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Jacques Hainard, l’appel au recul critique

Jacques Hainard à l’entrée de l’exposition «X» swissinfo.ch

Souvenirs 2003, perspectives 2004… Avec aujourd’hui Jacques Hainard, directeur du Musée d’ethnographie de Neuchâtel.

En marge de l’exposition «X – spéculations sur l’imaginaire et l’interdit», Jacques Hainard répond aux questions de Bernard Léchot.

Sur un plan muséographique, l’année 2003 helvétique a indéniablement été marquée par l’exposition «X – spéculations sur l’imaginaire et l’interdit», au Musée d’ethnographie de Neuchâtel.

Pour ses qualités réflexives et esthétiques (lire l’article «Oh my God(e)!»), mais également pour son côté sulfureux: jusque là, les godemichés et autres accessoires érotiques n’avaient pas encore trouvé place dans une institution publique helvétique.

swissinfo: les réactions suscitées par l’exposition ont-elles été à la hauteur de la provocation du conservateur?

Jacques Hainard: Les réactions ont été extrêmement positives. Car cette exposition permet de se poser de vraies questions. Nous l’avons construite à partir des dix commandements, en en ajoutant un onzième. Dix commandements pour dire «tu ne feras pas ci, tu ne feras pas ça», et le 11e qui décrète: «mais néanmoins tu consommeras!».

swissinfo: cela veut-il dire qu’en 2003, on ne parvient plus à choquer avec le sexe?

J.H.: Cette exposition est très bien construite et cela se sent. Provoquer en présentant des objets érotiques juste pour provoquer n’aurait eu aucun sens. Mais d’en poser certains pour faire réfléchir, ça paie. En fait, l’époque n’est pas si blasée que ça: on voit quand même des mouvements un peu intégristes qui s’opposent à certaines publicités, des femmes qui se révoltent contre le fait d’être toujours exposées. Ici, on n’a eu aucune réaction négative.

swissinfo: Sur un plan plus large, quel événement vous a marqué en 2003?

J.H.: On a tous été choqués, voire ébranlés, par les dernières élections parlementaires. Assister à la percée de l’UDC (Union Démocratique du Centre, droite dure, NDLR) dans le Canton de Neuchâtel était quelque chose d’inattendu, en tout cas pour moi. J’avais encore la naïveté de croire qu’on allait échapper à ce raz-de-marée.

Dans ce pays, on est souvent en train de ronronner. Peut-être que cet événement fera office de réveil, même si on aurait pu souhaiter quelque chose de mieux.

swissinfo: Il y a eu une grande évolution des médias et de la population face à l’UDC. On est passé d’une image de parti néo-fasciste à celle d’un parti de droite un peu plus à droite que d’autres…

J.H.: C’est ce qui est nouveau. On ne se cache plus de penser UDC. C’est l’effet boule de neige. Plus il y a de gens qui vont dans ce sens, plus on ose se découvrir. Les affirmations de l’UDC, parfois simplistes, plaisent parce qu’au moins il y a un discours et un propos. Devant le flou général offert par les autres partis, c’est rassurant pour certains, parce qu’on ne pense pas trop loin, on vise l’immédiat.

swissinfo: Si vous deviez résumer l’année 2003 par deux couleurs… lesquelles choisiriez-vous et pourquoi?

J.H.: On va être simple. Le noir et le blanc. Le noir pour la violence et la guerre. Le blanc parce qu’on croise tout de même du positif dans notre société, dans la culture et la littérature, par exemple. Mais on est toujours comme fasciné par ce qui est mauvais, par ce qui fait peur.

Des médias qui ne raconteraient que des belles choses risqueraient de ne plus rien vendre, parce que les gens ont besoin de cette logique du malheur et du désespoir. Ici on a à manger, on a le confort, on n’a pas vraiment la guerre. Cette passion pour l’horreur, c’est peut-être une façon – abominable – de se rassurer.

swissinfo: L’année 2004 sera marquée par le centenaire du Musée d’ethnographie de Neuchâtel, avec moult événements et autres colloques… Mais l’ethnographie de 2004 n’a plus rien à voir avec celle de 1904.

J.H.: C’est vrai. Parce que l’ethnographie a été socialement construite sur le colonialisme. On a cru longtemps qu’en collectionnant la culture matérielle des autres, on allait comprendre leur comportement. Aujourd’hui, on est plus sensible à la connaissance des systèmes cognitifs – savoir comment les représentations se structurent – et on ne parle plus, Dieu soit loué, à la place des autres!

Aujourd’hui, nous essayons aussi de nous regarder davantage, de faire une anthropologie de soi, de notre société, afin de mieux comprendre comment nous construisons nos stéréotypes, nos idéologies. Les musées doivent donc se redéfinir, savoir que faire des anciennes collections.

Moi, je suis pour une promotion de ‘l’ethnographie de l’ethnographie’: savoir pourquoi on a dit telle chose à tel moment. Et donc essayer de comprendre pourquoi on pense comme on pense. Et pourquoi nous disons ce que nous disons. Si on arrive à trouver des réponses à cela, on fait un pas de plus dans la connaissance et de soi, et des autres.

swissinfo: Pour conclure, imaginons que la planète entière vous écoute. Qu’avez-vous avez envie de lui dire?

J.H. Il est essentiel d’avoir un certain recul critique sur ce qui se passe. Vous me direz qu’il est difficile d’avoir un tel recul quand on crève de faim ou quand on est sous les bombes… Néanmoins, je crois que si les gens faisaient un effort de prise de conscience, de ‘recul critique’, ce qui signifie moins de fanatisme, moins de sûreté de soi, on arriverait peut-être à construire une société… oh, non sans malheurs, non sans violence, mais à peine plus agréable à vivre.

Ce serait donc un appel de ce type que j’essaierais de lancer. On est tous d’accord pour parler de paix et de bonheur… Mais vivre intellectuellement un peu mieux, c’est aussi une qualité exceptionnelle, qu’on peut atteindre: il suffit de faire quelques efforts.

swissinfo, propos recueillis par Bernard Léchot

– Souvenirs 2003, perspectives 2004… série dont le principe est, en compagnie de personnalités qui ont eu une actualité importante en 2003, de jeter un coup sur l’année écoulée, mais aussi de regarder 2004 droit dans les yeux!

– Le Musée d’ethnographie de Neuchâtel a été créé le 14 juillet 1904. L’année 2004 sera donc marqué par tout un programme d’activités commémorant ce centenaire.

– Jacques Hainard, l’actuel conservateur, a amené l’institution à proposer des expositions étonnantes, qui relèvent parfois davantage de l’art conceptuel que de l’exposition traditionnelle.

– Deux exemples: «Le musée cannibale» en 2002, ou «X – spéculations sur l’imaginaire et l’interdit», cette dernière étant à voir jusqu’au 25 janvier 2004.

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