Des perspectives suisses en 10 langues

L’épicerie en ligne n’est pas rentable

Le centre de préparation du commerce en ligne, LeShop.ch. Keystone

LeShop.ch, première épicerie virtuelle de Suisse, fermera à la fin de l'année. 69 emplois vont passer à la trappe

Face à des perspectives de rentabilité encore trop éloignées, le groupe Bon appétit jette l’éponge.

2 avril 1998: à peine ouvert, le serveur informatique de LeShop.ch manque d’exploser. Plus de 800 clients tentent d’entrer à la fois dans la première épicerie virtuelle de Suisse.

A l’époque, la petite société vaudoise ne cache pas son ambition: devenir leader helvétique de l’alimentation sur Internet. Ironie du sort: l’objectif est aujourd’hui largement atteint, mais LeShop n’est toujours pas rentable.

Ses 65% de parts de marché ne représenteront cette année qu’un chiffre d’affaires de 12 à 13 millions de francs. Or, il en faudrait 60 pour entrer dans les chiffres noirs.

Pouvoir toucher avant d’acheter

Contrairement aux Britanniques ou aux Français, les Suisses semblent réticents à acheter leurs bananes ou leur fromage sur Internet.

S’ils dépensent globalement 36 milliards de francs par année dans les supermarchés alimentaires et les épiceries, leurs achats de nourriture et de boissons en ligne dépassent à peine les 20 millions.

«Les gens préfèrent aller au magasin, voir la marchandise, la toucher, la sentir», fait remarquer Mattheus Nast, rédacteur à Konsumentenschutz, la revue des consommateurs alémaniques.

Impression confirmée par Urs Peter Naef, porte-parole de Migros. Pour lui, «le client veut pouvoir tenir ses tomates dans la main avant de les acheter.»

Les poids lourds avancent prudemment

Migros et Coop, les deux poids lourds suisses de l’alimentation, ne dédaignent pas pour autant le commerce en ligne. Sur le site Internet du géant orange, on peut composer son propre panier, moyennant 12 à 15 francs de frais de livraison selon l’importance de la commande.

Plus prudent, Coop limite pour l’instant son offre en ligne à la région zurichoise, considérée comme zone-test.

La livraison coûte 10 francs pour les petites commandes. Et elle est même gratuite pour les grosses, Coop assurant elle-même tous les transports.

«C’est une question d’organisation de la logistique», explique Rolf Zeller, responsable du secteur au siège zurichois de Coop. Lequel dit croire fermement en l’avenir du shopping en ligne.

Il n’empêche: tant Coop que Migros perdent actuellement de l’argent avec leurs magasins virtuels. Mais ceux-ci restent tellement marginaux en termes de chiffres d’affaires (entre 5 et 6 millions par année) que les deux géants peuvent se le permettre

Marges trop faibles, transports trop chers

Tel n’est évidemment pas le cas de Bon appétit. Depuis sa prise de participation dans LeShop.ch il y a deux ans, le groupe y a déjà investi 30 millions de francs. Et la fermeture de l’épicerie virtuelle va lui en coûter 12 de plus.

«Les marges sur l’alimentation sont tellement faibles et les livraisons tellement coûteuses qu’il est pratiquement impossible de s’en sortir», constate Thomas Rudolf, auteur d’une étude sur le commerce en ligne.

Pour ce professeur de l’Université de Saint-Gall, le prix de 12 francs par commande que LeShop facture à ses clients pour l’acheminement de la marchandise est beaucoup trop bas.

Au siège de La Poste, on confirme que ces 12 francs représentent «un prix de marché», et que LeShop paye en réalité la prestation plus cher. S’agissant d’un secteur ouvert à la concurrence toutefois, le géant jaune refuse de donner les chiffres exacts.

L’euphorie est vite retombée

Au final, les avis semblent unanimes: sans le soutien d’un grand groupe et sans de gros moyens publicitaires, l’épicerie virtuelle ne peut simplement pas décoller.

«LeShop a démarré en pleine période d’euphorie, note Mattheus Nast. A l’époque, on croyait que le seul fait d’être sur Internet offrait une garantie de succès pour l’avenir.»

Les pionniers vaudois ont certainement pêché par excès d’optimisme. A moins que ce ne soit par excès d’ambition…

«Small is beautiful»

A Zurich en effet, la confiserie Sprüngli n’a pas à se plaindre de la rentabilité de son secteur de vente en ligne. Sa recette: vendre des articles de luxe, à une clientèle qui a les moyens de payer le prix fort pour les livraisons.

«C’est un excellent exemple de créneau où le commerce sur Internet devient intéressant», commente Thomas Rudolf. Pour le professeur saint-gallois, l’avenir de l’épicerie virtuelle réside dans ce type de spécialisation.

swissinfo/Marc-André Miserez

Avec 65% de parts de marché et 16 000 clients réguliers, LeShop.ch ne dépassera pas 13 millions de francs de chiffre d’affaires en 2002
69 emplois vont disparaître, 23 à Chavannes-de-Bogis (VD) et 46 à Bremgarten (AG)
Les employés concernés bénéficieront d’un plan social

-Le groupe Bon appétit (Pick Pay, Primo/Vis-àVis, Magro, LeShop.ch), risque de terminer l’année dans les chiffres rouges.

-N’ayant pas atteint la rentabilité escomptée, LeShop.ch sera sacrifié au 31 décembre, à moins qu’un repreneur ne s’annonce d’ici là.

-Partie de la région de Nyon (VD), la première épicerie virtuelle de Suisse dispose depuis un an d’un centre de logistique en Argovie, d’où partent ses livraisons.

-La distribution des marchandises est assurée dans les 24 heures par La Poste, à un tarif nettement préférentiel de 12 francs par livraison.

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