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La Grèce à la diète forcée vue par des expatriés

«Restons optimistes !»: Eric et Sybil Hofmann, de l'Alpine College, en compagnie du Grison Gianni Riatsch. O. Grivat

Les tavernes sont bondées dans les ruelles d’Athènes dominées par l’Acropole. A Halandri, banlieue chic de la capitale, les boutiques de mode rivalisent de luxe. La crise ? Quelle crise ? Les vitrines sont trompeuses. Pour 11 millions de Grecs, l’avenir s’annonce assez sombre.

«Il ne faut pas se fier aux apparences. La fréquentation des tavernes ne veut rien dire. Pour qu’un Grec ne sorte pas le soir, il faut qu’il ait de la fièvre !» Consultant hôtelier à Athènes, le Grison Gianni Riatsch est l’un des 3000 Suisses ou binationaux qui vivent en Grèce.

Tout comme Eric Hofmann, un Bernois qui dirige avec son épouse Sybil l’Alpine College, une école suisse de management hôtelier et touristique établie à Glyfada, sur le bord de mer: «Sortir le soir pour un Grec, c’est culturel ! On verra en septembre. Pour l’heure, il pense aux vacances. La crise ne se voit pas dans les restaurants ou les bars, mais dans les caddies des supermarchés et à la pompe à essence, où le litre est passé de 1 € à 1,50 €, 50 % de hausse !»

Une mesure qui touche aussi les conducteurs de Porsche Cayenne, plus nombreux en Grèce qu’en Allemagne, ont révélé les médias allemands, en fustigeant «les cigales grecques subventionnées par les fourmis germaniques !»

Le pire est encore à venir

Pour les Grecs, riches ou moins riches, retraités, salariés du secteur privé ou public, le pire est à venir. Le dimanche 2 mai, le gouvernement Papandreou a pris une batterie des mesures draconiennes (au sens propre: Dracon était un législateur athénien qui a rédigé les premières lois écrites en 621 av. J-C, où le moindre vol était puni de mort): gel des salaires et des retraites de la fonction publique pendant 5 ans, suppression de l’équivalent de 2 mois de salaire pour les fonctionnaires, taux principal de la TVA porté à 23%, âge légal de départ à la retraite des femmes haussé de 60 à 65 ans d’ici 2013, etc.

Les conséquences économiques se sont déjà fait sentir: les derniers chiffres de l’inflation du mois de mai font apparaître une hausse de 5,4% par rapport à mai 2009, la plus forte hausse depuis août 1997. Selon les médias, 7 Grecs sur 10 pensent que leur situation va encore se péjorer. Un jeune sur trois ne trouve pas de travail.

La semaine dernière, la crise a frappé les hôpitaux publics, notamment celui d’Evangelismos au cœur d’Athènes. Il a révélé ne plus pouvoir effectuer d’opérations cardiaques en raison d’une pénurie de matériel. D’autres hôpitaux ont avoué les mêmes problèmes de fournisseurs pour des opérations orthopédiques ou des tests sanguins.

Le gouvernement a rétorqué qu’il allait recourir à des importations parallèles pour pallier d’éventuelles pénuries de médicaments, alors que des groupes pharmaceutiques menacent de se retirer du marché face à une baisse des tarifs gouvernementaux. Athènes a décidé de baisser le prix des médicaments en moyenne de 21,5%, dans le cadre de mesures d’économies visant à réduire le déficit public.

Le secteur de la santé est gangrené depuis des années par le gaspillage et la corruption: «Avant de se faire opérer, il faut glisser une enveloppe au chirurgien, de l’ordre de 500 € pour une intervention de 2000 €,» s’étonnent encore des Suisses d’Athènes.

Fête nationale à l’ambassade

Ambassadeur suisse en Grèce encore pour quelque mois, l’Appenzellois Paul Koller-Hauser (frère de l’ancien ministre), a tenté de rassurer les 300 Suisses présents dans les jardins de sa résidence, vendredi dernier, pour célébrer avec un peu d’avance… les festivités du 1er août avec l’aide de la Nouvelle Société Hellénique en Grèce.

«C’est du fond de la mer qu’on refait surface ! Chaque crise a une fin. Il est de notre devoir de travailler à la fin de cette crise», a dit son Excellence.

Il existe une longue tradition d’amitié entre la Grèce et la Suisse: au début du 19e siècle, la Suisse et ses Philhellènes ont joué un rôle non négligeable dans la lutte de libération nationale; le Genevois Jean-Gabriel Eynard (1775-1863) contribua activement à la reconstruction du jeune Etat, où il fut notamment co-fondateur de la Banque Nationale de Grèce.

Mémoire vivante

Dans son bureau de la même Banque nationale, au cœur d’Athènes, où il dirige les Archives historiques, Gerassimos Notaras est un témoin vivant des liens tissés entre les deux pays. Il a étudié les sciences politiques et la sociologie politique à l’Université de Lausanne dans la même promotion que Jean-Pascal Delamuraz, y a épousé une Lausannoise dont il a un fils binational.

A 74 ans, cet ancien résistant à la dictature des colonels est toujours actif: «J’ai bien l’intention de ne pas être un retraité !», assure Gerassimos Notaras qui ne ménage pas ses critiques face aux carences des différents gouvernements, de gauche comme de droite: «Le pays a constamment dépensé plus qu’il ne gagnait, tout comme les particuliers, avant même l’entrée de la Grèce dans l’Union européenne. Manque d’organisation, de qualification, de contrôles. Le fisc ne frappe pratiquement que les salariés ou les pensionnaires».

«Tous les pays vont y passer»

Il propose de mettre fin aux agissements des 300 grands financiers mondiaux, de connivence pour spéculer contre la Grèce, avant de s’en prendre un jour à la Hongrie, au Portugal, à l’Irlande et, qui sait, bientôt, à la Suisse ?

«Si cette histoire ne s’arrête pas, tous les pays vont y passer. Ce sera des dizaines ou des centaines de milliers de personnes qui vont mourir de faim. Depuis le 11 septembre 2001, il y a une entente tacite mondiale pour lutter contre le terrorisme. Cela coûte des milliards de dollars. Pourquoi n’arrête-t-on pas ces spéculateurs ? Aujourd’hui, on distribue de l’aspirine à un cancéreux. Sortir de la zone euro ? Jamais de la vie ! Les Etats ont signé des conventions. Nulle part, il n’est dit qu’un pays peut en être exclu. Si l’on veut renégocier un pacte européen, on peut le faire, mais il faudra se mettre autour d’une table !»

Olivier Grivat, Athènes, swissinfo.ch

Fraichement retraité, Alexandros Mallias, ancien diplomate grec à Washington est passé par l’lnstitut d’Etudes Européennes à Genève , a épousé une Lausannoise dont il a deux filles, et œuvre en tant que spécialiste des Balkans comme consultant entre la Suisse et cette région du cœur de l’Europe.

– swissinfo.ch: Les mesures d’austérité prises sont-elles suffisantes ?

Elles sont pénibles, dures, très probablement injustes mais nécessaires. La Grèce a été forcée à les prendre pour éviter un désastre sans précédent. Le pays a cru qu’il allait pouvoir rester hors de la grande crise survenue outre-Atlantique. J’étais en poste à Washington, où l’on a vu la chute de confiance de l’économie américaine.

– swissinfo.ch: Vu de Suisse et d’Allemagne, c’est la fable de la cigale et de la fourmi…

Le gouvernement a reconnu que nous étions les premiers responsables de nos malheurs. La Grèce a été le maillon faible, mais après elle, il y a d’autres pays qui vont devoir prendre des mesures d’austérité. La crise grecque peut bénéficier à toute l’Europe. La rumeur que des bateaux sont en train de débarquer du papier pour imprimer des drachmes est une blague de mauvais goût. Peut-être cela reflète-t-il la détermination des spéculateurs qui misent sur l’échec de l’euro. N’oublions pas que «euro» vient du grec.
La cible, c’est l’unité européenne. La Grèce ressuscitera de cette crise profonde, comme elle l’a fait dans le passé. Suisses et Grecs sommes des amis historiques. Le Genevois Jean-Gabriel Eynard était parmi ceux qui ont soutenu la guerre d’indépendance de la Grèce. Je souhaite que les touristes suisses se rendent massivement cet été dans mon pays où le franc n’a jamais été aussi attractif.

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