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Le Club suisse à la cueillette des olives libanaises

Dix dollars par jour pour les hommes, huit pour les femmes. Une inégalité qui n'a pas manqué faire tiquer Verena Zimmerly (à droite) et les membres du nouveau club libanais «Les Amis de la Suisse». Pierre Vaudan

Une poignée d'Helvètes se sont donné rendez-vous dimanche dernier dans un verger des hauts de Tripoli pour une petite leçon de choses. L'occasion d'une rencontre entre Libanais, bédouins syriens et Suisses vraiment pas comme les autres.

Après un changement de saison marqué par un festival d’orages dantesques et de pluies diluviennes, le Liban entame novembre dans une douceur presque estivale.

Ce dimanche matin, Verena Zimmerly s’est levée à l’aube avec ses deux petits garçons pour répondre à l’invitation du club «Les Amis de la Suisse» qui vit ses premiers mois dans une effervescence pleine de gaieté.

Après la visite très suivie des souks de Saida dans le sud la semaine passée, la présidente de l’association, la Soleuroise Astrid Fischer, a en effet convié ses troupes à une petite cueillette d’olives dans le nord du pays.

Le point de ralliement est fixé à Batroun, vieille bourgade tour à tour phénicienne, romaine, byzantine et croisée située à une cinquantaine de kilomètres au nord de Beyrouth. A l’est de l’autoroute reliant la capitale libanaise à Tripoli, le soleil vient de terminer l’ascension des dernières collines et ses premiers rayons semblent jeter les ombres du paysage à la mer.

Un pied au Liban, l’autre en Suisse

Très concentrée, Verena zigzague entre les véhicules au volant de son 4×4 sur cette artère aussi magnifique que dangereuse dans un pays où les règles de circulation ne semblent concerner personne.

Après un grand coup de klaxon et une bordée d’insultes dans un dialecte libanais parfait à l’adresse d’un chauffard qui vient de lui faire une queue de poisson, Verena sourit: «Lorsque nous sommes arrivés au Liban avec mon mari en 1996, explique-t-elle amusée, il ne m’a pas laissé le temps de voir ce qui se passait sur les routes libanaises et m’a obligé à prendre le volant dès la sortie de l’aéroport. Il a eu raison car sinon je n’aurais jamais osé me lancer.»

Verena est un personnage singulier. Même si elle vit depuis douze ans au Liban, cette Bernoise d’origine n’en a pas renoncé pour autant à son amour des montagnes suisses. «Je suis un ‘œuf de la campagne’, comme on dit chez nous, rit-elle. Et même si nous nous sommes installés au Liban, mon mari m’a permis de réaliser mon rêve d’enfance et nous rentrons quatre mois par année en Suisse, où nous vivons de la fabrication de fromages dans un alpage à Nidwald.»

Un beau pays

A-t-elle eu du mal à s’adapter à la culture libanaise? «Au début cela a été un peu dur, mais j’ai fini par planter mes racines, confie-t-elle. Aujourd’hui c’est mon mari qui voudrait parfois que nous nous installions définitivement en Suisse mais je ne suis plus d’accord. En fait, je suis toujours très heureuse de rentrer dans notre alpage à Nidwald, mais tout aussi heureuse de revenir au Liban lorsque la saison est finie.»

A l’arrière du 4×4, Daniel, 9 ans, et son frère Manuel, 6 ans, écoutent leur maman et résument l’air de rien son sentiment en détournant tout à coup une comptine apprise à l’école: «J’ai mis un peu de Suisse dans un grand saladier, chantent-ils en cœur, j’ai ajouté un peu de Liban, je les ai mélangés et ça a fait un beau pays». Eclats de rire.

Précision suisse oblige, Verena arrive à Batroun à l’heure pile. C’est là que nous attendent Astrid et son mari Ghassan, ainsi que leurs trois enfants Aliénor, Jacinthe et Louis-Justin. Il y a aussi Samar, petite fille d’une Suissesse dont le père s’est installé au Liban au début du siècle, son mari Bassam et leur fils Alexandre qui, à deux ans, est le plus jeune membre du club suisse.

Sans tarder la petite troupe prend alors le chemin des hauts de Tripoli, à quelques kilomètres plus au nord, vers une plantation d’oliviers située dans une enclave chrétienne et dont les récents orages ont agréablement verdi le parterre.

Dix pour les hommes, huit pour les femmes

A peine débarqués, les enfants courent dans le verger et se mêlent instantanément à une vingtaine d’ouvriers déjà voûtés sous les oliviers. Ce sont des bédouins syriens qui louent leurs services pour des travaux des champs.

«Ils sont payés dix dollars par jour, précise le propriétaire des lieux. Huit pour les femmes». Une différence qui fera tiquer les Suisses, d’autant plus que chacun constate que les femmes s’affairent au moins autant, sinon plus, que les hommes dans les champs.

Suisses, Libanais et Syriens retroussent alors leurs manches dans des sourires partagés. Une joie dans laquelle se glisse une ombre lorsque le propriétaire raconte, gêné, que dans la nuit, ces bédouins ont été victimes d’une ratonnade orchestrée par une bande de voyous de la région. Pourquoi ? «Seulement parce qu’ils sont Syriens», déplore-t-il en secouant la tête.

Une sordide histoire de racisme ordinaire, que la guerre et quinze ans d’occupation du pays par les troupes de Damas ont exacerbé.

Quelques heures plus tard les Suisses ont fait moisson de chaleur humaine, de paysages magnifiques, d’olives et de photos. Et c’est au signal d’une Astrid Fischer ravie qu’ils quittent les bédouins dans de grands gestes amicaux.

La journée a été riche et si les enfants du Club ne regarderont plus l’huile d’olive qu’ils consomment tous les jours de la même façon, leurs parents ne sont pas prêts d’oublier les visages de ces bédouins dont la vie pourtant si difficile ne semble jamais devoir altérer les sourires.

swissinfo, Pierre Vaudan au Liban-Nord

Quelque 800 Suisses vivent actuellement au Liban. La plupart sont binationaux.

Un premier Club Suisse existait avant la guerre dite «civile» en 1975.

Le club «Les Amis de la Suisse» nouvelle formule a été formellement créé le 21 mai dernier. Il compte actuellement une quarantaine de membres.

Hormis le club créé par Astrid Fischer avec le soutien de l’ambassade suisse, il existe aussi à Beyrouth le Swiss Business Council Lebanon, sorte de chambre de commerce qui regroupe une septantaine de membres.

La présence helvétique au Pays du Cèdre est bien sûr complétée par les activités de l’ambassade proprement dite.

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