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L’échec américain d’UBS

Il a y plusieurs mois déjà que le soleil ne brille plus vraiment au-dessus d'UBS. Reuters

Dans l'ouvrage «UBS, enquête sur un désastre», qui paraît aujourd'hui, Myret Zaki, journaliste au quotidien Le Temps, met en exergue le fait que la chute d'UBS est intimement liée à l'histoire d'un homme, un autodidacte fasciné par les Etats-Unis. Compte rendu.

En voulant faire de l’établissement suisse le numéro un mondial de la banque d’affaires, Marcel Ospel a fait prendre tous les risques à UBS en se lançant sur le marché très risqué des subprimes (crédits hypothécaires de piètre qualité).

Dans son avant-propos, Myret Zaki le rappelle clairement: le français est le parent pauvre du monde de la finance, intrinsèquement anglo-saxon. Résultat, pour suivre la chute vertigineuse d’UBS depuis le premier trimestre 2007, il fallait de préférence se plonger dans les publications américaines que dans la presse francophone.

Ce n’est pas le seul mérite du livre «UBS, enquête sur un désastre» publié aux Editions Favre. La journaliste romande explique en termes simples, accessibles à tout un chacun, la descente aux enfers d’UBS, jusqu’ici réputée pour sa prudence.

Une formation à la corbeille

La chute d’UBS est intimement liée à l’histoire d’un homme, d’un autodidacte, Marcel Ospel, fils d’un pâtissier bâlois. Né en 1950, il quitte l’école à 15 ans et entre comme apprenti dans une petite société de négoce.

«Ospel s’est formé à la corbeille comme aucun banquier de l’actuelle génération: il a connu le fonctionnement d’une bourse de valeurs à l’ancienne, où les opérateurs négociaient à la criée, en vociférant leurs offres de vente et d’achats de titres», raconte Myret Zaki.

C’est très important à retenir. Car même si Marcel Ospel entre comme stagiaire en 1972 à la Société de Banque Suisse (SBS) à Bâle, contrairement aux autres banquiers suisses, il ne s’intéressera jamais véritablement à la gestion de fortune. Ce qui l’attire, c’est le business. D’ailleurs, quand il quitte, un temps, la SBS, c’est pour rejoindre la banque d’affaires Merrill Lynch.

«Marcel Ospel découvre à ce moment-là que la finance internationale avance beaucoup plus vite que le rythme de loisir des banques alpines», note l’auteur.

Importance des performances

Les grandes banques suisses sont dirigées par de hauts diplômés, et Marcel Ospel, l’autodidacte, est fasciné par les Etats-Unis, où l’on attache davantage d’importance aux performances qu’au cursus universitaire.

Quand il revient à la SBS en octobre 1987, Marcel Ospel s’occupe de négoce et de vente de titres. «Fort de son expérience américaine, il deviendra vite l’homme de l’internationalisation du groupe bâlois», raconte l’auteur.

Il n’est pas inutile de relire l’appréciation formulée alors par son supérieur hiérarchique: «Une personne compétente, qui se donne au maximum pour prouver ses compétences. Très ambitieux, réfléchit de façon matérielle, pourrait commettre des erreurs en raison de sa forte ambition. Doit être contrôlé». Selon Myret Zaki, Marcel Ospel présente «des signes de mégalomanie».

Une empreinte résolument américaine

Marcel Ospel saisit sa chance lors de la fusion des deux établissements bancaires SBS-UBS. Très vite, il va devenir l’homme fort du premier établissement financier de la Confédération.

«Sans lui, la banque suisse ne serait peut-être encore qu’une banque d’envergure régionale. L’empreinte d’Ospel est résolument américaine. Symboliquement, ses premières initiatives après la fusion seront, en 2000 et 2001, de procéder au rachat de la banque américaine PaineWebber aux Etats-Unis, et de supprimer la direction opérationnelle d’UBS en Suisse», écrit Myret Zaki.

Le Bâlois «américanisé» n’a qu’un objectif: faire d’UBS le numéro Un mondial de la banque d’affaires, devant Golden Sachs, Merrill Lynch, Citigroup et Morgan Stanley. Quitte pour cela à prendre tous les risques, et à se jeter à corps perdu sur le marché des titres hypothécaires à risque («subprime»), qui offre des «opportunités de revenus considérables».

Un coup porté à la réputation

Alors que les autres établissements financiers, plus prudents (ou plus compétents), comme Credit Suisse, sentent le vent tourner et réussissent à limiter la casse, UBS poursuit «ses activités sur le marché subprime sans aucun frein, jusqu’en juillet-août 2007, lorsque le marché s’effondre de lui-même».

On connaît la suite: une perte de 45 milliards de francs (et ce n’est sans doute pas fini), des milliers de salariés au chômage, un cours boursier en berne, et un départ prévisible des Etats-Unis. Sans compter le coup porté à la réputation de la banque.

Certes, Marcel Ospel a été débarqué en avril 2008, mais cet amoureux de belles voitures – il possède une Ferrari… jaune – a perçu un très généreux «cadeau de départ», sans doute plusieurs dizaines de millions de francs.

En prime, la banque laisse à sa disposition un bureau, un secrétariat et un chauffeur.

swissinfo, Ian Hamel

La Banque nationale suisse a réaffirmé mercredi dernier que les grandes banques doivent être mieux capitalisées. Cette déclaration est directement liée à l’éclatement de la bulle du crédit immobilier aux Etats-Unis et au désastre d’UBS.

Myret Zaki révèle qu’en mars 2008, UBS reste exposée «à hauteur de 83 milliards de francs au marché subprime». Or, les fonds propres de la première banque de Suisse «ne représentent que 1,6 % du total des actifs. Cela signifie qu’elle investit 60 fois ses fonds propres, ce qui représente l’effet de levier le plus élevé du secteur bancaire!». Il s’agit là d’une des principales révélations de l’ouvrage.

A titre de comparaison, les fonds propres pèsent 3,3% des actifs (soit le double) chez les banques de courtage américaines, réputées beaucoup moins prudentes que les établissements helvétiques!

«UBS, enquête sur un désastre» rappelle qu’UBS est à présent détenue à hauteur de 8% par un fonds étatique singapourien, le Government of Singapore Investment Corporation (GIC).

Cet important investisseur (qui a mis 11 milliards de francs sur la table pour sauver la banque du naufrage) devrait, à l’avenir, influencer directement la stratégie d’UBS.

En clair, l’établissement pourrait se tourner de plus en plus vers l’Asie. Face à Bruxelles, qui ne cesse de contester le secret bancaire helvétique, UBS pourrait être tentée de domicilier ses nouveaux clients dans la ville-Etat asiatique.

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