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Honoré par le gratin de la recherche sur le cancer

Manel Esteller (à droite), avec le Prix Nobel Michael Bishop.

Comme tous les deux ans, le symposium de l'ISREC a fait pour trois jours de Lausanne la capitale mondiale de la recherche sur le cancer. L'occasion notamment de récompenser les travaux d'un jeune chercheur espagnol, dans le domaine très prometteur de l'épigénétique.

A 40 ans à peine révolus, le palmarès de Manel Esteller est déjà impressionnant. Le Prix des sciences de la vie que l’entreprise Debiopharm lui a remis jeudi dernier à Lausanne vient couronner une liste déjà longue de récompenses nationales et internationales, qui commence par un Prix pour jeune scientifique de sa province native de Catalogne, reçu à l’âge de 18 ans.

Le chef du laboratoire d’épigénétique au Centre national de recherche sur le cancer de Madrid n’a pas «la grosse tête» pour autant. «Je considère mon job plutôt comme un hobby, explique-t-il. Ce qui me motive, c’est de savoir qu’une découverte que nous faisons aujourd’hui pourra avoir une application sur des patients dans dix ans.»

Et de citer l’exemple de travaux publiés en 1999, qui ont débouché l’année dernière sur les premières distributions d’un médicament à des gens atteints de tumeurs au cerveau. «Cela fait partie des choses qui me rendent heureux, poursuit Manel Esteller. Car la recherche ne sert pas uniquement à augmenter nos connaissances, elle débouche sur des progrès pour les patients.»

Pannes de logiciel

Mais au fait, c’est quoi l’épigénétique ? «Si l’on compare le fonctionnement d’une cellule à celui d’un ordinateur, on pourrait dire que le génome c’est le hardware et les phénomènes épigénétiques, c’est le software», explique le chercheur espagnol.

En effet, une altération du génome (ou code génétique) ne suffit pas entièrement à expliquer le cancer, ni d’ailleurs nombre d’autres maladies. Avec strictement le même code, deux cellules peuvent se transmettre des informations différentes. Et certaines sont parfois aberrantes, comme l’ordre de se multiplier sans frein, donnant naissance à une tumeur.

De plus en plus, la recherche s’oriente donc vers ces messages chimiques que se passent les cellules, d’autant que les altérations épigénétiques sont plus faciles à réparer que les altérations du code génétique.

«Un gène qui a une altération épigénétique n’est pas vraiment cassé. Il dort simplement, et on peut le réveiller en utilisant les bons médicaments», résume Manel Esteller.

Les scientifiques sont toutefois encore loin de comprendre tous les mécanismes à l’œuvre dans les différents types de cancer. Comme il a été une fois de plus constaté lors de ce symposium, chaque nouvelle réponse soulève dix nouvelles questions.

Pour y répondre, il faudra arriver à dresser – après celle du génome – la carte de l’épigénome humain. Manel Esteller en est convaincu et c’est dans ce sens que s’orientent ses travaux. Mais l’entreprise nécessitera des années, et la mise en commun de pas mal de matière grise à travers le monde.

Sous contrôle

Pour autant, le scientifique ne croit pas à un avenir sans cancer: «j’imagine plutôt un monde ou de moins en moins de gens mourront du cancer. En tout cas ici, en Occident. Le cancer pourrait devenir une maladie chronique, que l’on sait garder sous contrôle, comme l’est aujourd’hui le diabète.»

Quant à savoir précisément quels sont les facteurs qui déclenchent le mal, Manel Esteller admet que les certitudes sont encore rares: «les preuves les plus évidents que nous avons d’un lien avec un agent extérieur, c’est entre le tabac et le cancer du poumon. Pour le reste, nous n’avons que des suspicions.»

Il est toutefois évident que l’importance prise par ce fléau (11 millions de victimes par année) tient également à un progrès en matière de santé publique: l’allongement de l’espérance de vie. Ironie du sort: «en devenant de plus en plus vieux, les gens ont de plus en plus de temps pour développer un cancer. Ainsi d’ailleurs que d’autres maladies, comme Alzheimer», note Manel Esteller.

swissinfo, Marc-André Miserez

Depuis 1994, l’ISREC organise tous les deux ans un symposium qui est devenu l’un des rendez-vous les plus importants de la recherche fondamentale sur le cancer au plan mondial.

Pour cette édition 2008, chapeautée par la Faculté des Sciences de la vie de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, dont l’ISREC fait désormais partie, près de 250 scientifiques (dont deux Prix Nobel) sont venus échanger leurs expériences du 21 au 23 août.

Placé cette année sous le thème «Cancer et cycle cellulaire», le symposium permet aussi aux jeunes chercheurs suisses de rencontrer et de dialoguer avec les meilleurs spécialistes mondiaux de leurs domaines de recherche.

Basé à Lausanne, le groupe Debiopharm emploie 300 personnes, principalement entre la Suisse et les Etats-Unis et peut compter sur un réseau de 500 consultants dans le monde entier.

Il n’est ni un laboratoire de recherche ni une entreprise de production de médicaments, mais un intermédiaire entre les deux.

Il sélectionne les substances thérapeutiques les plus prometteuses dans les laboratoires et en assure le développement, pour passer ensuite le témoin aux grandes sociétés pharmaceutiques qui les mettront sur le marché.

Chaque année, Debiopharm travaille sur le développement d’environ dix nouveaux produits. Certains sont devenus des traitements de référence pour telle ou telle forme de cancer.

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