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La mort de Pinochet ravive le souvenir des années noires

Pinochet et ses généraux en 1973, quelques jours après le putsch. Keystone

«La mort d'Augusto Pinochet réveille des souvenirs de dictature militaire et de violations graves des droits de l'homme», commente un porte-parole du gouvernement suisse.

La justice helvétique s’était intéressée plusieurs fois à Pinochet. Et la presse, comme l’ONG Trial Watch, qui lutte contre l’impunité des tortionnaires, regrette que l’ancien dictateur soit mort sans avoir payé.

S’exprimant dimanche soir, peu après l’annonce de la mort d’Augusto Pinochet, Johann Aeschlimann, porte-parole au ministère suisse des Affaires étrangères, s’est réjoui que le Chili se soit depuis «libéré de ce poids». Le Chili qui aujourd’hui est «un pays de droit moderne, démocratique et dynamique économiquement, avec qui la Suisse entretient de bonnes relations».

Dans la presse helvétique lundi matin, c’est l’impunité qui ressort au premier plan des commentaires. Le Temps publie une grande photo du «dictateur impuni» qui met en évidence son aspect le plus sinistre. «Pinochet impuni ? Oui, mais vaincu», titre de son côté l’éditorialiste de la Tribune de Genève.

«Il est mort sans demander pardon», clame la nouvelle ambassadrice du Chili à Berne dans les colonnes de 24 heures, autre quotidien romand. Outre-Sarine, le Bund de Berne parle de «la fin d’une époque», alors que le Tages Anzeiger de Zurich préfère souligner que c’est «l’avenir du Chili qui commence».

Un cas exemplaire

Regrets également chez Trial Watch, l’ONG genevoise qui lutte contre l’impunité des responsables, des complices ou des instigateurs de génocide, de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de torture.

«Pour nous, le cas de Pinochet était exemplaire, explique à swissinfo son vice-président François Membrez. Son arrestation à Londres avait représenté une avancée de la cause que nous défendons, même s’il avait fini par rentrer au Chili. Nous luttons pour une compétence universelle à traquer les personnages de ce genre, qui ne doivent plus jouir de l’impunité nulle part».

«Bien sûr, nous regrettons qu’il soit mort impuni, poursuit François Membrez. Il aurait dû être condamné. Mais le dossier n’est pas clos pour autant, certains de ses hommes de main sont encore en vie. Ils doivent être jugés et la lumière doit être faite».

Enquêtes en Suisse

La justice suisse s’était intéressée à plusieurs reprises à Augusto Pinochet. Fin octobre 1998, le procureur genevois Bernard Bertossa avait ouvert une enquête contre lui pour assassinat, enlèvement et séquestration, dans le cadre de la disparition de l’étudiant binational suisse et chilien Alexei Jaccard.

Ce dernier a disparu en 1977 à Buenos Aires. Selon ses proches, il aurait été enlevé par des membres de la police fédérale argentine et des agents de la Direction des renseignements chiliens.

La Suisse a alors transmis une demande d’extradition aux autorités britanniques. Augusto Pinochet avait en effet été arrêté le mois précédent à Londres, sur demande du juge espagnol Baltasar Garzon, également pour les disparitions sous son «règne», qui a duré de 1973 à 1990.

Finalement, la Grande-Bretagne laissera filer l’ancien général en mars 2000. Londres, dont la décision a été très critiquée, avait accepté les conclusions d’un rapport médical jugeant Augusto Pinochet inapte à se présenter devant un juge.

En Suisse, l’ancien militant d’extrême-gauche Pierre Rieben avait lui aussi déposé une plainte contre Pinochet. Il reproche au régime de l’ancien général de l’avoir détenu, torturé et violé en avril 1974 à Santiago.

Des comptes en Suisse?

En mai 2006, le député Josef Zisyadis a demandé au gouvernement de séquestrer les comptes de l’ancien dictateur chilien. Selon un rapport de la commission antiblanchiment du Sénat américain en effet, Pinochet détiendrait une centaine de comptes en banque, contenant en tout plus de 32 millions de dollars. Dont une partie serait ou aurait été en Suisse.

Le décès de l’ancien dictateur n’interrompt pas les procédures ouvertes en Suisse suite à une demande d’entraide judiciaire du Chili. Le Conseil fédéral va même traiter de cette question lors d’une prochaine séance.

C’est de qu’a indiqué, lundi à l’heure des questions devant la Chambre du peuple, la ministre des affaires étrangères Micheline Calmy-Rey.

L’application de l’entraide judiciaire suit son cours, a expliqué de son côté Jeannette Balmer, porte-parole du Ministère public de la Confédération.

L’action se poursuivra aussi longtemps que le Chili ne retire pas sa demande d’entraide judiciaire, demande présentée au printemps 2005 par les autorités chiliennes et visant à la remise de documents bancaires.

swissinfo et les agences

Les exilés chiliens fuyant la dictature d’Augusto Pinochet ont connu des sorts divers en Suisse. Certains ont été renvoyés dans leur pays à peine le pied posé sur sol helvétique. D’autres ont pu rester grâce à la solidarité de la population ou suite à la reconnaissance officielle de leur statut de réfugié.

Entre 1973 et 1990, durée de la dictature militaire au Chili, environ 5800 Chiliens ont demandé l’asile en Suisse. 1500 l’ont obtenu.

Entre 1973 et 2005, environ 2500 Chiliens ont obtenu la nationalité suisse.

A fin 2005, plus de 3500 citoyens chiliens résidaient en Suisse

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