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Grâce à Lausanne, le crime paie de moins en moins

Pour ses 100 ans, l'Institut de police scientifique de Lausanne ouvre exceptionnellement ses archives au public. Rodolphe A. Reiss

L'Institut de police scientifique de Lausanne fête cette année ses 100 ans d'existence. Unique au monde, sa formation pluridisciplinaire attire des stagiaires du monde entier et ses recherches permettent une lutte de plus en plus efficace contre le crime.

«L’Institut de police scientifique de Lausanne fait figure d’éminence grise de la recherche dans le domaine de la police scientifique, en Suisse et dans le monde. Il est derrière tous les progrès marquants de ces dernières années», souligne Olivier Guéniat, chef de la police judiciaire neuchâteloise.

Comme l’explique cet ancien élève de l’Institut lausannois, chaque année, de nouveaux domaines de recherche sont ouverts par des chercheurs souvent engagés à mi-temps dans les polices cantonales. «Cette option permet d’être en phase avec les problèmes qui se posent sur le terrain, tout en suivant les dernières avancées de la recherche scientifique», explique Olivier Guéniat.

Résultat: les découvertes et les nouveaux procédés d’investigation se multiplient. «De 1909 aux années 80, seules quatre ou cinq thèses ont été écrites dans le cadre de l’institut. Aujourd’hui on en compte plus de quarante», relève Olivier Guéniat qui enseigne également à l’Institut lausannois.

Olivier Guéniat y a lui-même contribué avec sa thèse de doctorat sur le profilage de l’héroïne et de la cocaïne. Un procédé qui permet d’analyser le marché des stupéfiants et d’identifier les filières.

«Le but final est de pouvoir rendre justice de la manière la plus sereine possible. Dans la reconstitution et l’établissement des faits, la preuve matérielle ou les indices sont en effet déterminants. Les aveux ne suffisent plus», souligne Olivier Guéniat.

La vocation d’un riche Allemand

Tout a donc commencé il y a un siècle. «La création en 1909 à Lausanne du premier Institut de police scientifique au monde doit beaucoup à la volonté d’un citoyen allemand, Rodolphe Archibald Reiss, venu dans la capitale vaudoise passer son doctorat en chimie», raconte Pierre Margot, directeur de l’Ecole des sciences criminelles de l’université de Lausanne. Une école qui réunit l’institut de police scientifique et celui de criminologie et de droit pénal.

«C’était un passionné de photographie à la fois comme procédé chimique et comme expression artistique», poursuit Pierre Margot. Le musée pour la photographie de l’Elysée à Lausanne présente d’ailleurs son œuvre au travers d’une exposition intitulée «Le théâtre du crime».

«Elève du Français Alphonse Bertillon, qui avait développé la photographie des scène de crime et standardisé les photographies de signalement (de face et de profil), ce jeune fortuné a d’abord été nommé chef de travaux de photographie scientifique et donné des cours en faculté de droit. Cela sans rémunération. Il a même équipé à ses frais les laboratoires nécessaires à ses recherches», explique Pierre Margot.

L’entêtement de Rodolphe Archibald Reiss finit par convaincre les autorités d’instituer en 1909 une nouvelle formation scientifique avec la création de l’Institut de police scientifique.

«Dès ses débuts, l’Institut a attiré un grand nombre de stagiaires étrangers, notamment d’Europe centrale (Serbie, Croatie) et d’Amérique du Sud. Reiss lui-même a formé la police du Tsar à Saint-Pétersbourg et prodigué son enseignement au Brésil».

Une approche globale du crime

«Tout en se développant, notre institut offre toujours une formation généraliste. Considérant la trace comme un vecteur d’information essentiel, nous présentons toutes les méthodes qui permettent de la décoder, que ce soit par la chimie, la biologie ou la physique», précise le directeur.

Grâce à l’institut, la Suisse peut s’enorgueillir du titre de pays le plus performant au monde pour l’exploitation des traces de semelles.

Dès 1954, l’Institut de police scientifique a intégré la criminologie, branche des sciences humaines, et en 2003 le droit pénal. Une formule interdisciplinaire presque unique au monde. Pierre Margot ne connait qu’un seul exemple proche de son école: le «John Jay college of criminal justice» de New York.

En conséquence, l’institut lausannois est fortement sollicité. En 2008, il a reçu 500 mandats d’expertise dont certains concernent de grosses affaires comme l’assassinat du Premier ministre libanais Rafic Hariri ou certains attentats de l’«IRA véritable» en Irlande du Nord.

«Ce qui importe, c’est de combiner les différents types de traces et de comprendre leur signification dans les crimes commis en série, que ce soit des cambriolages, des viols, des meurtres ou des incendies», relève Pierre Margot.

Des criminels identifiés

Ce qui fait dire à Olivier Guéniat: «Il est de plus en plus difficile pour un criminel de ne pas se faire identifier. Depuis le milieu des années 90, le taux d’élucidation des crimes a fortement augmenté. Dans le canton de Neuchâtel, il est de 50% et de plus de 99% pour les hold-up».

«Dans les années 80, il y avait beaucoup plus de cambriolages qu’aujourd’hui. En 1982, la Suisse enregistrait 80’000 vols par effraction. Ce chiffre est de 50’000 aujourd’hui, malgré l’ouverture des frontières et la mobilité croissante des individus», poursuit le chef de la police judiciaire neuchâteloise. Ces faits tranchent avec le sentiment d’insécurité qui tenaille une partie de la population suisse.

«Le développement de l’information instantanée et globalisée et l’importance prise par le fait divers dans les médias transforme la perception des situations dans telle ou telle région. L’information est d’ailleurs la nouvelle frontière pour la recherche dans les sciences criminelles. La chimie n’est plus le domaine phare de la recherche. Il est remplacé par le renseignement, un domaine crucial qui va déterminer les ressources allouée à la sécurité d’un pays», relève olivier Guéniat.

Frédéric Burnand, Genève, swissinfo.ch

Lausanne. L’Institut de police scientifique (IPS) a été créé en 1909 à Lausanne.

Académie. Fondé et dirigé par le Professeur R.A.Reiss, c’est l’un des ses étudiants, le professeur Bischoff, qui lui a succédé en 1923 et a présidé à la création d’une Académie Internationale de Criminalistique à Lausanne en 1929.

Pluridisciplinaire. En 1954, une première formation postgrade en criminologie est introduite à l’IPS, qui devient IPSC. Les étudiants peuvent alors s’inscrire en sciences, en droit ou en médecine. L’un des étudiants de Bischoff, Jacques Mathyer, prend la direction de l’IPSC en 1963.

Souffle. Durant son mandat, il voit l’engouement pour ces études s’accélérer, de même que la criminologie se développe sous l’impulsion du professeur Martin Killias (dès 1983). Les crises de croissances se succèdent jusqu’à l’entrée en fonction du professeur Pierre Margot (1986) qui donne un nouveau souffle à l’institution.

L’exposition «Le théâtre du crime» est à voir jusqu’au 25 octobre au Musée de l’Elysée à Lausanne.

Elle propose les photos réalisées il y près de cent ans par Rodolphe Archibald Reiss, fondateur de l’Institut de police scientifique de l’Université de Lausanne.

Mémoire de l’enquêteur, ces photographies réalisées selon un protocole très formel montrent sans fard ni émotion des scènes de crime et des traces relevées. Elles sont toutes associées à l’enseignement ou aux dossiers d’expertise de Reiss.

Cette exposition est réalisée en collaboration avec l’Institut de police scientifique de l’Université de Lausanne, qui fête le centième anniversaire de sa création par Rodolphe Archibald Reiss.

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