.

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