Le Valais se lance dans la Williamine kasher

La distillerie Morand, à Martigny en Valais, diversifie sa célèbre eau-de-vie de poire avec une production désormais disponible en version kasher.
Cette collaboration avec des rabbins français liés à un groupe américain de vins et spiritueux fait sensation en Suisse, où les lois juives sont peu connues.
«C’est l’aboutissement d’une histoire d’amitiés profondes et de contacts, caractéristiques de notre manière de travailler», raconte Julien Morand, membre de la direction de la distillerie du même nom à Martigny, en Valais.
La découverte des rituels juifs chez un collègue alémanique, des téléphones de clients demandant si la distillerie offrait des produits kasher. Tout cela a éveillé la curiosité de Julien Morand, qui commence à se documenter.
Il apprend ainsi qu’en Suisse, on produit déjà du vin kasher, qu’on trouve du cognac fabriqué selon les lois juives. La Régie fédérale des alcools lui indique qu’elle produit de l’éthanol pur labelisé «kasher» (pour un usage médical).
La France puis les Etats-Unis
«Et puis, un peu par hasard, on a eu des contacts des rabbins français très intéressés par notre produit, puis nous nous sommes rencontrés», poursuit le Valaisan.
Et aujourd’hui, après deux ans de soigneuse préparation, la distillerie a produit deux cuves de Williamine kasher (l’équivalent de 10’000 bouteilles) prêtes à l’exportation vers la France, dans un premier temps.
Et comme ces partenaires français sont liés à un groupe de vins et spiritueux actif aux Etats-Unis, tout permet d’espérer y développer un marché, voire aussi en Israël. «Comme il nous faut fabriquer des bouteilles spéciales pour répondre aux normes des Etats-Unis, l’investissement est très important pour nous.»
Julien Morand est donc ravi de bénéficier de l’appui de ses partenaires français, qui ont pignon sur rue Outre-Atlantique. Le marché américain est en effet très alléchant puisque, là-bas, le label kasher y est aussi répandu que nos labels bio en Suisse. «Ce label kasher intéresse donc aussi une clientèle non juive soucieuse de la pureté du produit», ajoute le distillateur.
Une recherche de pureté
En quoi les productions ordinnaire et kasher se distinguent-elles? «On touche là des sources bibliques et je ne suis pas le mieux placé pour en parler, mais disons que la kasherisation est une purification pratique et morale», répond Julien Morand.
Dans la pratique, toutes les étapes importantes de fabrication du produit, de la cueillette à la mise en bouteille, se font «sous la surveillance des rabbins qui garantissent ensuite la pureté et la traçabilité du produit», explique-t-il. Le contrôle est rigoureux que les cuves sont même mises sous scellés.
Pour le reste, la discrétion est de rigueur, secret de fabrication oblige, mais Julien Morand précise que, comme tous les produits kasher, la Williamine kasher nécessite des opérations supplémentaires et est donc plus chère en magasin.
Curiosité et ignorance
Avec son nouveau produit, il semble bien que Morand soit un pionnier en Suisse, sans pouvoir l’affirmer.
A la Fédération suisse des spiritueux, Ernest Dällenbach a indiqué à l’ATS ne pas avoir connaissance de cas similaires dans la production helvétique. «Morand est l’un des deux producteurs suisses qui exportent des quantités suffisamment importantes pour être intéressés par un tel marché», a-t-il précisé.
De son côté, Julien Morand, submergé par les sollicitations des médias, est surtout abasourdi par le «tapage médiatique» provoqué en Suisse par le lancement de son produit.
Il explique cette curiosité «par la profonde ignorance» qui règne dans notre pays sur les rituels juifs. Mais la distillerie n’a pas à s’en plaindre puisque cette publicité imprévue a éveillé un grand intérêt chez les consommateurs helvétiques.
swissinfo, Isabelle Eichenberger
– En 1889, Louis Morand a commencé à distiller les premières eaux-de-vie, marquant la naissance de la «Distillerie Morand» à Martigny, en Valais.
– Son produit phare est l’eau-de-vie de poires Williams, la «Williamine», marque protégée depuis 1957 mais souvent copiée.
– Les exportations de Williamine et d’abricotine Morand sur les 5 continents représentent 90% du total des exportations suisses d’eaux-de-vie.
– Actuellement, Morand a distillé l’équivalent de 10’000 bouteilles de Williamine kasher.
– Un produit «kasher» (conforme à la loi juive) doit, de sa conception à la consommation, être supervisé par un rabbin, garant de la pureté et de la traçabilité de tous les ingrédients. Ce contrôle entraîne un surcoût.
– Aux Etats-Unis, les associations juives ont créé des labels de un peu comme les labels «bio» en Suisse. Dans certains États il est même une marque déposée.
– En Suisse, la «cacheroute» est placés sous la surveillance de la Fédération suisse des communautés israélites, via la Communauté d’intérêts pour les aliments casher, qui assume le contrôle des produits en vente sur le marché et publie des listes chaque année.

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