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Le foot, l’ombre, la lumière et les zones grises

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Le Musée d'ethnographie de Genève (MEG), Annexe de Conches, propose dès mercredi une exposition intitulée «Hors jeu». Dans une muséographie ludique, un regard multiple qui embrasse la beauté du jeu et ses à-côté moins reluisants.

On est accueilli dans la quasi-obscurité par une collection de personnages qui évoquent à la fois le football et la société. Du pape Blatter au casseur lambda en passant par le gladiateur-joueur.

Des figurines qui ont été fabriquées à Abidjan, dans cette Afrique qui alimente le football international tout en voyant moult de ses enfants s’y égarer. Ceux pour qui la réalité d’une vraie carrière dans un club européen restera à jamais inaccessible.

«Hors Jeu» évoque ensuite la beauté du geste footballistique, mais aussi les paillettes des stars du ballon rond et de leurs compagnes au look de Barbie. Puis l’argent omniprésent, celui des joueurs, celui des sponsors, celui des financiers. Celui des spectateurs aussi, puisque l’exposition s’amuse à juxtaposer la reconstitution d’une loge VIP tendance champagne et celle d’une tribune populaire, tendance bière et calicots.

L’extrémisme des supporters est aussi abordé, comme les envolées lyriques de ceux (les Josef Blatter, les Adolf Ogi) qui voient – ou prétendent voir – dans le sport en général et le football en particulier un instrument pour sauver la planète.

Après quelques autres échappées – supporters, nationalisme, superstitions, nous y reviendrons – une dernière salle souligne la convivialité qui devrait être celle qui entoure… un jeu. Avec la possibilité de boire un café en regardant des écrans qui égrainent l’actualité grâce au dossier Euro 08 de swissinfo. En effet, si l’ambition du MEG est d’observer le phénomène football dans sa multiplicité, c’est aussi celle de swissinfo. Raison pour laquelle nous sommes partenaires pour cette exposition.

Appuyé par le chercheur Raffaele Poli, Christian Delécraz, responsable du MEG Conches, a mis sur pied cette exposition.

swissinfo: Comment décririez-vous votre démarche pour cette exposition?

Christian Delécraz: C’est aussi notre rôle que d’évoquer des sujets d’actualité. Or dans la plupart des musées, ce qui existe en la matière, ce sont des expositions avec des vieux maillots, des photos à la gloire du foot. Ou des œuvres d’artistes qui se sont penchés sur le foot.

Nous, on s’est dit qu’on voulait parler d’intégration, d’identité, de moi, des autres, des phénomènes de supporters et d’ultras… Soit des thèmes de société assez profonds, assez lourds. Finalement, le football, c’est un peu un prétexte pour parler de la complexité du monde dans lequel on vit.

swissinfo: Après avoir réalisé ce travail, comment expliquez-vous que c’est le football, et lui seul, qui a acquis ce statut de sport-roi, de sport planétaire ou presque?

C.D.: On a hésité à faire un espace «Et après?». Un espace qui permettrait de se demander ce qui se passerait si le foot disparaissait, comme l’imagine Bilal dans l’un de ses livres. Car ce sport date tout de même de 1863. Il est né dans les écoles privées anglaises – c’est d’ailleurs pour cela qu’il y a 11 joueurs par équipe: il y avait 10 personnes par chambre, plus un chef de chambre!

Mais rapidement le football a atteint les classes populaires, et est devenu le sport populaire par excellence. On peut en jouer partout, on peut simplement taper dans une boîte de conserve! Et les règles sont assez simples…

A part peut-être la règle du hors jeu! C’est l’occasion pour moi de rappeler que si on a appelé cette exposition ainsi, ce n’est pas comme si on l’avait appelée penalty ! Le hors jeu n’est pas une faute, c’est une position qui peut devenir une faute, mais ce n’est pas une faute en soi!

Bref. Tout le monde peut jouer au foot. Et puis, avec le temps, et de plus en plus, c’est tombé dans le domaine du marketing, de la publicité, du business… de la bourse, même! Le salaire des joueurs, la médiatisation extrême, tout cela suscite maintenant des vocations et des envies sur toute la planète.

swissinfo: Ce qui ne va pas sans poser certains problèmes…

C.D.: Les plus défavorisés, les exclus, rêvent de venir et de réussir en Europe. A l’image de l’Ivoirien Didier Drogba, aujourd’hui star du club anglais de Chelsea. Mais pour un qui réussit, combien échouent? Raffaelle Poli vient de faire un doctorat sur le transfert des jeunes sportifs qu’on va chercher dans le Sud et qu’on amène ici. Il me transmet régulièrement des mails de jeunes Africains qui aimeraient venir jouer en Europe, qui disent que ça leur sauvera la vie.

Cela représente des rêves, des aspirations incroyables. Mais même parmi ceux qui viennent, combien ne font pas de carrière, et échouent dans la clandestinité parce qu’ils ne peuvent plus rentrer chez eux?

Pour cette exposition, j’imaginais aussi le titre «Entre ombre et lumière». Le côté lumineux qui éclaire les stades, et le côté ombre avec des choses beaucoup moins belles. Mais ce titre n’était pas juste, parce que, finalement, ce qui nous intéresse, c’est ce qu’il y a entre deux. C’est les zones grises… Et il y en a pas mal.

swissinfo: Vous évoquiez tout à l’heure l’hypothétique disparition du football…

C.D.: Avec la démesure que le foot a atteinte, on peut se demander si cela ne va pas devenir la fable du bœuf et de la grenouille, si la grenouille ne va pas finir par exploser à force de gonfler! Cela dit, au-delà du football officiel né en Angleterre, taper dans un ballon, cela fait des lustres que cela se pratique, chez les Chinois ou ailleurs! Depuis que l’homme existe ou presque, on fait des équipes et puis on tape dans quelque chose qui roule…

swissinfo, Bernard Léchot

En marge de l’exposition, le MEG publie «Hors jeu – Football et société», un livre réalisé sous la direction de Raffaele Poli.

Cet ouvrage est préfacé par l’ethnologue Christian Bromberger et contient une interview du psychologue et ancien joueur international suisse Lucio Bizzini.

136 pages, 120 illustrations couleur d’Éric Lafargue et Johnathan Watts et des dessins de Pierre-Alain Bertola.

Exposition «Hors Jeu», du 21 mai 2008 au 26 avril 2009, à voir au Musée d’ethnographie de Genève (MEG), Annexe de Conches, Chemin Calandrini 7, Conches.

Pour réaliser «Hors Jeu», le MEG a fait appel à plusieurs experts du Centre international d’étude du sport à Neuchâtel.

Parmi les partenaires de cette exposition figure swissinfo. L’actualité du football est représentée dans l’exposition par des écrans affichant notre dossier «Euro 08».

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