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Le patois ou la chronique d’une mort annoncée

La carte du franco-provençal. swissinfo.ch

En Suisse romande, les cantons du Valais, de Fribourg et du Jura sont les derniers bastions des patois. Ces langues ancestrales sont en effet inexorablement en voie de disparition. Les linguistes d'aujourd'hui craignent d'être les derniers à pouvoir les étudier sur le terrain.

«Une langue est simplement un patois qui a une armée», déclare Andres Kristol, directeur du Centre de dialectologie de l’Université de Neuchâtel. Autrement dit, mis à part quelques subtilités de spécialistes, les linguistes ne font aucune différence entre une langue, un dialecte et un patois.

C’est le poids économique et politique d’un peuple qui lui permet d’imposer son langage. Selon la considération qu’on lui accorde, un parler régional acquiert ainsi ses lettres de noblesse et son statut de langue à part entière.

Le règne du franco-provençal

En Suisse romande, avant que le français ne devienne la langue de référence, la majorité de la population parlait le franco-provençal. Seuls les Jurassiens se distinguaient en utilisant un autre dialecte, issu de la langue d’oïl.

Le franco-provençal, lui, puise ses sources dans le latin. A l’instar de la langue d’oïl et de la langue d’oc, il fait parti du domaine gallo-romain. Les premières traces de ce parler remontent au VIe siècle. On les trouve en Suisse romande, mais aussi en Italie et en France voisine. Pourtant, le franco-provençal ne parviendra jamais à s’imposer de façon unitaire.

«Ce dialecte s’est développé le long des passages alpins. On le parlait de la ville d’Aoste à Lyon, en passant par le petit et le grand Saint-Bernard, explique Andres Kristol. Vers les IXe et Xe siècle, les frontières du franco-provençal correspondaient plus ou moins à celles du royaume de Bourgogne». Mais l’éclatement du royaume a progressivement conduit au déclin de la langue.

Une langue en liberté

Faute d’une unité politique sur son territoire, le franco-provençal n’a jamais acquis une reconnaissance officielle. Dépourvue de toute norme capable de réglementer et d’harmoniser son évolution, il s’est transformé en toute liberté.

Le dialecte s’est modifié au gré des désirs et des besoins de chaque vallée, voire de chaque village. «Tant et si bien que, malgré son unité linguistique évidente, les habitants des différentes régions rencontrent bien souvent des difficultés à se comprendre mutuellement», précise Andres Kristol.

Résistance dans les cantons catholique

Morcelé, dépossédé de toute légitimité, écrasé par la puissance française, le franco-provençal s’est donc progressivement effacé. En Suisse romande, mais aussi en Savoie et dans la vallée d’Aoste, il est toutefois resté la langue de référence jusqu’au XXe siècle. «En Suisse, c’est dans les régions rurales et catholiques que la pratique de cette langue ancestrale s’est maintenue le plus longtemps», souligne Andres Kristol.

Soumis à une forte présence de réfugiés huguenots venus de France et à une pratique des cultes en français, les cantons protestants, eux, se sont plus rapidement ralliés à la langue majoritaire. «En revanche, rappelle Andres Kristol, dans les régions catholiques la messe était dite en latin. Une pratique qui n’a jamais porté ombrage aux dialectes locaux.»

Aujourd’hui, c’est dans les cantons du Valais et de Fribourg que le franco-provençal est la mieux préservée. Mais, malgré les efforts des associations qui œuvrent pour la sauvegarde de la vielle langue, ces deux cantons ne comptent plus qu’une poignée de patoisants.

Disparition

«Il existe encore une génération de locuteurs qui ont appris le franco-provençal en tant que première langue maternelle. Mais ce sont bientôt les derniers, affirme, Andres Kristol. Malgré tout l’intérêt scientifique que l’on peut lui porter, il est impossible de sauver une langue qui n’est plus transmise dans les familles.»

A défaut de pourvoir raviver la tradition, les scientifiques traquent donc ceux qui parlent encore le patois. Dans des écrits ou des documents audiovisuels, ils immortalisent les mots et les expressions qui font toute la saveur de la langue ancestrale.

Vanda Janka

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